Avtonom / mercredi 18 juin 2025
« Je ne pouvais pas regarder les gens mourir et rester en silence ». L’histoire d’Alexey Rozhkov
Le 11 mars 2022, vers 5 heures du matin, Alexey Rozhkov a quitté sa maison dans la ville de Beriozovski, dans l’Oural. Il a pris trois bouteilles de bière avec lesquelles il avait fabriqué des cocktails Molotov et est allé au bureau de recrutement de l’armée de la ville.
Rozhkov a jeté les trois bouteilles sur le bureau de recrutement militaire, puis il a tagué un symbole de la paix sur le mur. Dans la rue, il faisait encore nuit et il n’y avait personne. Les lumières étaient éteintes à toutes les fenêtres et il pensait qu’il n’y avait personne à l’intérieur.
La veille, Rozhkov avait bu. La nouvelle de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, qui avait commencé un peu plus de deux semaines auparavant, le touchait profondément. « Je voulais juste qu’ils ne prennent pas les conscrits. Ce sont encore des enfants » dira-t-il plus tard à sa mère.
À ce moment-là, Rozhkov ne savait pas du tout que, dans les trois années suivantes, il passerait six mois en détention préventive, s’échapperait au Kirghizistan, serait kidnappé par des agents du service de renseignement russe, emmené en Russie et condamné à seize ans de prison.
Les forces de sécurité ont arrêté Rozhkov le jour de l’incident. Après son arrestation, Rozhkov a été accusé de tentative de meurtre, car les autorités disaient qu’il aurait voulu tuer le vigile qui se trouvait dans le bâtiment au moment de l’incident. Cependant, cette accusation a été abandonnée, à cause d’incohérences présentes dans le dossier, et, en septembre 2022, il faisait face seulement à une accusation relativement mineure, celle de destruction de biens, et il a été libéré à la condition de ne pas quitter le pays.
« J’ai décidé de quitter le pays plutôt que de passer quinze ans en prison »
Cependant, Rozhkov s’est rapidement rendu compte qu’il aurait pu faire face à d’autres accusations et à une longue peine de prison et il a décidé de prendre la fuite.
Avant son arrestation, Rozhkov jouait dans un petit groupe de rock. Après avoir fui la Russie, avec l’aide d’activistes des droits humains, il a prévenu les fans du groupe sur sa page VKontakte qu’il aurait peut-être fallu un certain temps avant qu’ils ne sortent de nouvelles chansons. « J’ai décidé de quitter le pays plutôt que de passer quinze ans en prison », c’est ce qu’il a écrit depuis Bichkek, la capitale du Kirghizstan, une fois qu’il pensait être en sécurité.
Une fuite de courte durée
Rozhkov avait prévu de rester à Bichkek pendant plusieurs mois, tout en faisant les démarches pour avoir un visa humanitaire qui lui permettrait de se réinstaller dans un pays plus sûr, car la police kirghize est connue pour coopérer avec les services de sécurité russes.
Rozhkov avait de bonnes raisons de prendre la sécurité au sérieux. À Bichkek, il passait beaucoup de temps avec son ami Denis [le prénom a été changé], qui se souvient que Rozhkov était souvent suivi. Il dit que « la surveillance était constante. Quelqu’un nous filmait en permanence, avec son téléphone .
Malgré sa situation précaire, Rozhkov a décidé qu’il voulait faire connaître son histoire et a parlé à plusieurs reprises avec des journalistes. Dans une interview avec la chaîne YouTube Khodorkovsky Live, Rozhkov a comparé l’« opération militaire spéciale » de Poutine au « fascisme » et a déclaré que les autorités visaient à « exterminer les ukrainien.nes », ce qui ne lui laissait d’autre choix que de « faire quelque chose ».
Deux ans plus tard, il sera condamné pour deux autres chefs d’accusation : diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe et « apologie du terrorisme », pour avoir dit ce qu’il pense dans des interviews.
Personne pour l’aider
Le 30 mai 2023, Rozhkov a été arrêté par la police kirghize et remis aux forces de sécurité russes.
Selon Rozhkov, qui a raconté en détail son enlèvement, au tribunal en 2025, il était dans sa chambre lorsque des agents de sécurité en civil sont entrés, ont pris son passeport, son téléphone et son ordinateur portable et l’ont convaincu sous de faux prétextes à leur remettre les mots de passe de ses appareils. Il a ensuite été emmené dans un poste de police, où, quand il a demandé un avocat, on lui a dit : « De toute façon, un avocat ne vous aiderait pas ».
Ensuite, Rozhkov a été emmené à l’aéroport et, en attendant le départ, il a été frappé à la tête et aux jambes par les agents qui le gardaient. Rozhkov a ensuite été emmené à travers l’aéroport et escorté à bord d’un avion, sans aucune identification ni aucun enregistrement.
Deux agents en civil l’attendaient déjà à bord de l’avion et, après l’atterrissage en Russie, un agent du Service fédéral de sécurité (FSB) l’a menotté et l’a ramené à Beriozovski.
Au bureau du FSB de Beriozovski, on a dit à Rozhkov d’avouer et de signer un document indiquant qu’il n’avait pas été blessé physiquement ni n’avait subi de pressions. Quand il a refusé, il a été escorté hors du bureau, où l’un des agents qui l’avaient enlevé au Kirghizistan l’attendait. Alors, on lui a mis un sachet sur la tête et on l’a torturé avec des chocs électriques.
