Un texte d’il y a 5 ans; ça peut être intéressant de le relire aujourd’hui.
Lucioles n. 14 / décembre 2013
Ces derniers temps, dans certaines régions ça bouge, ou plutôt ça bloque. Une certaine colère diffuse prend la forme d’une fronde anti-gouvernement, notamment à travers l’opposition à des nouvelles taxes. Au premier coup d’œil quelque peu superficiel, certaines pratiques peuvent sembler sympas. Ainsi, durant la première quinzaine de novembre, la protestation contre l’écotaxe a causé à l’État une dizaine de millions d’euros de frais, avec une centaine de radars routiers, quatre portiques écotaxe et une vingtaine de bornes détruits. L’ennemi est attaqué, on en sourit. Mais gare à ce que nos sourires ne tournent pas à l’amertume. L’ennemi de mon ennemi n’est pas forcément mon ami. Aussi le petit entrepreneur s’oppose parfois à l’État. Mais pour lui il s’agit de l’État qui lui prend de l’argent sous forme de taxes et d’impôts. Pour l’entrepreneur, le flic et le juge seront toujours des amis : ils sont là pour le défendre, lui et sa thune, des barbares. C’est nous les barbares, ceux pour lesquels les flics sont là. Ceux que le pouvoir et les patrons cherchent à soumettre à leur chantage, à exploiter, acheter et vendre, enfermer, tabasser, tuer.
Le mouvement des « bonnets rouges » bretons et ses imitateurs, les transporteurs, les agriculteurs, les boutiquiers, ce sont pour la plupart de petits entrepreneurs qui craignent de voir leurs affaires étouffées ou encore des salariés plus royalistes que (leur) roi. Du fait qu’en ce moment on trouve les salopards de gôche au pouvoir, la droite fait son beurre avec cette « contestation ». Contestation de quoi ? D’un monde qui est une prison, de l’exploitation, de la misère, de l’autorité ? Bien sûr que non. Gauche ou droite, extrême ou pas, ils sont pour le maintien de ce monde ; ils se disputent sur des détails afin de s ‘arracher des fauteuils. Cette fronde anti-gouvernement défend le droit de produire, de travailler (et d’en faire travailler d’autres), de faire du fric. En Bretagne il y a en rab une nauséabonde ritournelle nationaliste.
Un radar routier est facile à attaquer et coûteux pour l’État, il est donc une bonne cible. Mais les destructions de radars et structures liées à l’ecotaxe, en ce moment et en tant que cibles uniques, en disent beaucoup sur les perspectives clairement réactionnaires de leurs auteurs anonymes. Il s’agit en effet d’une opposition non à l’État, mais à un certain État (ou plus précisément à l’actuel gouvernement de l’État), non à l’exploitation, à l’autorité, à tout ce monde, mais à une certaine gestion de ce monde. Non au contrôle et à la répression étatiques de nos vies, mais à ce qui empêche quelques uns de s’enrichir encore plus ou d’appuyer sur l’accélérateur de leurs grosses voitures sans craindre des amendes….
On nous dit que les taxes vont avoir des effets négatifs sur l’emploi. D’accord ; on a justement pas envie de travailler. Et les préoccupations des patrons, grands, moyens ou petits, ne sont pas les nôtres ; pas plus que celles des gouvernants, de droite ou de gauche. Car leur intérêt sera toujours de nous garder sous leur joug. Notre intérêt à nous, les exploités, c’est de briser nos chaînes. Pas avec des lois, pas en choisissant une mafia politique plutôt qu’une autre, mais bien en renversant pour de vrai toute autorité.
Est-ce que ces petits feux réacs seraient peut-être le signe d’une colère plus profonde, potentiellement explosive et libératrice ? Peut-être, mais pour l’instant ils restent une fronde bien biaisée, porteuse d’oppression. Notre pari n’est pas sur le boutiquier qui défend son affaire, mais sur tout/e sauvage/onne qui n’a rien à perdre et n’en peut plus d’un monde d’affaires. Qui rêve de la liberté. Et qui entend passer personnellement à l’action.