Cent jours en taule
Freiheit füt Nanuk! / samedi 8 mars 2025
Depuis plus de cent jours, Nanuk se trouve dans une cellule individuelle à la maison d’arrêt de Berlin-Moabit.
Nanuk a été arrêté à Berlin le 21 octobre 2024, après que, pendant plus de deux ans, les autorités n’ont pas réussi à le trouver.
Le cas de Nanuk permet de bien observer comment le système fermé « taule » offre une marge de manœuvre pour le harcèlement et l’action arbitraire des matons, des fonctionnaires publics et du procureur général.
Les mesures de sécurité élevées imposées à Nanuk et dont nous avons parlé dans les mises à jour précédentes ont été progressivement assouplies, à partir de début décembre 2024.
Mais, encore, une grande marge de pouvoir arbitraire est laissée à l’administration et au bon vouloir des matons, qui décident en fin de compte si sa participation, autorisée, aux activités de loisirs aura effectivement lieu ou pas.
Le problème avec le courrier continue, pendant l’enfermement de Nanuk : la réception et l’envoi du courrier sont toujours bloqués. Nanuk a reçu la dernière fois quelques lettres et cartes postales le 10 janvier 2022, puis il a fallu deux mois pour que d’autres lui arrivent. Il a fallu attendre la mi-décembre pour que Nanuk reçoive une première correspondance – les lettres et les cartes postales de la période allant du 22 octobre au 16 novembre 2024 sont encore portée disparues. Aussi, jusqu’ici très peu de lettres écrites par Nanuk nous sont parvenues.
Nous publions ici la lettre de Nanuk pour ses cent jours en taule.
Nous envoyons beaucoup de force à tou.tes les prisonnier.es et les personnes en cavale.
Jusqu’à ce que tout le monde soit libre.
Groupe de solidarité avec Nanuk
Aujourd’hui, je suis ici depuis cent jour, dans une taule de ce système de merde. J’éprouve des difficultés à formuler mes pensées, tout ce qui est exprimé ouvertement intéresse le LKA [la police judiciaire de chaque Land allemand ; NdAtt.], la prison et le parquet et est épluché avec attention.
Toute déclaration faite devant des travailleurs sociaux, des matons, chaque conversation entre prisonniers – ceux qui font quelques tours ensemble dans la cour de promenade ou simplement se tiennent l’un à côté de l’autre – qui s’assoit à côté de qui à l’église, en échangeant quelques mots – en prison tout est observé de près et enregistré. Tout cela laisse un sentiment d’insécurité et de peur chez de nombreux prisonniers, car tout cet espionnage conduit aussi à de la répression : les prisonniers sont transférés dans d’autres sections de la prison, n’ont plus le droit de participer à des activités collectives ou d’avoir un travail dans la prison. Tout cela pour contrôler ou interdire chaque contact social. De plus, pour moi : les visites de ma famille et d’amis nécessitent une autorisation judiciaire et sont strictement surveillées. Les parloirs sont deux par mois, d’une heure chacun. Les conversations sont enregistrées par un ou deux policiers du LKA, en général le policiers se placent directement un demi mètre derrière moi. En plus de cette situation de surveillance, très désagréable pour ma mère, il est déjà arrivé une fois que le policier ne se soit pas présenté au rendez-vous prévu et que ma mère ait été rejetée et renvoyée à la maison. Les contacts par la poste sont aussi contrôlés et censurés, d’autre part une partie du courrier qui était arrivé ici à la prison en octobre et novembre est toujours introuvable.
