Le Parisien / dimanche 11 mai 2014
La DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), le service de contre-espionnage français, entame une révolution : désormais, des civils vont être recrutés selon leurs compétences techniques pour devenir des espions modernes. Réformée, elle devient ce lundi la DGSI, direction générale de la sécurité intérieure. Avec des moyens et des compétences élargies, la DGSI se veut le pendant policier du célèbre service d’espionnage extérieur, la DGSE, dépendant de la Défense, et présent partout dans le monde où les intérêts français sont en jeu.
A l’occasion de cette réforme, l’accent est aussi mis désormais sur la collecte de renseignements et d’informations au niveau local, dans tous les départements de France. L’objectif est de rétablir un maillage fort alors qu’à l’époque de l’affaire Merah, l’efficacité de la collecte de renseignements avait été très critiquée. C’est la mission dévolue au SCRT, service central du renseignement territorial. Philippe Bertrand dévoile les objectifs du service qu’il dirige, chargé de la collecte, de la centralisation et de la transmission aux autorités des renseignements collectés sur le sol national.
Quelles sont les raisons de cette réforme du renseignement territorial ?
Philippe Bertrand. Ce service n’est pas une nouveauté, mais est en phase de modernisation, comme d’autres directions qui forment la communauté du renseignement intérieur. En 2008 déjà, la sous direction de l’information générale (SDIG) a repris les prérogatives attribuées jusqu’alors aux anciens renseignements généraux. Six ans après cette évolution, il y a eu une volonté de moderniser le service et de le mettre en adéquation avec les problématiques actuelles et celles qui peuvent spontanément se dessiner.
Quelle est la vocation du service central du renseignement territorial ?
Les 2 200 policiers affectés au sein de ce service sont des généralistes du renseignement, chargés de recueillir sur le terrain diverses informations en lien avec tous les domaines de la vie traditionnelle, économique et social susceptible de provoquer des mouvements contestataires. Ainsi, nous pouvons travailler aussi bien sur les dérives urbaines et le communautarisme religieux, que sur les mouvements d’ultra gauche et d’ultra droite. A titre d’exemple, nous avons travaillé dernièrement sur le mouvement de protestation contre l’écotaxe, la Manif pour tous, et la détection filières djihadistes. Par la suite, ces informations font l’objet de notes qui sont transmises aux autorités gouvernementales et administratives.
Vous leur dressez un état des lieux ?
C’est l’un des objectifs majeurs. Dans le cas du mouvement des « bonnets rouges » par exemple, une partie de notre travail était de mesurer et de qualifier l’état de l’opinion en Bretagne et dans le grand ouest, afin de savoir de quelle manière le mouvement était susceptible d’évoluer. Sur la question des filières djihadistes par exemple, notre service est traditionnellement à l’origine des premières remontés d’informations, grâce aux différents contacts que nous avons pu nouer au fil des années dans différents secteurs. C’est une façon d’être prospectif et d’anticiper les événements pour le compte des Préfets de chaque département, mais aussi au niveau du gouvernement.
Allez-vous bénéficier de nouveaux renforts humains ?
Oui, environ 250 policiers et gendarmes supplémentaires vont venir garnir nos rangs, ce qui est particulièrement appréciable dans une période de rigueur budgétaire. Nous allons recréer des sections de recherches au sein des zones de défense réparties sur le plan national. Elles seront plus spécialement dédiées à la collecte de renseignement en milieu fermé, en direction de la contestation politique violente, de la radicalisation religieuse, et des dérives urbaines à l’image de la lutte contre l’économie souterraine. Sur ce dernier point, il n’est pas question de réaliser des missions de police judiciaire, mais davantage à la détection des phénomènes et à l’identification des réseaux qui gangrènent certains quartiers.
Depuis 2008, certaines voix laissaient entendre que l’information générale était le « parent pauvre » du renseignement. Pensez-vous que cela va évoluer ?
Il est vrai que depuis 2008, le travail de la sous direction de l’information générale (SDIG), a été parfois mal considéré, et je pense à tort. On mettait davantage en lumière les missions de la DCRI, alors que la majeure partie du renseignement territorial a été réalisée par les SDIG. Mais les dernières crises sociales évoquées précédemment ont démontré la nécessité d’avoir un renseignement territorial de qualité. Enfin, notre objectif est de travailler en parfaite concertation avec la DGSI, et de former une parfaite chaîne de renseignement complète et efficace.