Pendant le procès, Rozhkov a déclaré que les agents avaient utilisé un pistolet à impulsions électriques sur ses jambes et son dos, pour lui donner des chocs, tout en menaçant de « le tuer et le violer », jusqu’à ce qu’il avoue « collaborer avec les services spéciaux ukrainiens ».
Ilya Melkov, un activiste pour les droits humains qui travaille pour Solidarity Zone, une organisation qui offre du soutien aux personnes arrêtées pour des activités contre la guerre, a supervisé l’affaire de Rozhkov. Bien que Melkov ne sache pas « comment les forces de sécurité russes aient pu mener une telle opération au Kirghizstan », il est sûr qu’elle « ne peut pas être expliquée légalement ».
Rozhkov semble avoir été enlevé du Kirghizistan sans demande formelle d’extradition et Melkov a déclaré qu’il n’avait pas vu « un seul document confirmant sa détention ». En fait, aucun des documents du dossier n’indique que Rozhkov a été emmené de force hors du Kirghizistan.
Seize ans pour quatorze euros
Après l’extradition illégale de Rozhkov et sa réincarcération, le parquet a décidé d’alourdir les accusations, passant de « dégradation de biens » à « acte de terrorisme ». Presque simultanément, Rozhkov a été accusé d’« apologie du terrorisme », tandis que le troisième chef d’inculpation, pour avoir diffusé des « fausses informations » sur l’armée russe, a été ajouté plus tard, après que les autorités aient analysé ses interviews et ses publications sur les réseaux sociaux.
Les photos utilisées par le parquet montrent une bouteille de bière que Rozhkov aurait utilisée pour préparer un cocktail Molotov, un chapeau rouge transformé en cagoule, des mélanges incendiaires, un briquet, des photos de la porte endommagée et le montant total des dégâts, qui s’élève à moins de 1 300 roubles (14 euros).
« Mes efforts de vandalisme pour attirer l’attention sur la souffrance des gens n’ont rien à voir avec le terrorisme. »
Le 19 mai, Rozhkov a fait sa déclaration finale devant le tribunal, en disant : « L’activité terroriste comprend le meurtre et l’intimidation. Mes efforts de vandalisme pour attirer l’attention sur la souffrance des gens n’ont rien à voir avec le terrorisme… Je ne voulais pas que quelqu’un.e soit blessé.e. Je n’ai été recruté par personne. J’ai mené une protestation contre guerre, dans laquelle personne ne devait être blessé.e. »
Le lendemain, le tribunal a condamné Rozhkov à seize ans de prison – un an de plus que ce qu’il avait prévu quand il avait fui la Russie.
La mère de Rozhkov, Yelena, n’a pas manqué une seule audience du tribunal. Bien qu’elle ne soutienne pas ce que son fils a fait, elle est certaine qu’il ne voulait blesser personne. Aux yeux de Yelena, tout ce que Rozhkov a fait, c’était « agir selon sa conscience », comme elle l’a élevé à faire.
Selon Yelena, Rozhkov « s’est bien comporté » tout au long du procès, ne montrant « ni faiblesse ni panique », malgré le fait que les procureurs le qualifient de terroriste. Yelena a rappelé que, même s’il a admis avoir enfreint la loi, Rozhkov a maintenu qu’il « ne pouvait pas regarder les gens mourir et rester en silence ».
Le moment le plus difficile pour Yelena a été la condamnation de son fils, se souvient-elle. « J’étais glacée. Mais il m’a appelée par la suite et il m’a dit : « Maman, merci de ne pas avoir pleuré » ».
Maria, une amie de Rozhkov, lui écrit parfois en taule. Selon Maria, Rozhkov a eu un chaton, en prison, et l’a appelé Chipa, en l’honneur du chat qu’il avait chez lui. Cependant, dans une autre lettre, Rozhkov a laissé entendre que Chipa n’était plus dans la prison.
Rozhkov écrit peu sur sa vie quotidienne, préférant se concentrer sur les livres qu’il lit ou le rares colis qu’il reçoit.
Une autre amie, Nina [le prénom a été changé], dit que Rozhkov n’est pas effrayé par la prison, mais qu’il a peur de l’isolement. Elle dit que les lettres qu’il reçoit maintiennent en vie son lien avec le monde extérieur, de sorte que, malgré tout, il ne se sent pas seul.
Olesya Krivtsova
(Source originelle : Novaya Gazeta Europe)
L’adresse pour lui écrire :
Rozhkov Alexey Igorevich (né en 1997) [Рожков Алексей Игоревич, 1997 г.р.]
SIZO-1 [СИЗО-1]
ul. Repina, 4 [ул. Репина, 4]
620019 Iekaterinbourg [г. Екатеринбург] (Russie)
Veuillez noter que les lettres doivent être écrites en russe – vous pouvez utiliser des outils de traduction en ligne.
Les lettres peuvent aussi être envoyées via le service en ligne « Zonatelekom »
Solidarity Zone collecte des fonds pour payer les frais d’avocat d’Aleksey Rozhkov pendant les phases de l’appel et de la cassation.
PayPal: solidarity_zone [AT] riseup.net (avec le message « For Rozhkov »)
Cryptomonnaie
(écrivez à solidarity_zone [AT] riseup.net su vous envoyez des cryptomonnaies pour soutenir Rozhkov)
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