Fenrir, pubblicazione anarchica ecologista, n° 9 / juin 2018
Ces derniers temps, les anarchistes d’action ont mis au centre de leur pratique l’individu et son groupe, en laissant de fait de côté les assemblées pour se parler directement avec des revendications d’actions. Le concept même de « revendication » a subi une transformation radicale ; d’un instrument « ouvert vers l’extérieur » c’est devenu un instrument « renfermé sur soi-même », qui s’adresse en première instance à ses semblables, à sa propre communauté en guerre. Même si cela peut paraître paradoxal, dans ce « repli » il y a la mort de la politique ; la recherche du pouvoir et du consensus s’arrête là. On ne cherche pas de disciples, on ne veut pas opposer un « contre-pouvoir » à l’État. Dans cette perspective, la dichotomie que certain.e.s compagnon.ne.s font entre « action anonyme » et « revendication » se révèle être creuse, un faux problème. L’action anonyme et la revendication (signée avec des acronymes ou pas), si elle sont vues comme des pratiques opposées, deviennent toutes les deux, même si elle peuvent paraître lointaines, des symptômes d’une sorte d’« autisme » anarchiste. Si elles sont vécues de manière exclusive et dogmatique, elles sont simplement les deux faces de la même médaille, la médaille de la politique et de l’idéologie ; on n’y trouve pas une communauté en guerre, mais de l’endoctrinement et du prosélytisme. Il ne faudrait pas avoir d’idées préconçues à propos des différentes pratiques anarchistes (surtout lorsqu’on parle d’actions armées) : ceux/celles qui font des revendications avec un acronyme dans un certain contexte peuvent ne pas le faire dans un autre cas, parfois les actions parlent toutes seules, je n’y vois aucune contradiction.
Quelque chose a changé, nombreux sont les exemples concrets d’une vision moins dogmatique, plus dynamique, parfois plus éclatante, de l’insurrectionnalisme. Non pas un produit dérivé de celui-ci, mais une sorte d’« évolution » qui semble ne pas s’arrêter face aux condamnations, à l’isolement, aux excommunications. Un insurrectionnalisme certes plus désordonné, mais avec la grande qualité de ne pas s’appuyer sur des formules prémâchées, puisqu’il est absolument chaotique. Il produit peu de papier, peu de théorie, celles/ceux qui parlent le font en totale anonymat à travers des revendications d’actions ; en dehors de l’anonymat il y a seulement ceux et celles qui, prisonnier.e.s, revendiquent avec fierté leur parcours. On parle d’une vision de la pratique anarchiste qui est plus dangereuse, puisque en continuelle expérimentation ; le pouvoir le perçoit et frappe là où ça fait mal. Voilà la raison des nombreuses représailles un peu partout dans le monde : Italie, Grèce, Chili, Argentine, Brésil, Espagne… On ne peut pas nier que, ces dernières années, la répression contre le mouvement anarchiste s’est intensifiée. Les différents États parlent de conspirations anarchistes internationales ; pour ce que cela peut vouloir dire, en Italie les services secrets continuent de désigner les anarchistes de la FAI/FRI comme le premier danger subversif interne au pays. Je crois qu’à ce niveau-là le moment est venu de se poser quelques questions. Est-ce que cette « nouvelle » anarchie dérange vraiment le pouvoir ? Et si c’est le cas, quel est l’aspect qui le dérange à un tel point qu’il effectue de si nombreuses représailles, lesquelles, à mon avis, sortent de la gestion normale de la répression dans ces pays ? En somme, à quoi est due toute cette attention ?
Parmi toutes les pratiques anarchistes, celle de l’action destructive est celle qui, dans l’immédiat, préoccupe le plus les gouvernements. Si cette pratique se diffuse à travers un « langage commun » (la communication à travers les revendications d’attaques) et tend à concentrer ses forces sur des cibles communes, concrètes, immédiates, alors l’attention du pouvoir, évidement, augmente. Si cette discussion à travers les revendications d’attaques se diffuse au-delà des frontières, l’alarme retentit encore plus fort et le pouvoir se déchaîne avec des représailles à la chaîne. Ce « langage commun » a été testé par la Fédération Anarchiste Informelle en Italie et par la Conspiration des Cellules de Feu en Grèce, puis, avec la FAI-Front Révolutionnaire International, il a définitivement pris son envol à travers le monde, évoluant en quelque chose de plus « essentiel », de plus dynamique, qui ne tourne plus exclusivement autour d’un acronyme.
