Horror vacui

Anarhija.info / mardi 6 février 2018

Il y a des anarchistes qui courent derrière les révoltes qui ont lieu dans d’autres continents, partout où sont pointés les projecteurs des médias. Il y a des anarchistes qui parlent de la « forteresse Europe » et ne savent même pas quels États européens font partie de l’UE. Il y a des anarchistes qui luttent contre les frontières et ne savent même pas jusqu’où va la frontière de l’espace Schengen. Il y a des anarchistes qui, en « gentils hommes blancs », voient dans les immigrés à la peau mate des possibles camarades, et ne voient même pas les immigrés venant du continent européen. Il y a des anarchistes qui parlent d’internationalisme et ne savent même pas (ou ils s’en foutent) ce qu’il se passe sur leur continent. Il y a des anarchistes qui se solidarisent de tous les prisonniers (ou tous les prisonniers politiques), comme si la prison était vraiment un lieu de correction, qui transforme automatiquement l’homme en un être meilleur (compagnon/anarchiste). Il y a des anarchistes qui considèrent les antifas comme leurs camarades, comme si les mouvements/partis de la Gauche/extrême Gauche étaient un mal mineur dans un front révolutionnaire illusoire. Il y a des anarchistes qui endossent le rôle de victime, seulement parce que femme, gay, trans, etc., comme s’il ne suffisait pas d’être « simplement » un être humain pour être opprimé par le Pouvoir, comme si ce concept était trop étroit et il fallait donc trouver d’autres étiquettes pour faire remarquer qu’on est plus opprimés que les autres. Comment peut-il être possible que, en ce temps de sexualité aliénée, quand des personnes, y compris des anarchistes, voient des agressions sexuelles à tout bout de champ, on veuille supprimer notre féminité/masculinité, en nous transformant dans le « genre » stérile dans lequel la démocratie est en train de nous transmuter, en harmonie avec cette société mécanique de sexualité mutilée ?

Il y a des anarchistes qui, au XXI siècle, parlent encore de lutte « des classes » (concept créé au XIX siècle, par Marx par ailleurs), tandis que nous vivons, « simplement », dans une société stratifiée (comme cela a été dans toutes les civilisations). Il y a des anarchistes qui adorent les peuples « natifs », comme si ceux-ci avaient déjà réalisé l’Anarchie (encore selon le concept du bon sauvage »), comme si l’histoire/le temps était linéaire (et non circulaire). Il y a des anarchistes qui disent vouloir décoloniser leur territoire de l’État, avec leur lutte de libération nationale (« la nation », ce concept né avec l’État moderne), comme si la Terre était une propriété privée, comme si on n’était pas tous colonisés par l’État. C’est comme si les anarchistes avaient fétichisé la lutte en elle-même, toute lutte, indépendamment de ses objectifs, de ses sujets, son contexte et son idéologie. Tant qu’il y aura une quelconque infime minorité en conflit avec un ennemi plus fort, on sait qu’elle trouvera de l’espace (et parfois aussi du soutien) sur les sites de contre-information. Comme si pas mal d’anarchistes avaient oublié que les luttes de libération nationale ne sont pas des luttes contre le pouvoir, mais des luttes pour le pouvoir (la libération nationale est une expression appropriée pour ce qu’elle est : la libération de la nation, pas des êtres humains). De même, les luttes des groupes « natifs » n’essayent pas de détruire le pouvoir, mais d’obtenir une (plus grande) partie de celui-ci. Ni les kurdes, ni les palestiniens, ni les mapuches, ni aucune autre minorité ethnique opprimée ou mouvement irrédentiste/séparatiste cherche à abolir l’oppression en elle-même, mais simplement à abolir l’oppression contre soi-même, de façon à être libres, par la suite, de devenir à leur tour des oppresseurs et construire leur propre empire national justifié par les mêmes mythes ancestrales et par le « droit » à une « mère-patrie » et à l’« autodétermination nationale ». Ces concepts sont le langage de l’État et ne devraient pas trouver d’espace sur des moyens d’informations anarchistes. Toutes ces luttes se développent sous la hulotte cultuelle de l’État-nation. Comment quelqu’un qui se considère anarchiste peut-il trouver des camarades parmi des personnes qui reproduisent le pouvoir, l’autorité et la soumission ?

Et puis il y a des anarchistes qui ne sont pas satisfaits d’être épiés, fichés, filmés en permanence et qui se prennent en photo/vidéo, à partager en ligne. Il y a des anarchistes qui utilisent les réseaux sociaux comme des endroits où discuter (avec les « j’aime », « follower » et « amis » qui vont avec). Il y a des anarchistes tellement dévoués à la libération animale comme si l’anarchie était atteignable par magie, en devenant tous vegan, comme si la libération était multiple et pas indivisible (de la Terre et de tout ce qui la compose).

« Tout est vitesse, instant, instinct (…). Ma nature est – opposition ; logique – indiscipline ; philosophie – révolte » (Janko Polić Kamov, « Sloboda »)

Comment veux-tu détruire l’existant si avec tes luttes elles-mêmes tu le maintient ?

anarhija.info et quelques compagnons

 

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