Du pain sur la planche n° 5, février/mars 2017
Petit matin, en chemin pour le taf, X traverse le marché de la plaine, lorsqu’elle entend des cris. Il lui faut jouer des coudes pour se rapprocher et comprendre ce qui se passe. Une femme au milieu de plusieurs types (quatre « forains ») est bloquée dans ses mouvements par une foule immobile. Ces connards lui parlent mal, la menacent, lui lancent insultes et remarques sexistes dégueulasses. Pourtant isolée au milieu de ces chacals et de leurs complices, elle reste droite, campée sur ses positions. Juste à côté, un « ancien » se fait copieusement humilier par un autre commerçant, qui lui dit qu’il l’a déjà prévenu, qu’il veut plus le voir, que ça fait déjà plusieurs fois qu’il vole des trucs : s’il revient il lui pétera la gueule. Si celle-là est ciblée par les quatre affreux, c’est qu’elle a pris la défense du vieux voleur. Encore plus à la bourre et franchement vénère cette fois, ma pote essaye de trouver des complices pour envoyer chier les forains. En vain. Une des seules réponses qu’elle obtient est « ça fait de l’animation ». De cette anecdote qui mêle violence « de classe », sexisme et connerie ordinaire, et qui rend visible (une fois de plus) la lâcheté mesquine de la foule, il n’y a pas grand chose de joli à retirer. Si quand même: les attitudes de celle qui s’interpose face à ce qui la dégoûte et de X, qui essaye de desserrer l’étau autour d’elle, tente de lui offrir une porte de sortie.
Crève la démagogie… je vais pas te mentir: si je m’identifie à quelqu’un-e ce ne sera ni à ces commerçants, ni aux membres de cette masse silencieuse. Alors qu’ aménageur-euse-s, urbanistes et politicien-nes¹ travaillent à rendre Marseille toujours plus lisse, aseptisée et contrôlable, ce marché ne me fait pas plus rêver qu’un autre. Ne compte pas sur moi pour faire mon beurre sur une hypothétique « identité marseillaise » ou invoquer le mythe d’un quartier « populaire et rebelle » (et de son square miteux et grillagé). Ils sont évidemment traversés par les mêmes rapports de domination (sexisme, racisme…) que l’ensemble de cette société merdique. Heureusement, il n’y a aucun besoin de vanter ce qui existe (et qu’ « on » a pas choisi non plus) pour lutter contre les nouveaux plans du pouvoirs. Les encravaté-es de la SOLEAM (& cie) viennent de présenter leur nouveau plan de réaménagement de la plaine. Certain-es invoquent un « nous » unitaire, qui regrouperait habitant-es du quartier, forain-es, habitué-es de la plaine, et aurait le même intérêt à ce que le quartier reste comme il est actuellement… Si l’on refuse de cacher nos incompatibilités dans ce faux « nous », et de se ranger derrière la bannière des forain-es en lutte, ce n’est pas pour se laisser dégager gentiment par ce nouveau « coup de propre » qui vise à dégager les pauvres et les indésirables toujours plus loin du centre. Pourquoi ne pas multiplier initiatives, assemblées et espaces de lutte autonomes, qui définiraient leurs propres bases et modalités de fonctionnement, sans s’ériger en porte-paroles ni « interlocuteurs » du pouvoir, ou rentrer dans le jeu de la « cogestion » ou de la revendication.
L’enjeu est de taille : dégager toutes celles et ceux qui prétendent gérer les populations et aménager la ville, pour choisir (enfin) par et pour nous-mêmes de quoi nos vies sont faites.
Notes :
¹Qui inondent le marché de leurs sales gueules en ce moment