Prison de Korydallos (Grèce) : Une lettre du compagnon anarchiste Nikos Romanos

Dark Nights / jeudi 5 décembre 2024

Lundi 18 novembre est le jour où, pour moi, le temps s’est arrêté une nouvelle fois. Policiers cagoulés, menottes, cellules de garde à vue, caméras de télévision, bulletins d’information, scénarios journalistiques, théories policières. Derrière ce schéma familier et la tempête communicative sur ma culpabilité, il y a une autre réalité.

Ce sont les blessures qui refont surface et se multiplient, en brisant des familles, en détruisant des relations humaines, en anéantissant des rêves, des espoirs, des projets d’une vie condamnée une fois de plus à la mort du temps figé.

Puisque le langage de la vérité ne peut pas être occulté, je le répète : je récuse cette accusation dans son intégralité. Une accusation sans fondement, exagérée et non corroboré, qui se présente de façon abusive, en créant plus de questions que celles auxquelles elle répond réellement. Elle suit la logique politique établie par la loi antiterroriste, qui crée une catégorie d’inculpé.es existant en dehors du système juridique, puisque chacun.e est coupable jusqu’à preuve de son innocence. La langue parlée par le système a déjà rendu son verdict. Je suis devenu un trophée ambulant, à exploiter pour toute finalité utile. Un objet d’exposition dans les vitrines des musées du mensonge et de l’oubli. Avec accrochée une étiquette, « terroriste », et l’ajout « toujours coupable », destiné à être regardé par des visiteurs généralement naïfs, mais surtout effrayés et pacifiques.

Pour ceux qui jouent les vies humaines aux dés, dans un jeu politique vulgaire et éhonté, pour ceux qui croient que le pouvoir qu’ils détiennent leur donne le droit d’écraser des âmes pour leurs propres buts, je vais répéter des choses évidentes.

À partir de la rue Missolonghi*, des bureaux d’interrogatoire, des couloirs gris des prisons, des bancs des tribunaux, jusqu’à la mort lente du confinement. Depuis les choix que j’ai faits de toute mon âme, des choix gravés dans du vrai sang, à grands prix et avec genoux qui ne tremblent pas, je ne recule pas d’un centimètre.

Cela fait partie de l’histoire d’une génération qui s’est révoltée et sur le dos de laquelle une grande partie du système politique a lavé ses péchés, en les laissant sécher sur la corde du cannibalisme répressif et médiatique.

Mais maintenant je ne suis pas en prison parce que j’aurais fait des choix conscients qui entraînent les risques correspondants. Au contraire, ma vie est vendue comme un produit politique, sur l’étagère du supermarché de la communication, au prix du sac qui m’incrimine**, en attendant que les électeurs potentiels fassent leurs courses, un produit après l’autre, jusqu’à la prochaine fois.

C’est vraiment triste pour moi (et pas seulement pour moi) qu’on me demande de prouver que je ne suis pas un éléphant, avec une sentence imminente au dessus de ma tête, qui me condamnera à vivre à nouoveau, pour une durée indéterminée, en tant que prisonnier.

J’ai passé la moitié de ma vie d’adulte en prison. Je n’accepterai pas passivement cette statistique si injuste, faite de beaucoup de douleur et d’innombrables solitudes, visant à m’enfermer derrière du béton et des barreaux.

Je n’accepterai pas des mesures extrêmes, comme la détention préventive, sans une bataille juridique et politique pour regagner ma vie.

Dans cette première déclaration, hâtive et nécessaire, je veux remercier du fond de mon cœur ceux/celles qui ont été à mes côtés avec un amour désintéressé. Le combat pour ma défense et ma libération définitive de cette accusation injuste commence maintenant.

Pour finir…

« Honneur à ceux qui dans leur vie
Se sont présentés pour défendre les Thermopyles.
Jamais ils ne se sont dérobés de leur devoir ;
Justes et probes en tous leurs actes
Mais avec tristesse et compassion ;
Généreux lorsque riches et, quand pauvres,
de leur peu encore généreux,
En apportant encore leur aide, autant qu’ils le peuvent ;
En disant toujours la vérité,
Mais sans haine pour ceux qui mentent.
Et plus d’honneur encore leur est dû
Quand ils prévoient (et beaucoup le prévoient)
Que, en fin des comptes, Éphialtès apparaîtra
Et que, à la fin, les Mèdes passeront. »
Constantin Cavafy

 

Notes d’Attaque :
* c’est au carrefour de la rue Tzavella avec la rue Missolonghi, une voie piétonne, que, le 6 décembre 2008, un flic a tiré sur un groupe de jeunes (dont Nikos), et tué l’un d’entre eux, Alexandros Grigoropoulos
** Après l’explosion du 31 octobre, qui a provoqué la mort du compagnon Kyriakos Xymitiris et gravement blessé la compagnonne Marianna M., la police aurait trouvé dans les décombres de l’appartement un sac, contenant une arme, sur lequel serait présente une empreinte digitale de Nikos.

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