Ça n’a jamais été un acronyme (peu importe lequel) qui a constitué ce « langage commun », mais bien l’arme efficace des « campagnes internationales », lancées non pas par des comités, des organisations, des assemblées, mais par des actions, par des anarchistes de praxis, sans intermédiaire aucun. On l’a vu aussi ces derniers temps, avec les nombreuses actions qui se sont répondues après le G20, en Allemagne, France, Grèce… dans les actions de vengeance pour l’assassinat de Santiago Maldonado, au Chili, Argentine, Brésil, Italie, France, Allemagne ; en solidarité avec le prisonnier anarchiste en grève de la faim Konstantinos Giagtsoglou en Grèce ; en solidarité avec la compagnonne anarchiste Lisa, accusée d’une expropriation, en France, Allemagne… dans les attaques contre la Turquie en solidarité avec le peuple kurde qui lutte pour sa survie, ainsi que dans la continuation des actions signées FAI/FRI en Italie, Grèce, Espagne, Chili, Allemagne…
Voilà à mon avis la pratique anarchiste qui aujourd’hui dérange le plus le pouvoir. A quel point ? Nous ne pouvons pas le savoir, mais ces campagnes internationales créent sûrement quelque problème, même seulement en perspective. Ce qui est beau dans une pratique qui marche c’est que c’est contagieux, la répression ne peut rien y faire, ou peu, surtout quand l’anonymat enveloppe cette toile impalpable d’actions, tissées par des mains inconnues les unes aux autres.
Comme cela arrive toujours face à quelque chose de nouveau, ce n’est pas seulement l’adversaire qui est dérangé, mais aussi ceux et celles qui s’appuient sur la « tradition », sur la « pureté » idéologique des « livres sacrés ». Ça nous arrive aussi à nous les anarchistes de crier à l’hérésie. Des compagnons et des compagnonnes qui, par le passé, ont agi côte à côte rabaissent les hérétiques et les traitent d’imbéciles qui n’ont rien compris à la Parole, du « projet originel » de l’« authentique » projet insurrectionnel. Mais est-ce que cette opposition a un sens ? Et si on reconnaît une unité stratégique et méthodologique aux deux « tendances » informelles, quelles sont les différences entre la « vieille» et la « nouvelle» ? De telles différences paraissent exister, du moins aux yeux du pouvoir. Tant pour donner un exemple, dans le procès « Scripta manent », les textes des insurrectionnalistes « classiques » sont utilisés comme exemples d’un « anarchisme gentil », qui est mis en opposition avec celui des inculpés, défini comme « méchant ». Toujours le jeu bien connu des gentils et des méchants. Beaucoup d’eau est passée sous les ponts depuis que, lors du procès « Marini », le rôle, nécessaire au pouvoir, des « gentils », était attribué aux anarchistes de la Fédération Anarchiste Italienne. Ne vous méprenez pas : je reste de l’avis que, peu importe ce que peuvent dire juges, procureurs et autres ordures, les anarchistes sont tou.te.s indigeste.e.s pour le pouvoir, tout pouvoir. Je maintiens qu’il s’agit simplement d’instrumentalisations, mais qui nous disent bien quelque chose de ce que la répression essaye de faire, qui nous révèlent pas seulement la vraie essence du pouvoir, mais aussi et surtout, ce qu’il craint à un moment donné, tel une boussole qui nous indique la pratique la plus efficace, car plus crainte.
Il faut remarquer que la répression ne se limite pas à viser celles et ceux qui frappent concrètement, mais aussi ceux et celles qui, avec les mots et les idées, proposent une stratégie d’attaque différente, plus simple, plus dynamique et impalpable. Il suffit d’assister à quelques séances du « cirque tragique » qui se tient en ce moment à Turin [le procès Scripta manent ; NdAtt.] pour s’en rendre compte. Il est stupide de rédiger des classements, il est sage de se poser des questions.
Mais laissons maintenant de côté le point de vue de la répression et essayons de répondre à la question qui concerne les différences entre la «vieille» et la « nouvelle ».
