BOAK / mardi 25 février 2025
Trois ans de résistance à l’impérialisme et de lutte pour l’autonomie : l’opinion d’un.e militant.e de la BOAK
Il y a trois ans, commençait l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par l’État fasciste russe. Pour l’ensemble de l’actuel mouvement anarchiste et révolutionnaire de gauche de la région post-soviétique, y compris l’Organisation de combat des anarcho-communistes (BOAK), cela est devenu, probablement, le test le plus sérieux de notre existence. Nous avons accepté le défi de l’histoire et nous avons rejoint le combat.
Malheureusement, il est déjà possible de voir la façon dont la lutte des anarchistes dans cette région, pendant de ces trois années difficiles, commence à être oubliée. Cela ne doit pas arriver. Nous devons nous souvenir des martyrs* et analyser de façon critique les expériences acquises dans la lutte – seulement de cette manière nous pourrons atteindre nos objectifs révolutionnaires.
Situation socio-politique
À quoi avons-nous dû faire face le 24 février 2022 et quelle était la situation socio-politique ? Au cours des années précédentes, l’État russe a presque complètement écrasé, par la répression, tous les germes d’auto-organisation sociale indépendante, dans les territoires qu’il contrôlait. Dans le cadre de cette politique de terreur étatique, un coup sérieux a été porté au mouvement anarchiste. Nous nous souvenons de l’« affaire Réseau »** et d’autres persécutions de compas. Nous nous souvenons aussi du jeune héros et martyr Mikhail Zhlobitsky***, qui s’est lancé sur le chemin de la lutte désintéressée contre la machine répressive de l’État. Malgré l’acte héroïque de Misha et d’autres tentatives de résister, le contrôle de l’État sur la société était extrêmement fort et ne faisait que s’intensifier, chaque jour qui passait.
Nous avons aussi vu la façon dont Poutine, après une période de refroidissement des relations entre les deux dictateurs, a finalement fourni son soutien politique au régime de Loukachenko, à un moment critique. Cela a joué un rôle important dans la répression du soulèvement populaire qui a commencé au Bélarus en août 2020. La défaite de l’Ukraine, son occupation ou l’établissement d’un gouvernement fantoche pro-russe à Kyïv conduirait inévitablement à un régime de terreur d’État dans ce pays aussi.
Nous n’avions aucune illusion sur l’État néolibéral ukrainien et nous avons vu la répression qu’il exerçait – cette répression était dirigée, entre autres, spécifiquement contre nous. Néanmoins, le niveau d’indépendance de la société par rapport à l’État et les possibilités d’auto-organisation sociale étaient significativement plus élevés en Ukraine au début de l’année 2022 qu’en Russie et au Bélarus. Par conséquent, pour nous, en tant qu’anarchistes et révolutionnaires, il était évident que nous devions défendre la société qui faisait face à l’agression impériale fasciste.
Il est aussi clair que la guerre de la Russie contre l’Ukraine a un caractère génocidaire. Cela se manifeste non seulement par le massacre de civils, bien qu’à Marioupol et à d’autres endroits l’armée russe ait eu beaucoup de « succès » dans de telles atrocités.
La politique génocidaire s’exprime aussi par le désir de subordonner la société ukrainienne, qui, dans l’histoire, a déjà subi la colonisation russe, à un récit impérial et à une hégémonie (y compris culturelle) impériale, de paralyser par la terreur d’État toute action collective et d’éradiquer la mémoire collective elle-même de la résistance. Le régime russe vise non seulement à conquérir de nouvelles territoires, mais aussi à priver les Ukrainien.nes survivant.es de leur volonté, de leur dignité et de tout sentiment de communauté, en imposant dans leurs esprits le rôle d’esclaves impuissant.es de la métropole impériale. Cela aligne l’invasion russe de l’Ukraine aux politiques génocidaires de l’État turc au Kurdistan et au génocide perpétré par l’État d’Israël en Palestine.
Lutte de partisan.es en Russie
Dans les six premiers mois de la guerre, les actions partisanes de la B.O.A.K. ont eu un énorme retentissement en Russie et en Ukraine, ainsi qu’au-delà de la région post-soviétique. Nos attaques ont résonné si fort parce qu’elles ont été menées par une organisation de révolutionnaires. À la place des actions de combat d’individus courageux ou de petits groupes formés spontanément, qui ont caractérisé les tout premiers mois de l’invasion à grande échelle, une lutte révolutionnaire organisée est apparue.
