Brême (Allemagne) : Avec colère, en solidarité avec le soulèvement en Indonésie

Tumulte / mardi 9 septembre 2025

Attaque contre le consulat honoraire indonésien, dans le quartier Überseestadt.

Le 7 septembre 2025, vers 2h15, nous nous en sommes pris au consulat honoraire d’Indonésie dans le quartier Überseestadt, à Brême, avec des extincteurs remplis de peinture, sur une grande surface. Avec le slogan « Tantang Tirani!* », nous avons disparu dans la nuit.

Le 25 août, des manifestations et des émeutes massives ont commencé, dans de nombreuses parties de l’archipel indonésien, déclenchées par la prévue augmentation massive des salaires des élites parlementaires. Dès le début, les manifestations ont eu un caractère combatif, mais après que, le 28 août, les flics aient renversé et tué Affan Kurniawan, un livreur de 21 ans, les manifestations ont explosé en une insurrection massive. Des livreur.euses, des anarchistes et des jeunes ont pillé des commissariats de police, des maisons de politiciens et des bâtiments gouvernementaux et les ont incendiés. Le président Prabowo Subianto a fait intervenir l’armée et, jusqu’à présent, au moins six personnes ont été tuées par les flics et les militaires.

Contre le militarisme et l’oppression, en Indonésie et partout.

Nous suivons avec une grande inquiétude et de la colère le virage autoritaire en Indonésie, vers une militarisation renforcée et continuelle du gouvernement. En même temps, nous trouvons dans la lutte déterminée des gens contre cette évolution et pour une vie en liberté de l’inspiration et de la force pour nos luttes ici.

Le récent soulèvement contre la corruption et la violence policière s’inscrit dans une longue série de mobilisations et de confrontations offensives. Entre février et avril de cette année, différents groupes, organisations et militant.es étudiant.es et syndicaux.les, avec des ultras et des anarchistes, se sont organisé.es à une échelle intrarégionale et ils/elles ont lutté, fait des émeutes et manifesté contre la Loi sur les forces armées nationales indonésiennes (loi TNI), adoptée en mars [voir ici ; NdAtt.]. Cette loi est une porte ouverte au retour dangereux au militarisme et à la montée de forces néofascistes, car elle assure (à nouveau) aux militaires une place extrêmement importante et influente dans la vie civile. Les militaires ont désormais accès à des fonctions publiques et peuvent contrôler et influencer massivement les services étatiques et civils. Il s’agit de l’un des nombreux pas vers une normalisation des pratiques autoritaires et d’un renforcement de l’autorité de l’État.

Si nous regardons encore plus loin en arrière, en 2019 il y a eu toute une série de grandes mobilisations contre la corruption et des modifications autoritaires du code pénal. En 2020, nous avons vu un mouvement similaire contre la « loi omnibus ». Une loi qui réduit massivement les droits du travail, la protection de l’environnement et les droits des populations autochtones, en faveur d’une réforme néolibérale. En 2022, il y a eu de grandes manifestations contre le nouveau code pénal, extrêmement répressif, la hausse des prix des aliments et contre un possible troisième mandat de Widodo [Joko Widodo, président de l’Indonésie du 2014 au 2024, dont l’actuel président Prabowo Subianto a été d’abord un adversaire et ensuite un associé ; NdAtt.]. En 2024, en Indonésie, nous avons vu des manifestations massives et des émeutes contre la nouvelle loi électorale. Tout cela dans le contexte des émeutes qui, en 1998, ont mis fin à 31 années de dictature militaire, sous Suharto, et qui sont profondément ancrées dans la mémoire collective.

Les rapports entre la République fédéral d’Allemagne et l’État indonésien

Suharto est arrivé au pouvoir en 1965-1966, après un coup d’état militaire. Dans ce contexte, entre 500 000 et 3 millions de personnes ont été tuées dans des massacres. En raison de son caractère explicitement anticommuniste, le coup d’État a été non seulement perçu positivement, mais aussi soutenu par les gouvernements occidentaux. Des documents qui ont été rendus publics en 2014 prouvent que l’ambassade allemande en Indonésie et le BND [Bundesnachrichtendienst, le service de renseignement extérieur allemand ; NdAtt.] connaissaient à l’avance les plans du coup d’État et des massacres, qu’ils les avaient approuvés et qu’ils avaient autorisé des exportations destinées à l’armée. Déjà dans les années 70, des entreprises d’armement allemandes ont commencé à exporter vers l’Indonésie des armes de guerre et dans les années 90 l’Indonésie était même le plus grand importateur d’armes allemandes. Aujourd’hui encore, l’armée allemande soutient directement la formation de militaires indonésiens.