La « coordination » est la première différence qui saute aux yeux, entre l’insurrectionnalisme « inclusif », « social », et ceux et celles qui, comme la FAI/FRI, se relationnent exclusivement à travers l’action, menant des campagnes d’attaque. Dans la stratégie insurrectionnaliste liée à une lutte intermédiaire dans un territoire restreint (par exemple la Val de Suse), la coordination est indispensable afin de garantir cette durée dans le temps qui permet de s’adapter aux mutations continuelles de la lutte « populaire ». De plus, cette coordination doit opérer « en sous-main », puisqu’elle doit « pousser » sans dévoiler ses objectifs insurrectionnels : le « mouvement réel » (les gens) ne comprendrait pas une perspective d’affrontement sans médiations, qu’il verrait comme un suicide. Les « pions », dans cette stratégie, peuvent avoir plein de noms : « ligues autogérés », « comités de base », « assemblées populaires »… Ils doivent être déplacés avec sagesse et prudence, comme dans une partie de Dames. Un « jeu » de stratégie qui risque de dériver dans la « politique » et dans la « médiation », mais qui, en cas de victoire, mènerait à une insurrection, bien que limitée à de petits territoires. La coordination partage un danger avec l’organisation spécifique : celui de produire une élite de professionnels de l’insurrection, qui, grâce à leur capacité et volonté, décident et contrôlent tout (ou presque). Ce danger n’existe pas parmi les groupes, individus, organisations informelles qui participent à la soi-disant « nouvelle anarchie ». Dans cette « internationale anarchiste » il n’y a aucune « coordination » entre les groupes qui la composent… on se limite à concentrer ses forces sur des cibles semblables, avec les campagnes internationales lancées par des revendications d’attaques. On ne se donne pas d’échéances ou de structure commune, même minimale, en dehors de chaque groupe… L’archipel de la FAI/FRI est une des composantes de cette « internationale » et elle est à son tour également « déstructurée ».
Une autre différence évidente est la « revendication ». Les insurrectionnalistes (vieille école) en ont horreur, comme elles/ils ont horreur des sigles et des acronymes, car à leur avis cela sert seulement à affirmer sa propre existence, entraînant dans un mécanisme stérile d’auto-représentation et réduisant les « opprimés », les « exclus » au rôle de simples spectateurs. Ce discours pourrait aussi avoir un certain sens, si ce n’était que, dans notre cas, la « revendication » est un moyen de communiquer entre nous. Une critique de ce type est donc pour moi hors sujet, étant donné qu’on parle ici d’une communication interne au « mouvement », destinée donc aux forces qui sont déjà présentes, à des anarchistes et des rebelles conscients qui pratiquent déjà l’action destructrice. Cette sorte d’« internationale anarchiste » ne peut pas avoir l’objectif de « faire des disciples », et encore moins d’amener les opprimé.e.s à l’anarchie, comme s’ils/elles étaient des moutons à la recherche d’un berger. Nous sommes nous-mêmes des opprimés et nous utilisons les revendications d’actions pour nous simplifier la tâche et éviter des structures complexes et des coordinations tortueuses, qui pourraient étouffer notre action, nous ralentir. Cette façon de communiquer nous permet une plus grande efficacité ; après s’il y en a qui se limitent à frapper des mains, tant pis, au fond c’est leur problème et cela ne nous regarde pas.
En ce qui concerne les acronymes et les sigles, ils ne sont pas indispensables, mais quand ils sont là (par exemple FAI, CCF…), ils servent « seulement » a donner de la continuité à un discours, comme une manière de « relier » tout en restant séparés.
Les deux extraits suivants, tirés de deux revendications, une en italien et une en allemand, sont l’exemple concret de ce dialogue continuel, à travers des actions, qui dépassent les frontières des États et « relie » sans organiser. A mon avis un exemple réel, vivant, palpitant, d’une des nombreuses formes que l’« organisation informelle » peut se donner, maintenant et tout de suite.
– Rome. La Cellule Santiago Maldonado de la FAI/FRI revendique l’attaque explosif contre une caserne des Carabinieri (7/12/2017) :
« […] Chaque individu et chaque groupe d’affinité développe et renforce ses expériences dans le lien fraternel. […] L’organisation anarchiste informelle est l’instrument que nous avons trouvé le plus approprié en ce moment, pour cette action spécifique, parce qu’elle nous permet de faire aller ensemble notre irréductible individualité, le dialogue avec d’autres rebelles à travers la revendication, et pour finir la propagande faite par l’écho de l’explosion. Cela n’est pas et ne veut pas être un instrument absolu ni définitif. Un groupe d’action naît et se développe sur la connaissance, sur la confiance. Mais d’autres groupes et individus peuvent partager, même de façon simplement temporaire, une projectualité, un débat, sans se connaître personnellement. On communique directement à travers l’action. […] Avec cette action nous lançons une campagne internationale d’attaque contre les hommes, les structures et les moyens de la répression. Chacun.e avec l’instrument qu’il/elle considère le plus approprié et, s’il/elle le désire, en participant au débat. […] »
– Berlin. La Cellule Minorité violente de la FAI revendique l’incendie de véhicules d’entreprises de sécurité privée (6/03/2018) :
« […] L’incendie de véhicules de sécurité privée à Berlin comme outil utile de communication. En citant d’autres communiqués de revendication, nous rejoignons la proposition de se mettre en relation les un.e.s aux autres, afin de développer une mobilisation plus large des groupes combatifs en Europe, ainsi que de développer notre base théorique.