Les visites de l’avocate aussi sont signalées par la prison au parquet, avec « quand et pendant combien de temps ». Je dois ouvrir le courrier que je reçois de mon avocate en présence d’un maton. L’accès aux contacts avec mon avocate et aussi le courrier que j’échange avec elle sont ainsi contrôlés. Bien qu’il n’y ait pas de contrôle du contenu, dans les faits il s’agit d’un contrôle. Même le courrier pour ma défense, que j’ai envoyé à mon avocate depuis la prison, n’a pas été livré depuis dix semaines. Du courrier pour la défense, qui m’était destiné, a été livré à d’autres prisonniers. Ma vie quotidienne a lieu sous ces mécanismes de contrôle omniprésents et s’y ajoutent toutes les consignes de sécurité qui m’ont été imposées. Celles-ci sont motivées par le fait que je pourrais, par mes capacités, mettre en danger l’ordre dans la prison. Tous les assouplissements de ces dernières semaines, comme le retrait de la disposition « à remettre de main en main » (à partir de maintenant, j’ai aussi le droit d’aller à l’église ou au parloir avocat sans escorte), celle « ouverture de la cellule par deux fonctionnaires », ainsi que le « point vert – violent », sont autant de simplifications pour les matons et le fonctionnement de la maison d’arrêt. Je continue à ne pas avoir de contacts avec les autres prisonniers, ni aucune information sur ceux-ci. Souvent, les matons me demandent pourquoi je n’ai pas de contacts, puisque je vais à la promenade avec ces mêmes prisonniers. La raison est probablement un ordre du Ministère de la justice du Land, qui me concerne en tant qu’« extrémiste ». Beaucoup des choses qui règlent le fonctionnement quotidien de la maison d’arrêt relèvent de la bureaucratie, voire de la mauvaise volonté systématique ou de l’incapacité. Un exemple est la réception de livres de ma part. Cela a commencé fin octobre, lorsque j’ai déposé une demande à la maison d’arrêt, pour obtenir quatre romans. Celle-ci a été rejetée, avec la mention que chaque livre devait être approuvé par le tribunal. À l’instigation de mon avocate, la décision du juge a été rendue en novembre et, le 3 décembre, la maison d’arrêt a m’a aussi autorisé à recevoir des livres achetés par correspondance. Cette autorisation du 3 décembre m’a été communiquée le 29 décembre. Ensuite, la réception du paquet a été refusée à deux reprises à la porte de la maison d’arrêt et je les ai reçus le 15 janvier, après une nouvelle demande de « remise des livres ». Même des colis pour lesquels une autorisation a été délivrée ne sont souvent pas acceptés par les réceptionnistes du courrier de la maison d’arrêt et ils sont donc renvoyés.
Il en va de même pour le LKA : une fois, ils ne se sont pas présentés pour surveiller un parloir. Mais aussi, dans mon cas, le LKA ne peut pas explicitement écouter un appel téléphonique, ce qui est le cas pour d’autres détenus. Le 19 décembre, il y a eu l’autorisation du tribunal pour que je puisse téléphoner à ma mère et à ma grand-mère, pour Noël. Ensuite, il a été possible de fixer un rendez-vous avec le LKA pour la surveillance d’un parloir, le 14 janvier, mais deux heures avant, ce même 14 janvier, le parloir a été annulé directement par le LKA, an raison de manquements techniques.
Malgré toute cette merde et la tristesse quotidienne de deux heures de cour et 22 heures enfermé dans la cellule, je ne m’ennuie pas et je continue à me réjouir de chaque nouveau jour. Ce qui m’embête un peu, c’est que depuis trois mois je n’ai pas pu voir directement le soleil. La fenêtre de ma cellule est du côté opposé au soleil et la cour ne reçoit pas non plus de soleil le matin.
Entre-temps, je peux participer à l’activité sportive, une heure par semaine. Malheureusement, celle-ci n’a lieu que de manière irrégulière, quatre fois au cours des huit dernières semaines.
La seule activité collective qui m’a été autorisée jusqu’à présent est la chorale de l’église. Mais, à cause des mesures d’austérité imposées par le Ministère de la justice du Land, depuis le mois de janvier celle-ci n’a plus de financement. De plus, une fois un maton m’a empêché d’y participer de son propre chef, en disant : « Je vous ai désinscrit, car vous aviez déjà un parloir, aujourd’hui ». Jusqu’à présent, je ne peux donc participer que de manière irrégulière à cela aussi.
J’apprécie beaucoup la promenade et je passe tout le temps possible dans la cour, par tous les temps. Nous y jouons beaucoup au ping-pong. Je partage souvent des articles de journaux avec d’autres détenus ou parfois je lis des textes à voix haute. Souvent, il s’agit de sujets liés à la prison : les coupes du budget de la Justice, des lettres d’Andreas Krebs à l’administration de la Justice, le scandale des tortures à la maison d’arrêt de Gablingen/Aachen et les salutations à tou.tes les prisonnier.es de la maison d’arrêt de Moabit, lors de la manif anticarcérale du Nouvel An. Toutes les choses intéressantes qu’il y a dans les journaux. Il y a souvent une grande solidarité entre les détenus. Les nouveaux détenus reçoivent souvent un paquet de nourriture, les prisonniers sans ressources se voient offrir du tabac et quand certains n’ont pas de vêtements, on leur en donne.
