La Nemesi / mercredi 3 mai 2023
Quelle internationale ? Cette internationale !
Considérations sur la grève de la faim d’Alfredo Cospito, contre le 41-bis et la peine de perpétuité avec période de sûreté illimitée, et la mobilisation solidaire internationale (20 octobre 2022 – 19 avril 2023)
Le 19 avril a pris terme, après 181 jours, la longue grève de la faim commencée le 20 octobre de l’année dernière par le prisonnier anarchiste Alfredo Cospito, contre le 41-bis et la peine de perpétuité avec période de sûreté illimitée.
Pendant ces six mois, Alfredo a gardé la combativité et la dignité qui l’ont caractérisé le long de toute sa vie – et particulièrement pendant son emprisonnement –, en ouvrant des contradictions au sein des apparats du pouvoir, en donnant de la force à l’action révolutionnaire internationale et de la visibilité à la propagande des idéaux antiautoritaires, en utilisant son corps et même sa vie pour dénoncer, avec un écho sans précédents, la machine de destruction sur laquelle s’appuie le sinistre apparat politique du régime italien.
Pour les anarchistes, la responsabilité est toujours individuelle. Cet aspect distingue historiquement l’anarchisme des autres tendances de la lutte des classes. Un choix si radical qu’une grève de la faim illimitée ne peut jamais être le résultat des ordres d’un parti, il ne vient pas d’une directive externe et il n’est pas surclassé par les délibérations d’un sujet politique qui évalue les résultats du conflit et, dans le cas d’un succès, demande au prisonnier de suspendre la lutte.
Dès le début, Alfredo a voulu donner une valeur collective à son initiative, en demandant l’abolition pour tout le monde du 41-bis et de la peine de perpétuité avec période de sûreté illimitée. La sentence de la Cour constitutionnelle du 18 avril dernier établit que, pour tous les crimes pour lesquels la peine fixe est la perpétuité, il sera dorénavant possible d’appliquer des circonstances atténuantes, de manière à éviter à l’inculpé la condamnation à la prison à vie. Cela ne concernera pas seulement Alfredo Cospito et Anna Beniamino dans le procès Scripta Manent. Ce n’est pas encore l’abolition de la réclusion à perpétuité, mais c’est, au moins, l’abolition de l’obligation de la perpétuité, prévue jusqu’ici pour certains crimes. Le lendemain, le compagnon a donc décidé d’interrompre sa grève de la faim.
Pendant ces six mois, Alfredo a résisté, avec cohérence et entêtement, aux tentatives de l’assassiner ou de le faire désister. Il a résisté aux nombreux refus, exprimés par le Tribunal d’application des peines de Rome, par la Cassation, par le ministre de la Justice Nordio, à la requête de sa déclassification hors du régime 41-bis ; il a résisté face à la requête, de la part du parquet de Turin, de son emprisonnement à perpétuité ; il a interrompu sa grève de la faim seulement après avoir réussi à obtenir quelque chose de concret sur l’une de ses requêtes. Alfredo a donné beaucoup, en démontrant à quel point l’idéal de liberté qui le pousse dans la lutte est puissant, il est encore en danger de vie et pourrait devoir endurer des atteintes permanentes à sa santé, pendant les longues années de prison qui l’attendent encore.
Nous respectons les choix du compagnon et nous lui sommes reconnaissants pour la force qu’il a donné à nous tous. En ces six mois, à propos de cette affaire, l’anarchisme international a su exprimer de l’énergie et de la radicalité. Le mouvement de solidarité, avec la palette de pratiques mises en place, que ce soit lors de manifestations collectives ou lors d’actions individuelles, a été un problème d’ordre public, en imposant au centre du débat les raisons de cette lutte. En particulier, en ce qui concerne la question du 41-bis, il n’y a jamais eu auparavant une telle attention sur cet infâme régime d’anéantissement. Jamais la sacralité de l’appareil judiciaire anti-mafia avait été mise en discussion à un tel point, sa critique est depuis toujours un tabou en Italie, d’autant plus dans les milieux de gauche. C’est une plaie ouverte qui, nous en sommes sûrs, continuera à saigner aussi sur le long période. Cela a eu lieu non pas grâce à quelques pirouettes politique ou à de la communication, mais à la suite des initiatives radicales qui étaient prises au fur et à mesure.
La décision scélérate, prise par le gouvernement précédent, d’Unité nationale, guidé par Mario Draghi, et par la ministre de l’époque Marta Cartabia, d’enfermer un anarchiste en 41-bis s’est relevée être un boomerang. Si l’objectif déclaré du 41-bis est d’empêcher les communications avec l’extérieur, eh bien, cet objectif n’a pas seulement échoué, mais il a produit l’exact contraire : les écrits d’Alfredo n’ont jamais été si connus, la diffusion des idées anarchistes a eu une visibilité sans précédents dans l’époque contemporaine. La mise en garde du 41-bis n’a pas produit ce repli à la baisse que beaucoup de monde craignait, au contraire, elle a provoqué de la rage et a fait multiplier les initiatives.