Dans l’appel du 20 mars 2025 à la solidarité internationale avec la lutte contre le militarisme en Indonésie, une comparaison explicite est faite avec les pouvoirs de l’armée dans les années 1960, sous la dictature du président Suharto, qui est arrivé au pouvoir avec un coup d’État militaire soutenu par l’Occident. À cette époque, il y a eu d’innombrables violations des droits humains, des actes antidémocratiques, des abus de pouvoir de la part de la police et de l’État et une répression contre les minorités. La peur, présente dans la conscience collective, d’une dynamique qui se répète et d’une répression similaire, sous une dictature militaire, a été le mobile pour de nombreuses personnes qui ont lutté contre la loi TNI.

Dans l’ensemble, les parallèles entre l’autoritarisme qui se forme ici et dans le monde entier sont évidents et préoccupants. L’Allemagne se réarme, l’armée, l’État et l’industrie de l’armement rongent des paquets de milliards d’argent venant de impôts. L’introduction progressive du service militaire n’est plus une fantaisie de vieux bellicistes, mais elle trouve une première expression dans le recensement obligatoire. L’Allemagne veut à nouveau suivre le rythme des plus grands acteurs dans la course mondiale à l’armement.

La récente visite du ministre des Affaires étrangères Wadephul montre que l’État allemande voit l’Indonésie comme une source de matières premières bon marché et aspire à établir une relation stratégique forte entre les deux pays.

La Bourse du tabac de Brême

Avec notre attaque, nous avons aussi touché le bâtiment de la Bourse du tabac de Brême. La Bourse du tabac de Brême négocie le tabac indonésien depuis 1959 et elle a été un facteur important dans le début des relations diplomatiques et économiques entre l’Allemagne et l’Indonésie. Il y avait également de bons rapports avec l’appareil militaire de la BRD et par conséquent, dès le début, aussi de bons rapports avec la dictature militaire de Suharto. Ainsi, Helmut Kohl [chancelier allemand de 1982 à 1998 ; NdAtt.] entretenait une amitié masculine étroite avec le dictateur et soulignait souvent la façon dont la collaboration entre les deux pays fonctionnait bien.

Il est clair que nous avons besoin de réponses internationalistes à la répression, aux violations des droits humains, à la surveillance, à la répression et au silence imposé avec les assassinats, les enlèvements ou les incarcérations des personnes de gauche, antiautoritaires, engagées dans la société civile et marginalisées.

Nous envoyons des salutations solidaires aux combattant.es en Indonésie !

Contre la montée du militarisme et du néofascisme, en Indonésie et partout !

Tantang Tirani!

 

De l’appel :

Nous nous soulevons, non pas en silence, mais dans un feu déchaîné.
Un incendie de défi, alimenté par l’amour de la liberté
et l’esprit indomptable de ceux/celles qui refusent de se mettre à genoux.
Ce n’est pas seulement une lutte pour l’Indonésie,
mais un cri de guerre pour chaque âme qui ose rêver
d’un monde sans chaînes, sans soumission, intact.
Nous rejetons les chaînes du militarisme,
l’acier froid de l’autoritarisme
et l’emprise suffocante du néofascisme.
Nous sommes les voix des opprimé.es,
les mains qui construisent les barricades,
les cœurs qui battent pour l’anarchie –
le chaos et le beau désordre de la libération.
Nous ne laisserons pas les ombres du régime de Suharto
obscurcir les cieux de demain.
Nous ne laisserons pas les rêves militaristes de Prabowo
piétiner les jardins de la démocratie.
Nous sommes la tempête, le jugement,
la force ingouvernable qui dit :
ça suffit.
Aux tyrans, aux exécutants, aux architectes de l’oppression :
vos murs s’effondreront,
vos lois brûleront,
votre pouvoir se dissoudra comme de la cendre dans le vent.
Car nous sommes le peuple,
sauvage, indompté et libre.
Et nous nous battrons,
non seulement pour l’Indonésie,
mais pour l’amour sans limites, anarchiste, de la liberté
qui vit en nous tou.tes.

 

* Tantang Tirani – en français : « Combattre la tyrannie », en anglais : « challenge tyranny ». Slogan de la lutte contre la militarisation et le néofascisme

[les images sont issue d’un autre article de Tumulte ; NdAtt.]

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