Vetriolo, giornale anarchico, n. 2 / automne 2018
Ces derniers temps, il y a eu la publication de plusieurs écrits avec lesquels des compagnon.ne.s venant de différentes milieux anarchistes et antiautoritaires invitent à la discussion sur certains sujets – d’actualité ou pas – concernant les stratégies mises en place par la répression : de l’élargissement de l’emploi de la visioconférence lors des procès pénales et la soi-disant « preuve par l’ADN », jusqu’à la désagréable éventualité (qui n’est pas une nouveauté, mais elle a sauté aux yeux lors du procès Scripta Manent [1]) de la convocation de compagnon.ne.s, en tant que personnes informées sur les faits lors des enquêtes ou comme témoins lors des audiences d’un procès.
Refusant de raisonner « dans l’urgence » et d’être étonnée à chaque fois, je ne crois pas que ce problème se règle à posteriori avec des guides légales, mais plutôt avec une attitude de réflexion « préventive », c’est à dire en essayant de diffuser et approfondir encore les bases éthiques de la solidarité, ainsi que la communication et la contre-information de contenus antiautoritaires théoriques et pratiques, et la réflexion sur les avancées de la technologie répressive [2].
Avant toute forme de lutte contre l’autorité, il devrait y avoir la conscience de la répression, cependant on ne peut pas déterminer sa lutte à partir du fait de contrer les coups de la répression. La répression est là, elle était et sera là, et on y fait face tous les jours, comme tous les jours on fait face aux aspects plus prosaïques de cela, cependant on ne peut pas transformer une conséquence, un corollaire de notre combat, dans la lutte elle-même.
J’aimerais par contre comprendre comment ça se fait qu’on en est arrivés à lire, en 2018, une guide destinée aux milieux antiautoritaires (qui sont donc déjà avertis de certains sujets) ce type de conseils : « il faut éviter de se prêter à être utilisé par le Parquet contre des personnes sous enquête ou inculpées » [3].
Je comprend l’effort des compagnons qui l’ont édité, mais… on est en train de rappeler à des compagnons et des compagnonnes, avec bienséance et exquise courtoisie, qu’il ne faut pas témoigner contre des compagnons et des compagnonnes ?
Quand ont-ils oublié cela ? Pourquoi cela a été oublié ?
Peut-être parce que, ces dernières années, dans tout cet emballement visant à gagner du consensus, on en a perdu le sens ? Il doit y avoir eu un moment où on a perdu de vue les principes de base de l’action et de la pensée des réfractaires à ce système, qu’il faut toujours combattre, où qu’il soit.
Pourtant, le concept de non-collaboration avec le pouvoir n’est pas à proprement parler une petite idée marginalisée : ça devrait être fondamental pour tout le monde.
Tout comme, en tant qu’anarchistes, on refuse, entre autres, de collaborer lors d’un interrogatoire si on se fait interpeller.
Est-ce qu’on continue à cultiver la conscience et l’opposition à l’iniquité ou bien on cherche des espaces d’action politique en calculant la portion d’ailes qu’on est disposés à se brûler ? Un calcul que chacun de nous fait, nous sommes des êtres humains plein d’imperfections et de peurs, mais c’est ridicule d’essayer d’y donner une justification théorique/légale.
Surtout parce que le travail sur ses propres limites et sur le désir de les dépasser est un processus de croissance individuelle et de confrontation au sein de sa propre communauté-mileu-situation de conflit, qu’on ne peut pas codifier, à part de façon éthique.
Je m’explique : parmi les anarchistes et les antiautoritaires, si on pense que cela puisse encore avoir un sens, il faudrait discuter à nouveau des causes avant les conséquences. Revenir à considérer le sens trop léger qu’on a donné aux critères d’action, qui ont porté à se donner l’horizon – bas – de la recherche de niches d’action politique et de « luttes possibles ».
Une fois cela compris, on pourra réfléchir de façon utile et concrète aux effets, sur les cas particuliers et sur la meilleure manière de lutter, faute de quoi la discussion restera focalisée sur des arguments qui sont portés par la répression elle-même, c’est à dire la crainte de sanctions pénales et administratives [4].
Il faut être conscients que c’est facile pour la répression de s’appuyer sur les divisions du mouvement (je continue toutefois à considérer que c’est sain et utile qu’elles existent – même si heureusement elles n’existent jamais selon les schémas rigides qui appartiennent au pouvoir), sur les peurs et les incapacités de comprendre ou utiliser les mots et leurs contenus qui en dérivent : le poids de plusieurs années de mauvaises habitudes généralisées dans la contre-information et les publications du mouvement (censure et autocensure, discours partiels, incapacité de garder un regard ouvert et critique à 360°) ont permis, ces derniers années, trop d’années, aux Parquets et aux enquêteurs de se jeter sur quelques sites web, journaux, blogs.