Il est aussi important de noter que la résistance partisane de la B.O.A.K. s’est accompagnée d’une analyse idéologique approfondie de nos actions et d’un travail de propagande. Cela a permis d’atteindre des objectifs révolutionnaires et d’empêcher l’instrumentalisation de notre lutte par toute force orientée vers un État. Notre résistance partisane n’a pas seulement été efficace et bruyante, elle était et reste autonome, indépendante de tout acteur étatique.
Des tentatives ont aussi été faites pour étendre la résistance partisane et y impliquer de nouveaux.lles ami.es. Une des méthodes que nous avons utilisées dans ce but a été la création du Revolutionary Anarchist Fund. L’interaction avec les nouveaux.lles compas a lieu selon les principes d’une transparence maximale, dans des conditions de répression étatique brutale, et, si nécessaire, il y a une formation aux compétences essentielles à l’activité conspirative. Nous considérons que la supercherie et une attitude consumériste envers les ami.es sont inacceptables. Sur cette base, nous continuerons à travailler à la création d’un mouvement partisan anarchiste organisé sur le territoire de la Fédération de Russie.
Lutte pour l’autonomie dans des conditions de guerre
Dès le début de la guerre à grande échelle, l’un des fondateurs de notre organisation, Dmitri Petrov, et d’autres compas ont travaillé à la création d’une unité de combat anti-autoritaire distincte, en Ukraine. Une telle unité pouvait devenir une plate-forme pour l’activité révolutionnaire organisée dans l’espace post-soviétique et une entité militaire-politique autonome, une alternative aux forces étatiques, réactionnaires et capitalistes. Le leitmotiv de notre lutte n’était pas la préservation de l’« intégrité territoriale » de l’État ukrainien ou la défense de la « démocratie » néolibérale post-soviétique contre l’empire fasciste post-soviétique. Comme indiqué précédemment, nous avons reconnu la relative indépendance de la société ukrainienne et son potentiel d’auto-organisation sociale – quelque chose qui a été réprimé en Russie et au Bélarus par les régimes dictatoriaux. Nous nous sommes dressé.es en défense de la société contre la force étatique qui est venue en Ukraine avec le feu et l’épée pour éradiquer toute manifestation d’indépendance.
Nous sommes anarchistes et révolutionnaires et participer à la guerre à côté de l’État, dans les rangs des forces armées contrôlées par l’État, est évidemment une contradiction significative. La discussion de cette contradiction est quelque peu abordée dans l’article de notre compagnon tombé héroïquement, Dmitri Petrov, « Quatre mois dans le peloton antiautoritaire en Ukraine ». Dima écrivait :
« Évidemment, prendre place dans une hiérarchie verticale est problématique, d’un point de vue anti-autoritaire. Cependant, nous avons consciemment franchi ce pas. Je pense que tout le monde dans le peloton serait d’accord pour dire que la participation à la résistance est précieuse, même si cela signifie une inclusion temporaire dans le cadre de l’armée.
Pourrions-nous résister à l’invasion, avec des armes, indépendamment de l’armée d’État, dans les conditions actuelles ? La réponse est certainement non. La plupart des idées de ce genre sont proposées loin du pays, par des personnes coupées du contexte local. Tout d’abord, pour le moment il n’y a pas assez de structure ou de ressources, de notre côté, pour proposer sérieusement de former une force armée indépendante. En même temps, l’État ukrainien a suffisamment de force et de volonté pour supprimer toute force complètement autonome. Dans cette situation, la lutte de guérilla non-étatique est possible seulement dans les territoires occupés par l’armée russe.
Toutefois, la raison la plus importante est que les intérêts de la société ukrainienne et de l’État ukrainien se recoupent actuellement sur un point : repousser l’invasion brutale, mais pas sur une myriade d’autres points. Pour cette raison, toute tentative d’organiser la résistance de manière séparée ne semble pas trouver, à l’heure actuelle, de compréhension de la part des gens. Mais nous voyons que la situation actuelle, au sein des Forces armées ukrainiennes, offre encore beaucoup d’espace aux différents groupes politiques désireux de combattre les occupants. »
Il est important de souligner encore une fois que notre participation sous cette forme à la défense de la société n’était pas une décision spontanée et encore moins une assimilation à des structures qui nous sont étrangères, mais plutôt une partie d’une stratégie révolutionnaire mûrement réfléchie.