La ligne de la fermeté du nouveau gouvernement de droite n’a pas prévu l’indisponibilité de l’anarchisme à faire des compromis avec le raisonnement politique. Sur les décisions stratégiques, de la guerre à l’économie, le gouvernement de Giorgia Meloni se place en continuité parfaite avec celui qui l’a précédé. Dans cette affaire aussi, non seulement il n’a pas été capable de sortir des erreurs faites par ses prédécesseurs, mais, avec sa rhétorique toute « loi et ordre », typique de l’extrême droite, il a exacerbé le conflit et l’a prolongé.
Nous devons répondre à la réaction répressive qui est déjà en train d’arriver – entre plaintes, perquisitions, mesures préventives et mesures de surveillance – en défendant comme un patrimoine collectif la palette de pratiques mises en place pendant ces mois. Nous sentons comme nôtre chacune des actions qui ont eu lieu pendant cette période.
En revanche, nous repoussons avec dégoût toute rhétorique de « solution politique » de la grève de la faim d’Alfredo Cospito. Le compagnon n’a pas interrompu sa grève de la faim pour donner la parole à la société civile ou parce qu’il aurait réussi a ouvrir un débat démocratique sur le 41-bis. Qui affirme cela ne compte pas avec la nature fondamentalement anti-politique de l’anarchisme. La grève de la faim d’Alfredo s’est déroulée selon une logique complètent différente et quand il a pu parler (comme lors de l’audience de Pérouse du 14 mars) il a dit très clairement que « les seuls lueurs d’espoir que je vois sont les gestes de rébellion de mes frères et mes sœurs révolutionnaires, à travers le monde ».
Des tentatives de réconciliation démocratique, bien que marginales, ont été risquées, en ces mois, par cette vermine qui se rassemble autour du milieu du Parti radical. L’association Resistenza Radicale Nonviolenta [Résistance radicale non-violente] a offert à Alfredo sa présidence honorifique. Le conseiller régional de Lombardie du Parti radical, Michele Usuelli, est allé rendre visite en prison à Alfredo, le premier février, et lui a demandé de condamner les actions violentes qui avaient lieu dehors et d’interrompre sa grève de la faim pour protester contre ces actions. Il s’agit d’une intervention lâche, réalisée aux dépenses d’un détenu qui, étant en 41-bis, est déjà soumis à la torture de la privation sensorielle, qui, en plus, est en grève de la faim depuis plus de trois mois et qui doit aussi supporter la visite de quelqu’un qui fait semblant d’être son ami pour essayer de l’entraîner sur la voie de la dissociation.
C’est pour cela que la mobilisation des anarchistes et les pratiques conflictuelles qu’on a exprimées ont été d’une énorme importance. Ces actions ont gardé la porte fermée à la politique, elles se sont placées sur un terrain qui les a rendues non récupérables, elles ont réussi à communiquer non seulement avec de très nombreux exploités, mais aussi avec Alfredo lui-même, dans un moment de grande souffrance, en lui faisant savoir qu’il y a des personnes qui portent encore les raisons du conflit, en l’aidant à résister aux provocations des ennemis et aux tentations des faux amis. On doit être fiers de ce qui a été fait.
Malgré tout cela, nous vivons comme une défaite le fait que Alfredo reste en 41-bis. Cela nous met en colère, de penser à notre compagnon, toujours dans ce régime d’anéantissement, peut-être avec des problèmes de santé permanents, provoqués par sa longue grève de la faim. Si, d’un côté, cela devrait nous pousser à continuer la lutte, à faire payer encore à l’État les contradictions de cette décision, d’un autre côté il représente aussi des dangers.
Le danger principal est celui de rester empêtrés dans une lutte sans fin sur le terrain spécifique de la prison. Nous avons toujours été et nous restons sceptiques vis-à-vis de toute spécialisation anticarcérale. Parce que la prison ne peut pas être le centre d’une lutte. Parce qu’au centre il y a les raisons à cause desquelles on finit en prison. Les raisons qui ont porté Alfredo en prison et pour lesquelles il risque la peine de perpétuité sont plus urgentes que jamais : l’exploitation, le racisme, l’impérialisme, le nucléaire.
Alfredo est fini en 41-bis parce qu’ensuite, quand il était en prison, il a continué à participer au débat, à communiquer à l’extérieur sa pulsion révolutionnaire. En ces années, avec Alfredo nous nous sommes posé une question : Quelle internationale ? Si nous voulons éviter la voie qui est en train de nous porter en même temps à la troisième guerre mondiale et à la catastrophe climatique, le moment est venu de répondre urgemment à cette question. Le mouvement qui s’est développé en ces six mois nous donne sans doute une indication. Celle-ci est notre internationale.
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