Italie : Un petit boulot à finir

Sardegna Anarchica / samedi 27 juillet 2025

Début juillet (2025), le tribunal de l’application des peines de Rome a renouvelé l’imposition du régime de détention 41-bis à Marco Mezzasalma. Marco a été arrêté en 2003 et ensuite condamné à la réclusion à perpétuité pour les actions de l’organisation dont il était membre : les Brigate Rosse per la costituzione del Partito Comunista Combattente [Brigades Rouges pour la constitution du Parti Communiste Combattant]. Les actions les plus connues de cette organisation armée ont été l’élimination de Massimo D’Antona, consultant du ministre du Travail Bassolino, et celle de Marco Biagi, consultant du ministre des Politiques sociales Roberto Maroni, chargés de l’élaboration de la réforme du marché du travail. Les deux experts en droit du travail étaient engagés dans la transformation des rapports d’exploitation, pour les rendre aptes à l’affirmation du modèle économique néolibéral.

Marco Mezzasalma, comme deux autres membres de son organisation, Nadia Lioce et Roberto Morandi, est soumis au 41-bis depuis plus de vingt ans, une période au cours de laquelle l’application de ce régime spécial lui a été constamment renouvelée. Le 41-bis prévoit la réclusion dans des établissements pénitentiaires spécialement dédiés ; l’isolement ; l’absence d’espaces communs ; des limitations dans l’accès à la promenade, ainsi que la gestion de ces sections uniquement par des unités spécialisées du corps des gardiens de prison (GOM [ils correspondent aux ERIS français ; NdAtt.]) ; la limitation des parloirs et l’utilisation de vitres de séparation ; la censure du courrier et d’importantes limitations au droit à étudier ; l’impossibilité complète de communiquer avec l’extérieur. Il s’agit donc d’une forme de détention finalisée à l’anéantissement physique, mentale et politique du détenu. Depuis le 2 mars 2003, quand a eu lieu l’échange de tirs qui a mené à la mort du combattant Mario Galesi et d’un agent de la police ferroviaire, à la capture de Nadia Lioce et, ensuite, à l’arrestation d’autres membres de leur groupe, il n’y a plus eu de manifestations de l’existence de l’organisation BR-PCC. Le présupposé légal pour l’imposition du 41-bis aux trois compagnons, c’est-à-dire couper les contacts entre le détenu et l’organisation à l’extérieur, est donc manifestement inexistant, tandis que sa fonction punitive, non déclarée, est pareillement manifeste. L’acharnement avec lequel le 41-bis est renouvelé semble donc être l’exercice de la vengeance et de la haine de classe de la bourgeoisie envers ceux qui ont remis en question son pouvoir ; il s’agit en outre d’un châtiment exemplaire par lequel l’on soumet un corps à des condition extrêmes, afin de lancer un avertissement à des nombreux autres : qu’ils sachent ce qui pourrait les attendre si leur révolte dépasse certaines limites.

Le 41-bis se manifeste comme une suspension (des normes prévues par le règlement pénitentiaire), il s’agit donc de l’instauration de l’état d’urgence au sein des prisons, c’est-à-dire d’une mesure exceptionnelle et provisoire, prévue pour des graves raisons d’ordre public et de sûreté. Dans les faits, après qu’elle a été introduite, cette mesure de gouvernement des prisons a été normalisée et son application a été progressivement étendue : l’exception est devenue la règle.

En fait, le 41-bis, qui reprend le parcours des prisons spéciales (une histoire européenne mais aussi spécifiquement italienne, liée à la répression de l’insurgence révolutionnaire des années 70) a été introduit, d’abord, pour une durée déterminée, dans les années 80, mais ensuite son application a été constamment prolongée, dans le règlement pénitentiaire, et à la fin elle est devenue permanente.

En outre, la durée maximale pendant laquelle un détenu peut y être soumis a été prolongée de deux à quatre ans. Mais, surtout, en ce qui concerne la durée, il est important de noter que les instituons chargées d’imposer cette mesure – dont l’application, à cause de son niveau afflictif élevé, était donc prévue pour des périodes limités – ont pris, dans la majorité des cas, la décision de la renouveler constamment, et en substance automatiquement, la transformant en une lourde peine complémentaire qui, pour des nombreux détenus, accompagne toute la durée de la réclusion.

Il s’agir d’une grave responsabilité politique de ceux qui gèrent le 41-bis, c’est-à-dire avant tout le ministre de la Justice en fonction et le tribunal de l’application des peines de Rome, mais évidemment aussi, en remontant l’ordre hiérarchique, du président du Conseil des ministres et du président de la République, qui auraient le pouvoir de mettre un terme à cette situation inhumaine.

Enfin, le 41-bis, utilisé à l’origine pour contraster l’« urgence de la lutte contre la mafia » est devenu, depuis 2002, un instrument de répression politique et il peut être imposé aux inculpés de délits accomplis avec des finalités de terrorisme et de subversion de l’ordre démocratique.

En outre, le 41-bis a été étendu dans l’espace, en faisant de l’État italien un point de repère pour les politiques répressives au niveau international. En effet, ce modèle de détention expérimenté en Italie a récemment été proposé et pris en considération par les administrations des systèmes pénitentiaires chilien et français.

L’argument principal qui est utilisé pour justifier la prison dure est son utilité dans la lutte contre la mafia, une conséquence de l’idéologie anti-mafia, répandue et réactionnaire.