Malgré mon attitude très optimiste, le contact avec ma famille et mes amis me manque ; même de simples étreintes physiques ne sont possibles que pendant quelques secondes, les jours de parloir. Pas d’échanges, pas de soleil, pas d’étreintes physiques, au bout de cent jours, cela fait quelque chose sur la psyché d’une personne. Mais tout cela, c’est plutôt une façon de « me plaindre » à un haut niveau, car je suis déjà assez privilégié, ici en prison. D’une part, je peux m’exprimer par la parole et par l’écrit, vis-à-vis des surveillants. Pour beaucoup de monde, ici, ce n’est pas possible, du coup je remplis souvent des demandes pour d’autres détenus, je lis et synthétise des courriers judiciaires et j’ai même déposé une plainte de toute notre unité, auprès de la sous-direction de l’établissement. À cela s’ajoutent des avocats dévoués et un milieu politique et social qui me soutient beaucoup, ce qui est aussi invoqué comme raison pour mon risque d’évasion (mille bisous, je vous aime pour cela). Et aussi une mère forte, qui ne se laisse pas intimider. Tout cela n’est pas donné à tous les prisonniers, ici en taule.
Rappelez-vous donc, toujours, que la taule n’est pas un trou dans lequel rien ne se passe et rien n’est possible. Même si cela prend deux ou trois mois, continuez à m’écrire, faites-moi continuer à participer, en tant que personne politique, à des processus et à des discussions.
Restons tou.tes dans un contact solidaire !
Take care,
Nanuk
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Une lettre de Nanuk sur l’audience du JLD et le courrier
Freiheit füt Nanuk! / dimanche 30 mars 2025
Le 3 mars, notre ami et camarade Nanuk a eu l’audience de contrôle de la détention [correspondant à une audience auprès du Juge des libertés et de la détention, en France ; NdAtt.], auprès de la Cour fédérale, à Karlsruhe. Nous documentons ici quelques lignes d’une lettre de Nanuk dans laquelle il parle de l’audience de contrôle de la détention, de son point de vue.
Bonjour à vous tou.tes, gens formidables !
Ici, à la maison d’arrêt de Moabit, une semaine très mouvementée se termine lentement, pour moi. Lundi j’avais l’audience de contrôle de la détention, à la Cour fédérale. Pour cela, on est venu me chercher dans ma cellule à 6h30 du matin pour m’emmener à Karlsruhe avec des menottes aux mains et aux pieds. Pendant le trajet de sept heures et demie, je n’ai pas eu la possibilité de faire une pause pour aller aux toilettes. Dans la cellule du fourgon cellulaire, d’environ 1m², la clim’ était si froide que je suis arrivé à la Cour fédérale, à Karlsruhe, congelé et sans avoir mangé pendant 19 heures. Cela s’explique en partie par le fait que la maison d’arrêt a été informée seulement juste avant mon transfert. Mais c’est ainsi que j’ai pu profiter d’une pizza fraîche aux frais de la Cour fédérale :).
Après presque quatre heures, l’audience s’est terminée, sans qu’il y ait eu un résultat final.
Un grand merci, du cœur, à toutes les personnes formidables qui sont restées pendant tout ce temps devant la Cour fédérale, en solidarité, et qui m’ont soutenu à l’arrivée et au départ.
Mais cette semaine, il s’est passé quelque chose d’encore plus extraordinaire : j’ai enfin reçu votre courrier. En trois jours, on m’a amené une centaine de cartes, de lettres, de photos et d’images. Beaucoup d’ami.es, de camarades et de personnes inconnues m’ont écrit et en lisant tout ce courrier, j’ai aussi versé quelques larmes de joie et d’émotion. La semaine prochaine, je vais passer beaucoup de temps à répondre à toutes les lettres qui ont une adresse d’expéditeur.e. Même si je suis un peu sceptique sur le si et quand ma réponse vous arrivera. Un grand, grand merci à vous tou.tes pour les nombreuses lignes chaleureuses et les images multicolores qui sont arrivées, de manière si inespérée, dans mon quotidien gris. Même si tout le courrier d’octobre et de novembre continue à être porté disparu, tout comme certaines lettres des autres mois. Le sentiment de recevoir enfin du courrier, de savoir que l’on n’est pas oublié et qu’il y a des personnes solidaires en dehors de la taule est indescriptible. S’il vous plaît, continuez à être si assidu.es dans l’écriture de lettres à tou.tes les antifas emprisonné.es et les prisonnier.es politiques, peu importe si vous les connaissez personnellement ou pas. Partagez vos pensées avec elles/eux, impliquez-les dans vos discussions ou simplement envoyez-leur de saluts rapides à travers les murs de la taule.
Tout comme nos luttes sont justes, l’action solidaire est notre attitude politique.
Salutations sincères,
Nanuk