France Bleu / jeudi 19 décembre 2024
Le 10 décembre 2023, une centaine de personnes s’étaient introduites dans la centrale à béton du groupe Lafarge à Val-de-Reuil, dans l’Eure, répondant à un appel national du collectif des Soulèvements de la Terre pour une journée d’action contre Lafarge et le monde du béton. Vêtus de combinaisons blanches, de gants, le visage dissimulé, les militants ont cassé des vitres, éventré des sacs de ciment, et détérioré du matériel informatique. Ils ont aussi enfermé le gardien de la cimenterie dans un local, et inscrit des tags hostiles au groupe sur les murs, tels que « Lafarge terroriste » ou encore « le béton tue ». L’enquête est confiée à la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire et quatre mois plus tard, 17 personnes sont interpellées.
Huit d’entre elles ont été remises en liberté faute de charges suffisantes, mais neuf sont jugées jeudi et vendredi pour des faits de dégradations, séquestration et association de malfaiteurs. Sept hommes et deux femmes, dont beaucoup d’enseignants ou d’anciens enseignants, qui comparaissent libres devant le tribunal correctionnel d’Évreux, et n’ont pas été placés sous contrôle judiciaire. Les prévenus risquent jusqu’à 10 ans de prison.
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Le procès est prévu sur deux jours. Des arrêtés d’interdiction de manifestation et d’attroupement dans un périmètre de sécurité ont été pris le 16 décembre par la ville d’Évreux, interdisant la circulation et le stationnement entre 7 heures et 22 heures ce jeudi et ce vendredi dans un périmètre bien précis. Le dispositif de sécurité mis en place prévoyait, selon le communiqué de la préfecture de l’Eure, la mise en place d’un filtrage par les forces de l’ordre des piétons qui seraient amenés à emprunter les axes situés aux abords du palais de justice. Arrêté finalement annulé ce jeudi soir par le tribunal administratif de Rouen, […]
selon France Info, même date :
[…] Selon le parquet, le gardien aurait été « séquestré » dans une pièce jusqu’à l’intervention de la police une dizaine de minutes plus tard. « Vêtues de combinaisons blanches, les visages dissimulés et porteuses de gants », selon un communiqué de Rémi Coutin, ces personnes avaient empêché l’agent de sécurité de sortir de son local avant de se livrer à « d’importantes dégradations ».
Avant d’être dispersés par la police à l’aide de gaz lacrymogène, ces activistes écologistes avaient inscrit plusieurs tags dénonçant les activités de l’industriel et les soupçons d’un financement de l’État islamique qui pèsent sur le groupe.
Les dégradations commises sur le site Lafarge de Val-de-Reuil – mousse expansive à l’intérieur de plusieurs appareils, béton dans une arrivée d’eau, un contenant de billes de polystyrène et des sacs de ciment éventrés ou encore vitres brisées – sont estimées à plus de 450 000 euros. […]
et selon BFM, même date :
[…] Des tags proclamant « Demain sera sans béton ou ne sera pas« , « Lafarge terroriste« , « le béton tue« , ou « Drogués au béton ? Qui est votre dealer ? Macron Daesh ? JO » avaient par ailleurs été relevés, selon le parquet. […]
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Mise à jour du 21 décembre : des relaxes et du sursis
extraits de Reporterre / samedi 21 décembre 2024
Les neuf personnes mises en cause suite à une action contre une cimenterie Lafarge en décembre 2023 ont, à l’issue de leur procès, reçu leur verdict le vendredi 20 décembre. Cinq d’entre elles ont été relaxées [1], les quatre autres condamnées à respectivement six et dix mois de prison avec sursis. Ils risquaient pourtant jusqu’à 10 ans de prison pour association de malfaiteurs et séquestration, au terme d’une procédure qui aura vu les moyens de l’antiterrorisme déployés contre ces écologistes.
Avec un tel enjeu, les pouvoirs publics ont, eux aussi, sorti les grands moyens pour les deux journées qu’a duré l’audience au tribunal d’Évreux : rues barrées, escouades de CRS et filtrage des piétons donnaient aux abords du palais de justice un aspect bunkerisé. Ce qui n’a pas empêché, non loin, le rassemblement de plusieurs dizaines de soutiens des prévenus à l’appel d’organisations comme Sud éducation et le Nouveau parti anticapitaliste, dont deux des mis en cause sont membres.
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Par la voix de son avocat, maître Arnaud de Saint-Rémy, la multinationale du béton estime les dégâts totaux à 453 000 euros et réclame 278 000 euros aux prévenus ainsi qu’un euro symbolique de dommages et intérêts pour le préjudice psychologique qui aurait été subi par les employés du site.
« C’est l’économie de la société qui est en jeu. On peut ne pas être d’accord mais est-ce qu’on peut s’en prendre à des outils de production ? » a déclaré l’avocat. D’après le directeur de la centrale à béton de Val-de-Reuil, l’usine n’a pu reprendre son activité que le 30 janvier 2024 soit près de deux mois après les faits, à une cadence réduite.
Pour la défense, l’enquête aurait été entachée de nombreuses irrégularités. Ainsi, certaines des analyses détaillées de factures téléphoniques — qui comprennent les numéros appelés et l’historique d’envoi de SMS — auraient été réalisées sans réquisition d’un magistrat. Même constat pour l’exploitation de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (Lapi), qui a permis d’identifier les voitures des suspects à une dizaine de kilomètres du lieu des faits.
« 10 000 véhicules ont été flashés ce jour-là par ce Lapi,comment a-t-on pu réduire à 10 voitures suspectes ? » a interrogé l’avocate Aïnoha Pascual, qui dénonce une enquête faite à rebours en se basant sur les fichiers issus des services de renseignements sur les militants écologistes.
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Un autre inculpé a quant à lui décrit les conditions de son arrestation : « J’ai été pointé avec un fusil d’assaut par des policiers, on me demande de me mettre au sol puis on me relève et on me roue de coups pendant trente secondes à une minute avant de me dire les faits qui me sont reprochés ». Un mauvais traitement qui lui a valu quatre jours d’ITT, déclare son avocat.
[1] Parmi ces personnes, trois ont tout de même été condamnées à 400 € d’amende pour refus de donner leur photographie et empreintes digitales au moment de leurs interpellations.