Être contre la mafia ne signifie pas être en faveur de la prison dure ; par exemple les anarchistes sont contre la mafia, parce que toute mafia est un système fondé sur la hiérarchie, sur l’oppression, sur l’exploitation et, quand l’affrontement entre les classes se durcit, la mafia se révèle une fidèle alliée des capitalistes et de l’État ; cependant, en même temps, les anarchistes sont pour la destruction des prisons. Il suffirait de connaître l’histoire des anarchistes d’Africo*, en Calabre, de leur lutte contre la ‘ndrangheta et de la façon dont l’État les a réprimés dans le but de favoriser l’installation des clans mafieux, pour dissiper tout doute au sujet de cette inimité irréversible, récemment remise en question par les insinuations honteuses du secrétaire d’État à la Justice Andrea Delmastro**.

Nous ne prétendons pas représenter l’opinion de tout le monde, mais, nous limitant à nos idées, nous pensons que l’existence de la mafia est inextricablement liée à l’injustice inhérente au système capitalise et que, par conséquent, seulement par la destruction de ce système on pourra extirper la première. Par contre, la prison dure ne résout rien dans ce domaine ; en effet non seulement la logique punitive et la prison dure n’ont pas, de toute évidence, vaincu la mafia, mais la structure anti-mafia a crée des nouvelles concentrations de pouvoir et renforcé la partie la plus profonde et totalitaire de l’État. Nous repoussons donc totalement la logique punitive inhérente aux conceptions justicialistes, qu’elles soient de droite ou de gauche, qui arrivent à s’enraciner même dans des milieux qui se définissent comme libertaires. Cette vision, étroitement liée à la pensée dominante, se focalise sur les responsabilités individuelles de phénomènes considérés comme criminels ou nuisibles pour la société, en refusant d’en creuser les causes. En raisonnant ainsi, les conflits au sein de la société sont interprétés comme un problème de légalité et la solution est toujours la répression. Nous invitons à renverser complètent ce paradigme et à penser qu’on peut résoudre les problèmes d’une société seulement en analysant leur causes originelles et en agissant sur celles-ci. La lutte de classe est donc la seule solution possible pour obtenir justice, pour un vrai changement de la société et aussi pour vaincre la mafia.

Le 41-bis doit être fermé parce que c’est de la torture, il est la prison dans son expression maximale et sa fonction anti-mafia ne le justifie pas. Enfin, le 41-bis doit être fermé parce qu’il est un instrument de guerre, prêt à être utilisé par l’État contre quiconque ose remettre en question l’ordre qui domine la société où nous vivons.

Dans une période de relative paix sociale, l’État s’est doté d’une série de puissants instruments répressifs, qui vont de ce sommet qui est le 41-bis, jusqu’au décret sur la sécurité qui a été voté cette année. Ces instruments ne sont pas déconnectés entre eux, mais il faudrait les interpréter comme un système global, qui recouvre toute la gamme des pratiques par lesquelles le conflit social peut se manifester et qui vise à empêcher à celui-ci toute possibilité d’expression en dehors de celles totalement stériles ou récupérables.

Aujourd’hui, pendant que la domination sans contraste du capitalisme occidental, en vigueur depuis plusieurs décennies, arrive à son terme et que des lourds nuages qui charrient la tempête s’accumulent à son horizon, le rapport entre conflit social et répression est d’une actualité brûlante.

Nous signalons quelques questions importantes, qui entraînent l’augmentation de la répression, comme la fin du monde unipolaire et une nouvelle élaboration des équilibres internationaux, la guerre, donc, comme question fondamentale de cette époque et la nécessité, par conséquent, de garder un contrôle rigide du front intérieur. Une autre question importante est la constante diminution de la demande de force de travail, en occident, à cause de plusieurs facteurs, dont l’introduction de nouvelles technologies, ce qui crée des masses humaines excédentaires par rapport aux exigences du capital, à la nécessité, donc pour ceux qui ont le pouvoir, de les gérer : l’augmentation de la répression et du contrôle est la solution qui a été retenue. Le 41-bis est une prison de guerre, c’est le sommet de cette guerre de classe allant du haut vers le bas, un instrument qui, aujourd’hui, vise un petit nombre de combattants, mais qui est à disposition de l’État au cas où le conflit s’élargisse.

La grève de la faim menée par le compagnon anarchiste Alfredo Cospito pour l’abolition du 41-bis et de la réclusion à perpétuité avec période de sûreté illimitée a servi à faire prendre conscience à beaucoup de monde, même en dehors du mouvement, du caractère inacceptable de l’existence du 41-bis.

Cette initiative a été soutenue par une campagne de solidarité internationale. En prévision de la décision quant à un possible renouvellement, pour le compagnon, de ce régime spécial de détention, qui sera prise au cour des prochains mois par le ministre de la Justice Carlo Nordio, le moment est venu de reprendre la discussion et la mobilisation autour de cette lutte.

Un boulot bien commencé, que nous devons encore finir…

complices et solidaires

 

Notes d’Attaque :
* Par exemple, dans les années 70, des jeunes anarchistes de cette petite ville près de Reggio Calabria ont subi des attaques à l’arme à feu, la répression judiciaire et la prison pour avoir dénoncé la collaboration du prêtre et des institutions locales avec la mafia. Voire ici, en italien.
** Début 2023, pendant la grève de la faim d’Alfredo, Giovanni Donzelli, député de Fratelli d’Italia (le parti d’extrême droite au gouvernement), avait fait écouter en Parlement des extraits des enregistrements, obtenus illégalement grâce à l’intervention de son camarade de parti Andrea Delmastro, secrétaire d’État à la Justice. On y entendait Alfredo discuter avec d’autres détenus (condamnés pour mafia) et Donelli suggérait que, avec sa lutte, le compagnon « travaillait » pour la mafia.

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