Nous reconnaissons vos mots à propos de la solidarité et nous les partageons, quand le groupe Rouvikonas a écrit au sujet de l’attaque de l’ambassade de l’Arabie Saoudite à Athènes, le 19 décembre 2017 […]. Des personnes à Rome ont exprimé nos pensées quand ils ont revendiqué, en tant que cellule Santiago Maldonado de la FAI/FRI, l’attaque explosive contre une caserne des Carabinieri dans le quartier de San Giovanni […]. Parfois il est nécessaire de définir le cadre dans lequel nous agissons, comme l’ont fait des anarchistes à Bar-le-Duc, quand ils ont dépensé beaucoup de rage et quelques flammes dans un parking d’Enedis […]. Même quand nous sommes peu nombreu-x-ses, nous pouvons nous organiser, au lieu d’attendre qu’une opportunité nous soit offerte par les soit-disant « organisateurs du mouvement », ou au lieu de simplement réagir à l’énième attaque des autorités. Nous pouvons agir et choisir nos moments nous-mêmes. […] ».
Pour finir avec les citations, un autre son de cloche, un texte « insurrectionaliste » tiré de « Avis de tempêtes. Bulletin anarchiste pour la guerre sociale », n. 1 (15/01/2018) ; le titre de l’article est « Recommencer » : « […] organisation informelle, c’est-à-dire une auto-organisation sans nom, sans délégation, sans représentation. […] Et pour être clairs : les organisations informelles sont elles aussi multiples, en fonction des objectifs. La méthode informelle n’aspire pas à rassembler tous les anarchistes dans une même constellation, mais permet de multiplier les coordinations, les organisations informelles, les groupes affinitaires. Leur rencontre peut arriver sur le terrain d’une proposition concrète, d’une hypothèse ou d’une projectualité précise. C’est là toute la différence entre une organisation informelle, aux contours forcément « flous et souterrains » (c’est-à-dire sans quête de projecteurs vis-à-vis de quiconque), et d’autres types comme les organisations de combat, pour lesquelles l’important est presque toujours d’affirmer leur existence pour espérer peser sur les événements, donner des indications quant aux chemins à suivre, être une force qui rentre dans la balance des équilibres du pouvoir. L’organisation informelle se projette ailleurs : fuyant l’attention des chiens de la domination, elle n’existe que dans les faits qu’elle favorise. Bref, elle n’a pas de nom à défendre ou à affirmer, elle n’a qu’un projet à réaliser. Un projet insurrectionnel. […] ».
Les compagnon.ne.s qui, dans les années 80-90 en Italie ont vécu dans leur chaire le soi-disant « projet insurrectionnel » devraient avoir bien compris que de jolis mots et des magnifiques théories ne suffisent pas à éviter « l’attention des chiens de la domination ». Le procès « Marini » nous l’a appris, avec ses décennies de prison et de vies brisées. L’absence de revendications et d’acronymes ne suffit pas pour être « flous et souterrains », quand on est « forcément » obligés, pour ne pas rester isolés du contexte « social », de participer à des assemblées où tout le monde tôt ou tard sait tout et où grégarisme, autorité et délégation apparaissent de façon régulière et inexorable. A mon avis, rien n’est plus loin de l’anonymat du « projet insurrectionnel » conçu de manière inclusive, « sociale ». La volonté de ne pas chercher « de projecteurs vis-à-vis de quiconque » ne suffit pas, quand les luttes sociales auxquelles nous participons nous font devenir acteurs et comparses de phénomènes médiatiques comme la Val de Suse ou, encore plus en arrière dans le temps, Comiso, des « laboratoires » où cette projectualité a été expérimentée dans les faits, du moins ici en Italie. La perspective insurrectionnelle porte en soi des risques de ce type, et on peut y faire face ou pas, c’est une question de caractère et de perspective et peut-être aussi de résultats…
Je ne peux pas oublier les silences pendant les assemblées, quand c’était toujours les mêmes qui parlaient et, de fait, décidaient. C’était la faute de la grande majorité de silencieux, moi y compris. Trop influencé par l’autorité (certainement non recherchée) des compagnon.ne.s avec plus d’expérience, avec plus de connaissance, qui parlent mieux, qui s’expriment mieux, qui font mieux… peut-être…