L’incapacité à pratiquer la solidarité envers la lutte contre l’autorité dans ses multiples expressions (et par conséquent envers tous les prisonniers) fait qu’on arrive à l’absurdité actuelle de demander à chaque prisonnier s’il veut de la solidarité ou non, au lieu de la pratiquer tout simplement.
Je me sens de faire une autre remarque à propos de la tentative de créer une mobilisation collective (je crois quand même limitée au mouvement) de lutte contre le prélèvement d’échantillons d’ADN [une pratique répressive encore nouvelle et relativement peu diffuse en Italie ; NdAtt.] ou contre les procès par visioconférence. Au vu de comment je les ai vécues dans ma chair, celles-ci ne sont pas des luttes praticables sur le plan de la désobéissance civile, de la résistance passive (même si on voulait les affronter de cette façon) : elles sont le miroir de la transformation technologique de la société, du néo-positivisme scientifique prédominant, et, tout comme d’autres aspects de ces changements de la société actuelle, peuvent – et doivent – créer de la répulsion et de la réponse, mais il ne faut pas donner à ces réactions individuelles basiques le poids et le rôle d’une « lutte ».
C’est à dire que je peux refuser de donner mes papiers aux flics, de leur donner mes empreintes digitales ou de faire la photo signalétique (quand je suis en taule ou lors d’une simple GAV), je peux refuser le prélèvement de l’ADN ou tout autre examen lors de la visite médical à l’entrée en taule, mais celles-ci sont des simples et bonnes réactions individuelles contre la violation de ma sphère physique, contre l’imposition de l’autorité sur mon corps. Cependant, elles ne peuvent pas être interprétées comme une lutte contre l’évolution technologique du contrôle qui, s’il est nécessaire à des fins répressifs, est quand même imposées (de façon sournoise ou par la force).
Il y a un autre cas : le procès en visioconférence. Dans ce cas, la loi elle-même donne le droit de refuser (c’est à dire, refuser d’ « être présent » en vidéo et rester tranquillou dans sa cellule) ; mener une protestation active est assez compliqué et de toute façon ça se focaliserait sur l’appel aux droits de la défense qui sont niés, en plus de se plaindre de l’éloignement de ses compas, ce qui peut bien être le cas même si on est physiquement présent dans la salle du tribunal. Cela dépend toujours à leur bon vouloir (cages éloignées du « public », inculpés enfermés dans des cages différentes, etc.).
Le procès par visioconférence se situe dans la modernisation technologique de l’ensemble du système pénitentiaire, qui va toujours plus dans la direction du contrôle à distance et de l’automatisation, comme le reste de la société, d’ailleurs.
Cela ne veut pas dire qu’aucune réponse ne soit possible, mais je crois qu’il faut choisir, puisque nos forces ne sont pas illimitées, les priorités qu’on veut se donner – et leur sens.
Anna
Rome, juillet 2018
Notes :
1. Au début du procès Scripta Manent ont été appelés parmi les témoins de l’accusation pas moins de 4 rédacteurs ou ex-rédacteurs de Radio Blackout [radio militante de Turin ; NdAtt.], l’administrateur d’un site de contre-information, le directeur de l’hebdomadaire anarchiste Umanità Nova [organe officiel de la Fédération Anarchiste Italienne ; NdAtt.] et une compagnonne âgée, déjà inculpée dans le procès Shadow, en plus de la tentative de convoquer 4 compas déjà condamné.e.s lors d’autres procès.
2. A ne regarder que le dossier du procès Scripta Manent, les prélèvements [en cachette, NdAtt.] d’ADN lors des perquisitions sont attestés depuis 2009 ; depuis 2015, il y a des comparaisons avec les bases de données des différents laboratoires des forces de police.
3. « Giuro di dire la verità »…, qualche spunto su come afforontare l’ennesima tattica per dividere e reprimere : la testimonianza in aula, 2018.
4. Dans plus d’un procès, on ne parle que d’aspects légaux, dans le cas d’une tentative de blocage routier, de l’occupation d’un squat, on ne parle que de sanctions administratives (qui, entre autres, ont récemment été une stratégie gagnante dans de nombreuses occasions).