reçu par mail (en grec et en italien, d’où nous traduisons) / vendredi 29 décembre 2023
Le 13 décembre, près d’un mois après ma libération, on m’a notifié le recours du substitut du procureur de la Cour d’appel d’Eubée contre la décision de suspendre ma peine, pour demander que je retourne en prison. Dans son recours, il demande la « disparition » de la sentence du tribunal du district de Thèbes, qui m’a fait sortir de prison. Il s’agit d’un geste politique dicté par le mécontentement évident que ma libération a suscité dans certains centres de pouvoir.
Étant donné la logique de ce recours en appel, ses argumentations et les « preuves » qui y sont citées, il est évident qu’aucun ministère publique s’en serait occupé s’il avait porté sur tout autre prisonnier ou détenu. Par exemple, dans son recours en appel, le substitut du procureur d’Eubée « critique » la « méthodologie » utilisée par le tribunal du district de Thèbes, c’est-à-dire le fait que je n’ai pas été convoquée en personne à l’audience où l’on a examiné ma demande de libération conditionnelle, alors qu’avant moi des milliers de femmes ont été libérées de la prison d’Eleónas avec l’utilisation de la même méthodologie, sans qu’aucun procureur ne s’en occupe jamais. Parce que, selon l’approche du tribunal du district de Thèbes à cette problématique – apparemment correct –, le procureur qui propose la libération conditionnelle d’une détenue est aussi celui qui travaille dans la prison, qui connaît les détenues et, en collaboration avec le service qui a les plus de « frictions » avec ces femmes, en a une opinion dont la valeur est particulière et qui, objectivement, ne peut pas être invalidée par quelques minutes de présence par Skype de la détenue elle-même, lors de l’audience, devant des magistrats qui la verraient pour la première fois. La présence d’une détenue à l’audience pour sa libération conditionnelle a lieu seulement si l’avis du procureur est négatif, dans le but de vérifier encore une fois si la prorogation de sa détention est justifiée.
Je ne crois pas que le parquet d’Eubée ait découvert seulement maintenant la méthodologie qui a été utilisée pendant des décennies pour les détenues de la prison d’Eleónas, lors d’innombrables audiences judiciaires à Thèbes (et à Athènes, parce que la même méthode est appliquée dans la prison de Korydallos). Ce n’est que dans mon cas qu’ils ont présenté un recours, bien entendu parce que… c’est moi et parce qu’il y a un certain cadre et une motivation politique.
Un autre point soulevé par ce recours en appel est l’évocation, de la part du procureur, des acquittements pour des rapports disciplinaires suite à des protestations, dans la prison de Korydallos, en 2017. Au delà du fait qu’il s’agit d’acquittements – mais même des condamnations pour des infractions disciplinaires ne seraient pas suffisantes, selon le Code pénal, pour empêcher la libération conditionnelle d’un détenu – il ne semble pas que le procureur se soit soucié du fait que ces rapports disciplinaires et les acquittements correspondants concernaient des dizaines de détenues qui avaient participé aux mobilisations. Aucune de ces femmes n’a eu de problèmes à cause de ces histoires, lors de son audience de libération conditionnelle. Le fait même qu’on les cites comme de arguments pour me renvoyer en prison montre sur quelles bases se fonde leur argumentation et quel est le niveau d’arbitraire qu’on essaye d’exercer à mon encontre.
Ce qui motive sans doute ce recours en appel est qu’il veut (ou, plus être plus précise, qu’ils veulent) de moi des déclarations de légitimité politique et des déclarations de repentir. On peut le déduire, entre autres, du fait que le recours fait référence aux motivations des deux premières décisions de la direction de la prison, qui a rejeté mes premières requêtes de permissions ordinaires pour des raisons de nature politique, puisque leur première décision portait sur des positions politiques que j’avais occasionnellement exprimé en public et au tribunal (en substance, c’était ma « ligne » de défense) et la deuxième portait sur mon livre « État contre État ». Les sept permissions ordinaires dont j’ai bénéficié sont considérées comme insuffisantes pour me concéder une libération conditionnelle, alors que la justification politique du rejet de mes deux premières demandes de permission, annulée par la suite, est considérée comme plus importante.
Il est aussi significatif que la seule procureur de la prison qui ait été citée par le procureur d’Eubée dans son recours soit celle qui m’a donné cinq permissions ordinaires et deux permissions d’urgence, de 48 heures, pour des graves raisons de famille, dont une sans escorte ; c’est précisément la procureur qui a proposé ma libération conditionnelle au tribunal du district de Thèbes. Bref, il « accuse » la procureur de Thèbes de ne pas s’être prise en considération… elle-même : un vieux avis à elle, exprimé il y a un an et demi. Je ne vais pas m’étendre plus, ici, sur les motivations de ce recours en appel, mais ces éléments confirment mon assertion qu’il s’agit d’une geste qui a des motivations politiques et que c’est voulu, car un recours contre la décision d’une commission pour la libération conditionnelle ne se fonde pas sur… des doutes, qui, en plus, ne sont même pas démontrés, mais bien sur des preuves fortes et concrètes. De plus, la libération conditionnelle n’est pas et n’a jamais été une « amnistie », mais une mesure qui est donnée de manière obligatoire, et un éventuel « doute » ne suffit pas pour prolonger la détention, sans conditionnelle. En cas contraire, l’existence d’une telle institution n’aurait pas de sens et dans mon cas – si, au final, la Cour d’appel m’imposera une nouvelle incarcération – le droit à la libération conditionnelle serait éludé et pratiquement aboli (d’abord pour moi, ensuite pour d’autres personnes également).