Tous les mouvements révolutionnaires ont dû affronter des contradictions, dans leur lutte, et les surmonter. La présence de contradictions ne pas peut être une raison pour l’inaction et le dogmatisme. En même temps, il est essentiel d’analyser constamment nos actions et la mesure dans quelle celles-ci s’alignent à nos objectifs révolutionnaires. C’est ce que le martyr Dmitry Petrov nous a enseigné et nous avons retenu la leçon.
Mises à part les contradictions idéologiques fondamentales, l’interaction avec les structures armées de l’État entraîne un certain nombre d’autres difficultés. Cela inclut la nécessité d’obéir à des supérieurs qui sont loin des idées anarchistes, d’interagir avec un commandement qui a parfois un niveau de compétence douteux et n’est responsable devant aucune structure démocratique, et bien plus encore.
Pourtant, pendant la guerre à grande échelle, plusieurs tentatives ont été faites pour organiser des entités militaires avec un certain niveau d’autonomie. Le plus connu et le plus réussi de ces projets a été le Peloton anti-autoritaire, qui a opéré dans la défense territoriale de la région de Kyïv pendant les premiers mois de l’invasion à grande échelle. Il a cessé d’exister à l’été 2022, mais la lutte pour l’autonomie en temps de guerre n’est pas finie. Au printemps 2023, Dmitry Petrov et plusieurs autres compagnons ont reçu l’autorisation de créer leur unité anarchiste. Le projet a pris fin avec la mort héroïque de Dima, ainsi que des internationalistes Finbar Cafferky et Cooper Andrews, près de Bakhmout, le 19 avril 2023.
En 2023-2024, les compas associé.es à la B.O.A.K. ont combattu au sein du « bataillon Sibir » [ou « bataillon sibérien » ; NdAtt.] des Forces armées de l’Ukraine, qui était composé principalement de citoyen.nes de la Fédération de Russie issu.es de l’opposition. Les compas n’avaient aucune autonomie, au sein de cette structure. Néanmoins, ils ont réussi à transmettre leur point de vue à un public relativement large, grâce à des contacts avec les principaux médias d’opposition russes et des médias grand public ukrainiens. Cette interaction avec les médias a servi à augmenter la visibilité du mouvement anarchiste et a également servi comme une forme d’autodéfense idéologique, en empêchant l’assimilation idéologique. Notre compagnon, sympathisant de la BOAK et combattant du « bataillon Sibir », Vladislav Iurchenko est tombé héroïquement le 9 août 2024, lors de l’atterrissage des groupes ukrainiens de sabotage-reconnaissance sur le Flèche de Kinbourn, dans la région de Mykolaïv.
Que faire maintenant ?
Les forces capitalistes, qui sont de plus en plus dirigées par des fascistes déclarés, comme Donald Trump, se joignent au partage coloniale de l’Ukraine, commencée par Poutine. Par conséquent, nous continuerons la lutte contre l’État et le capitalisme – tant au niveau local que mondial. Cela inclut l’organisation d’une résistance de guérilla sur le territoire de la Fédération de Russie.
Il est tout aussi important d’analyser de manière critique et de partager avec les compas de l’espace post-soviétique et d’autres pays les expériences acquises au cours des trois dernières années. Nous voyons que la résistance révolutionnaire en Ukraine, au Bélarus et en Russie est encore très peu connue, même s’il y a un intérêt international à ce sujet. Il est nécessaire d’engager une discussion idéologique et de construire des ponts avec les révolutionnaires du monde entier.
En gardant la mémoire des martyrs dans nos cœurs, nous continuerons la lutte !
Боевая организация анархо-коммунистов
[Organisation de combat des anarcho-communistes]
Anarchist Militant
Le mirror du site principal en anglais.
Notes d’Attaque :
* Encore une fois, tout en nous souvenant de nos compas décédé.es, on pourrait laisser le langage propre aux religions, qui sont des fondements de l’autorité, à nos ennemis !
** Voir par exemple ici.
*** On pourra lire ce que les compas de la BOAK ont écrit à l’époque sur l’action de Mikhail.
Pour un bilan de l’année 2024 de la BOAK, qui rejoint les arguments exposée ci-dessus, voir ici.