Aujourd’hui, depuis ma cellule, je ne sais pas qu’est ce qui reste de cette projectualité. Après la déception de la Val de Suse, des nombreu.ses.x compangon.ne.s devraient peut-être réfléchir à la nécessité de mieux calibrer leur action, non pas en visant vers le bas, mais en passant au niveau supérieur et en comprenant que suivre les gens coûte que coûte est contre-productif. La lutte « intermédiaire » risque de nous ramener en arrière plutôt qu’en avant, nous faisant perdre le sens de ce que nous sommes, un peu comme cela est arrivé le siècle dernier avec l’anarcho-syndicalisme. A celles et ceux qui n’étaient pas là pendant ces années-là, on peut raconter plein de contes de fée, mais de plus en plus souvent on finit par se raconter des contes de fées à soi-même, afin de garder en vie des illusions consolatrices ou notre petit pré-carré militant. Et justement pour ne pas me raconter des contes de fée je dois être clair (surtout avec moi-même) : il n’existe pas de pratique « pure », qui n’implique aucun compromis, aucun risque. La « pureté » n’existe pas, d’autant moins quand il faut se jeter dans une lutte désespérée dans laquelle l’« ennemi » nous entoure de toute part. De même, il n’existe pas une affinité « indestructible », « absolue » (la déception peut toujours être là, au premier coin), ce n’est pas dit qu’elle survive à tous les obstacles que le pouvoir met devant nous. N’ayant pas recours à une organisation informelle, tout se base sur l’amitié, sur la loyauté, sur le respect de sa parole, sur l’affection, sur l’amour et le courage, des choses qu’il serait trompeur de penser comme données, « éternelles ». Bien plus que dans une organisation classique, dans l’informalité il faut toujours être prêt à rester seul.e. Notre destin se tient entièrement entre nos mains, il n’y a aucun type de délégation. Le degré d’indépendance, d’autonomie, doit toujours être le maximum. Je pense qu’au fond cela est bien : « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » – on espère…
Pour conclure, je pense pouvoir affirmer qu’on a affaire à deux stratégies différentes, les deux basées sur l’informalité, mais qui agissent sur deux plans totalement différents : la première se rapporte au social, au « mouvement réel » et a l’objectif ambitieux de déclencher, sur des temps longs, une insurrection généralisée à partir de conflictualités limitées à un territoire circonscrit. L’autre a pour but, plus « modeste », de faire le plus de dégâts possible, sans attendre, avec les forces concrètes (même si « faibles ») qu’aujourd’hui même les anarchistes ont à leur disposition. Il ne doit pas y avoir d’opposition entre ces deux stratégies, elles peuvent aussi bien coexister, clairement séparées, dans un même moment, un même espace, une même lutte spécifique. Une autre chose que je crois pouvoir maintenir avec certitude est que toute pratique porte en soi des risques : l’organisation informelle « ouverte », qui cherche un rapport avec « le social », risque de nous édulcorer et de nous porter à la médiation de la politique. L’organisation informelle « instrument pour faire la guerre » (comme la FAI/FRI) risque de nous mener au « sectarisme », à une fermeture totale vis-à-vis du reste du monde. Avec le temps, on pourrait oublier qu’il s’agit d’un simple instrument parmi les autres et non pas d’une fin en soi ; on risquerait de se transformer en « supporteurs » d’un acronyme, n’étant plus des simples participants, par moments, d’un « instrument » commun. Pour éviter de tomber dans cette sorte d’« autisme » et répéter ainsi à l’infini les mêmes erreurs, il suffit de ne jamais se contenter des résultats obtenus, d’améliorer continuellement ses armes et surtout de ne pas oublier l’utilité de l’autocritique, puisque personne ne possède la « vérité », si tant est qu’une « vérité » existe.
Ces dernières années, avec cette « internationale » de l’action, des nombreux frères et sœurs ont commencé un nouveau parcours, ouvrant des perspectives impensables jusqu’à hier encore. Ne nous laissons pas submerger par l’« autisme des insurgés », cela serait impardonnable…
Longue vie aux campagnes internationales! Longue vie à la CCF! Vive la FAI/FRI ! Vive l’Anarchie !
Paola*, Anna**, que la terre vous soit légère…
Alfredo Cospito
*Paola, compagnonne active dans les luttes animalistes, dans l’écologisme radical et contre toutes les prisons , « même dans l’affirmation d’une éthique qui est en train de se perdre ». Parmi mes regrets, il y a aussi celui de n’avoir jamais croisé ton chemin…
** Anna Campbell, compagnonne de l’Anarchist Black Cross de Bristol, tuée à Afrin en combattant avec les YPG.