La Croix / lundi 2 mars 2015
Le niveau alerte attentat du plan Vigipirate, déclenché le 7 janvier 2015, n’avait jamais été maintenu aussi longtemps.
Faute de pouvoir prendre les jours de repos nécessaires, policiers et militaires avouent accuser le coup physiquement.
Jean porte fièrement l’uniforme. Ce CRS d’une quarantaine d’années fait partie des troupes envoyées en renfort à Paris pour protéger les bâtiments sensibles (lieux de culte, médias, écoles juives…) dans le cadre de Vigipirate.
« Là, physiquement, j’atteins un peu mes limites », reconnaît ce gradé rattaché habituellement à la caserne de Saint-Omer (Nord). Alternant les factions devant les ambassades et les synagogues, il accuse le coup à force de voir ses périodes de repos reportées.
« Début février, j’ai fait dix heures de faction quasiment d’affilée », témoigne-t-il. À la clé : une journée off après neuf jours de vacation. « J’ai hésité à rejoindre la famille. Finalement je suis resté à la caserne et j’ai dormi ! »
Son collègue Vincent est davantage d’attaque. Après trois semaines quasiment non-stop, il est tout juste de retour à Paris après quatre jours passés en famille, à Metz (Moselle). « Pour être honnête, ça ne s’est pas très bien passé », maugrée l’intéressé, posté devant une entreprise de presse. Ma femme et mes mômes m’ont reproché de ne faire que dormir ! » Il lui semble évident que le niveau de vigilance actuel ne pourra pas durer très longtemps. « On ne va pas pouvoir tenir à ce niveau-là », assure-t-il.
« Chacun a peur, à force de stress et de fatigue, de la balle perdue »
Sur le long terme, Vigipirate s’est pourtant bien installé dans le paysage français. « À chaque nouvel attentat, on l’élève d’un cran, et aucun gouvernement ne se risque ensuite à revenir en arrière de peur, en cas d’attentat, qu’on le lui reproche », constate Jean-Hugues Matelly, à la tête de GendXXI, la toute nouvelle association professionnelle de défense des gendarmes, eux aussi largement mis à contribution depuis le 7 janvier.
Il craint pourtant que cette banalisation n’augmente les risques de bavure. « Mobilisés au long cours, les militaires s’épuisent. Chacun a peur, à force de stress et de fatigue, de la balle perdue. »
Jean-Hugues Matelly met en cause la baisse constante des effectifs. « Il faut à nouveau recruter. Et vite, car ceux qui le sont aujourd’hui ne seront opérationnels que dans six mois ! » À l’Unsa-Police, on plaide surtout pour le transfert d’une partie des activités de surveillance vers les officines privées.
« Il s’agit certes au départ d’une activité régalienne mais, vu le contexte, il faut déléguer », estime Christophe Crépin, délégué à l’Unsa. Une perspective qui continue, toutefois, de diviser la profession.
Militaires et policiers sur le terrain réclament un redéploiement des troupes
Dans l’immédiat, militaires et policiers sur le terrain réclament surtout un redéploiement des troupes. Leur principale doléance : la fin ou, au moins, la diminution des patrouilles statiques. « Rester debout des heures entières devant un bâtiment avec nos deux gilets pare-balle, notre fusil 5.56, notre casque… c’est épuisant à la longue », soupire Jean, qui évalue le poids de son équipement à 13 kg. « On pourrait continuer à être présents 24 heures sur 24 dans les quartiers sensibles ou autour des lieux à protéger tout en faisant des rondes mobiles, en restant à bord de nos fourgons. »
Cette « surveillance dynamique », comme disent les autorités, devait être systématisée mi-février, mais les agressions de trois militaires à Nice et les attentats de Copenhague l’ont reportée. Jusqu’à quand ? « Les choses pourraient évoluer début mars nous dit-on ! », espère un gradé.
Une directive européenne de 2003 qui encadre strictement les cadences de travail des militaires (1) pourrait jouer en leur faveur. « Ils doivent selon ce texte bénéficier chaque jour de onze heures de repos d’affilée et, chaque semaine, d’au moins une journée sans astreinte, précise Jean-Hugues Matelly. Avec Vigipirate, ces règles sont bafouées. »
La directive prévoit toutefois une série d’exceptions, notamment en cas de guerre, d’état de siège ou d’état d’urgence. Reste à savoir si tel est le cas aujourd’hui.