Le Monde / mercredi 2 décembre 2015
L’exécutif affine sa double réponse, politique et sécuritaire, aux attentats du 13 novembre. Le premier étage est essentiellement symbolique : il s’agit du court texte de la révision constitutionnelle, transmis pour avis au Conseil d’Etat mardi 1er décembre. Le gouvernement entend ajouter un ou deux articles à la loi fondamentale. En premier lieu, l’inscription dans la Constitution de l’état d’urgence. Le chef de l’Etat a reçu mardi le président du Sénat Gérard Larcher et celui de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, pour les consulter.
Considérée comme juridiquement fragile, la loi du 3 avril 1955, qui prévoit l’instauration de l’état d’urgence « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant le caractère de calamité publique », présentait, en droit, un risque sérieux pour l’exécutif : celui du dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par un assigné à résidence, laquelle obligerait le Conseil constitutionnel à se prononcer. Il importait de « solidifier le régime juridique » de l’état d’urgence et de lui donner « un soubassement constitutionnel ».
Le processus d’entrée en état d’urgence devrait demeurer le même qu’aujourd’hui : un décret présidentiel, validé ensuite pour une durée déterminée par le parlement. Celle-ci, pourtant, évolue. L’ambition initiale de la porter à un an a été abandonnée, mais l’état d’urgence pourra être prononcé pour six mois, contre trois actuellement. La question de la sortie est également abordée : afin de ne pas voir s’égayer dans la nature toutes les personnes surveillées, une forme d’état d’urgence transitoire est envisagée. Sans nouvelles perquisitions administratives ni assignations à résidence, mais avec des pouvoirs de police qui resteront valides pendant un temps. « L’idée est d’introduire des périodes de sortie progressive selon les situations », note-t-on à Matignon.
Beaucoup plus politique, l’autre point qui pourrait figurer dans la révision constitutionnelle concerne la déchéance de nationalité. Ce point ne semble pas tout à fait tranché : doit-il être inscrit dans la constitution, ou une loi suffit-elle ? C’est l’une des questions que le gouvernement pose au Conseil d’Etat. Déjà prévue par les articles 23-7 et 25 du code civil pour les binationaux, la déchéance de nationalité, quoi qu’il en soit, pourrait être étendue à ceux nés français, et non plus à ceux qui ont acquis la nationalité. La chancellerie n’était pas favorable à ce qui s’apparente à la fin du droit du sol. Mais l’arbitrage semble d’ores et déjà perdu.
Au-delà de cette modification constitutionnelle, deux textes de loi, en cours d’élaboration et qui pourraient être présentés dès janvier en conseil des ministres, devraient compléter et préciser le dispositif en donnant davantage d’opportunités aux services de police. L’hypothèse d’une loi organique n’a pas été retenue. Un premier volet de mesures organisera les pouvoirs de police et « les modalités de sortie en escalier » de l’état d’urgence, donc avec des mesures transitoires, voire certaines qui pourraient être prolongées. Un autre volet élargira les pouvoirs du parquet et de la police en temps ordinaire dans la lutte antiterroriste : déjà dans les tuyaux de la Chancellerie depuis des mois, un projet de loi modifiant le code de procédure pénale devrait servir de véhicule législatif.
Même si toutes les propositions formulées ne seront pas retenues, toutes vont dans le sens d’une augmentation considérable des pouvoirs policiers sans contrôle judiciaire a priori. Parmi elles, la possibilité de saisie par la police de tout objet ou document lors d’une perquisition administrative, sans contrôle du procureur, une mesure peu spectaculaire mais politiquement significative. Tout comme les perquisitions de nuit, la création d’un délit d’obstruction de la perquisition administrative, l’interconnexion globale de tous les fichiers, notamment ceux de la sécurité sociale, très complets, l’élargissement des possibilités de vidéosurveillance dans les lieux publics, l’assouplissement du régime de la légitime défense pour les policiers ; ou encore l’installation systématique de GPS sur les voitures de location, l’injonction faite aux opérateurs téléphoniques de conserver les fadettes pendant deux ans, contre un aujourd’hui, la garde à vue en matière terroriste portée de six à huit jours, l’utilisation des IMSI-Catchers, ces valisettes antenne-relais siphonnant dans un périmètre donné toutes données téléphoniques sans autorisation judiciaire. Ont également été évoquées la possibilité de poser des micros dans des domiciles dans le cadre de l’enquête préliminaire ; ou l’alignement des pouvoirs accordés en enquête de flagrance (faites par la police) sur ceux en vigueur lors des enquêtes préliminaires (sous le contrôle du procureur).
[…] L’objectif est de présenter la réforme constitutionnelle au conseil des ministres le 23 décembre, puis au Parlement dès janvier. D’abord au Sénat, pour y éprouver l’éventuelle résistance de la majorité de droite, puis à l’Assemblée nationale, avant un éventuel vote par le Congrès. A cette heure, rien n’indique, vu le climat d’inquiétude qui règne dans le pays après les attentats, que le vote par les trois cinquièmes du Congrès soit compromis. La mise en place de l’état d’urgence, dans la foulée des attentats, n’avait pas vraiment fait débat au sein de la classe politique, du moins, dans un premier temps. Sa prolongation pour trois mois avait même été votée à une très large majorité le 19 novembre. Mais les critiques affleurent au fur et à mesure de sa mise en oeuvre, notamment à gauche. […]