Le tribunal de Lamia a déjà atteint un tel niveau dans son abolition de facto du droit à la libération conditionnelle et elle insiste encore une fois dans le refus de libérer mon compagnon Nikos Maziotis de la prison de Domokos, même s’il a purgé bien plus de temps en prison que ce qui est exigé.
C’est le tribunal de Thèbes qui a décidé de me libérer, car les juges ont considéré que je ne pouvait pas être privée du droit de sortir en liberté conditionnelle, car aucune exception ne saurait exister, pour aucune raison, pour aucun détenu. La proposition du procureur de Thèbes d’accepter ma libération est fondée sur l’idée que je ne suis pas privée du droit à une libération conditionnelle à cause de motivations politiques. Le recours en appel du procure d’Eubée va à l’encontre de ce point de vue et en faveur de mon réincarcération, pour des motivations d’idées, de positions, de convictions et de valeurs politiques et il demande qu’on m’applique un état d’exception pour des motivations politiques.
Je pense que l’élément plus important, dans ce geste et dans cette méthode, est que ma sortie de prison est perçue comme une « défaite politique » par certains milieux du système et que la prorogation pour un temps indéterminé de ma détention serait pour eux une « correction ». Parce que, si la Cour d’appel d’Eubée accepte de me réincarcérer, en adoptant la logique du recours, c’est-à-dire sans preuves ni faits, mais seulement à partir de spéculations politiques, cela signifierait qu’ils veulent me garder en prison pour un temps indéterminé. Tout cela ne peut avoir lieu pour aucune autre raison que pour la nature politique de l’affaire pour laquelle j’ai été en prison pendant 8 ans et demi (treize ans en tout, entre prison et contrôle judiciaire) : l’action de Lutte Révolutionnaire, mais surtout à cause de mon attitude politique face à la persécution et aux procès. Ils considèrent mon parcours historique comme « réglé de manière efficace ». Il s’agit d’un geste de simple vengeance politique.
P.-S. Au moment de ma libération, quelques journalistes ont essayé de créer un climat politique de mécontentement à ce sujet – et on dirait qu’ils ont réussi –, en se concentrant sur une ancienne condamnation à la réclusion à perpétuité qui m’avait été infligée par un tribunal de première instance, pour l’attaque de Lutte Révolutionnaire contre l’immeuble de la Banque de Grèce (filiale de la BCE) et du FMI, en 2014, sans rien connaître de l’objet, de l’accusation et de sa nature, de la loi et des motivations politiques de ce tribunal, qui voulait, pour des raisons purement politiques, imposer cette condamnation comme réponse à la résistance offensive au « mémorandum »* (cette action était dirigée contre la « troïka » de l’époque). Le pouvoir que certaines personnes détiennent, accompagné de leur semi-alphabétisation ou même de leur ignorance la plus complète, devient dangereux.
Je voudrais vous informer du fait que la lois par laquelle moi-même et mon compagnon Nikos Maziotis avons été condamnés pour cette action de Lutte Révolutionnaire était une loi, la 270 PC, imposée par décret du président de la république pendant le gouvernement Papadopoulos, en 1969, pour faire face à des action offensives (des attentats explosifs) qui avaient lieu à l’époque, contre la junte des colonels. Nous l’avons souligné à plusieurs reprises au tribunal et avons demandé qu’elle ne soit pas appliquée (tout le monde peut facilement avoir accès aux nombreux enregistrements audios ou aux transcriptions du procès, où nous avons fait cette requête), étant donné que, en plus du lourd passé de cette loi, du cadre profondément réactionnaire qui lie cette époque lointaine aux années du « memorandum » et à la résistance contre ce dernier, il s’agit d’une loi que des analystes juridiques reconnus (par exemple Manoledakis Ioannis, dans « Théorie générale du droit pénal », pages 271, 276 et 338, et D. Spyrakou, dans Abstract Endangerment, de 1993), qui se sont opposés à des lois portant sur le « danger abstrait », comme celle-ci, considéraient comme un possible porte ouverte à des décisions arbitraires de la part des tribunaux. Avec une loi de ce type, on peut condamner quelqu’un (aussi à la peine maximale) non pas à cause des conséquences effectives d’un acte, mais à cause de ses conséquences potentielles, ce qu’on appelle une punition de l’intention et qui est jugée sur la base du degré de malveillance que le juge attribue à l’inculpé. Dans notre cas, le deux tribunaux ont fait recours à un fort degré d’arbitraire, parce que, même dans sa version actuelle, cette loi demandait des nombreuses acrobaties mentales pour porter à une telle sentence. L’élément essentiel de leur argumentation était constitué par nos positions politiques lors des procès. Au final, cette loi, avec d’autres sur le « danger abstrait », a été modifié par la loi PC 2019, en devenant enfin une loi spécifique et en cessant d’être un instrument pour des actions arbitraires dans les tribunaux.
S’il y a des gens qui s’intéressent vraiment à ces thématiques et ne veulent pas se limiter à écouter les minables porte-paroles réactionnaires de quelques obscurs cercles de pouvoir, qu’on arrête de se référer à des choses qu’ils ne connaissent pas et qu’ils lisent des textes à ce sujet. Dans le cas contraire, ceux qui insistent à critiquer ma libération en utilisant cet argument doivent accepter le fait qu’ils sont en train de surestimer la résurrection d’une loi promulguée par la junte militaire, riche d’une longue histoire d’arbitraire politique et juridique.
Pola Roupa
22 décembre 2023
* Note d’Attaque : le « memorandum » est le plan de sauvetage financier de l’État grec, approuvé par la Commission Européenne, la BCE et le FMI (la « troïka »). Ces institutions demandaient en contrepartie des lourdes mesures d’austérité sociale, qui ont fortement appauvri la population du pays, au profit des grandes entreprises et des bailleurs de fond internationaux.