lepoint / samedi 27 novembre 2014
Le « pire jour » de leur carrière. Les collègues de Romain Lacour, un CRS rendu infirme par le jet d’un pavé, ont raconté jeudi devant les assises de Seine-et-Marne ces minutes terribles où ils l’ont vu, le « crâne ouvert en deux », tituber « comme une bête blessée ». Ils étaient quatorze, ce 2 mars 2011, à patrouiller aux abords de la gare RER de Noisiel. Un jour de marché, où règne une ambiance « bon enfant ». Le groupe dont fait partie Romain Lacour procède à un contrôle d’identité quand, soudain, son collègue Laurent Bonocini voit tomber « comme des oiseaux, dans un grand vacarme ». En réalité, ce sont des pavés jetés depuis le toit d’un immeuble de 20 mètres de haut, dont l’un, de 2,3 kg, atteint le jeune homme en pleine tête, à 73 km/h.
« Je le vois qui titube, s’écroule, cherche à se relever, comme une bête blessée », a témoigné M. Bonocini au troisième jour du procès des trois auteurs présumés de ce « caillassage ».
Avec un débit lent, Jérôme Petitdemange, qui a prodigué les premiers secours, a raconté cette vision qui, depuis quatre ans, le hante: « J’ai vu son cuir chevelu se déchirer, laissant apparaître son crâne d’un blanc couleur ivoire… Romain qui vacille, et le sang qui commence à se répandre. »
Il tente de stopper l’hémorragie avec son calot de police. « J’avais les mains dans le sang chaud de mon collège, ce sang que nous n’arrivions pas à arrêter », raconte-il d’une voix hachée par l’émotion.
Pascal Mathieu, un ami du père de Romain, lui-même ancien CRS, décrit à son tour la « plaie béante, le crâne ouvert en deux ». Sur le moment, il est convaincu qu’il ne s’en sortira pas.
– Couper sa viande, faire ses lacets –
Pour tous, leur collègue et ami est « le gars parfait ». Sportif de haut niveau, il avait atteint l’excellence dans plusieurs disciplines. Mais cette passion relève désormais du passé.
Héliporté à l’hôpital, le jeune homme reste plusieurs semaines entre la vie et la mort. Aujourd’hui, il garde une infirmité permanente: il est sourd d’une oreille et ne peut plus servir de son bras gauche.
« Romain ne sera plus jamais CRS. Il est pudique alors il ne le dira pas, mais il faut l’aider à couper sa viande, à se déshabiller, à faire ses lacets. C’est une +gueule cassée+, comme en temps de guerre », témoigne M. Bonocini.
Jusque-là, la victime, assise à côté de son père, a écouté, essuyant parfois ses larmes. Appelée à son tour à la barre, elle raconte, avec des mots sobres, sa « bataille » pour rester en vie.
Et sa vie qui ne sera plus jamais la même, la séparation d’avec sa femme, sa rage de devoir être traité comme un assisté: « Je suis en pleine fleur de l’âge, je suis sportif, j’ai une vie de famille épanouie, une petite fille, un métier que j’aime… et tout s’effondre. »
Aux deux principaux accusés, Mohamed Diakité et Thomy N’Gangu, qui assurent depuis le début du procès n’avoir pas visé intentionnellement la patrouille et lui renouvellent leurs excuses, il dit douter de leur sincérité, rappelant les propos de haine tenus à l’égard de la police pendant leur garde à vue, et qui ont électrisé les débats mercredi.
« On est là aussi pour aider les gens », dit-il aux jurés, « parce qu’ils ont le droit de vivre tranquillement, sans se faire pourrir la vie par des voyous ».
Le verdict est attendu vendredi soir.