La Nemesi / samedi 27 mai 2023
Une plus mille personnes non susceptibles de s’amender.
Une réflexion sur la mobilisation en solidarité avec Alfredo Cospito.
En prenant la parole par ce texte, à la suite de l’interruption de la grève de la faim d’Alfredo Cospito, nous voulons poser quelques éléments de réflexion que nous espérons puissent être utiles à ceux qui ont lutté pendant cette année de mobilisation et à ceux qui, hier comme aujourd’hui, s’apprêtent à lutter pour la liberté. Nous avons sûrement laissé de côté beaucoup d’éléments, conscients que, si des nombreux aspects ont déjà été attentivement examinés pendant la grève de la faim, par le biais de textes, de discussions et surtout dans le vif de la mobilisation de rue, d’autres restent encore à affronter.
La crise du système capitaliste a porté à son paroxysme la tendance au contrôle, qui est une caractéristique structurelle du néolibéralisme. Cela a impliqué une intensification de la répression à l’encontre du mouvement anarchiste et des révolutionnaires prisonniers. Au cours de ces dernières années, cette attaque répressive s’est peu à peu étendue à tous les exploités qui refusent de subir passivement la crise sociale et écologique.
L’offensive répressive a montré un caractère préventif. L’État veille a tuer dans l’œuf les luttes radicales, dans le but de les criminaliser et les mystifier, en endiguant le possible intérêt que les exploités pourraient leur porter, dans un contexte où l’opposition au capitalisme et à ses politiques énergétiques et économiques pourrait ouvrir des possibilités bien plus larges à la critique de l’État et du capital.
Au sein d’une stratégie qui vise à éliminer le mouvement anarchiste d’action directe, contre lequel on utilise continuellement, depuis des années, des nouveautés répressive, nous ne rappelons que quelques faits remarquables de ces dernières années : l’accusation de massacre portée contre Juan Sorroche ; la requalification, dans le procès Scripta Manent, en « massacre politique » d’un chef d’inculpation contre Anna Beniamino et Alfredo Cospito et le transfert de ce dernier dans le régime de détention 41 bis, en mai 2022 ; la classification de la Fédération Anarchiste Informelle comme « association subversive avec finalité de terrorisme » ; l’utilisation intensive de l’accusation de « provocation aux crimes et aux délits », avec la circonstance aggravante de la finalité de terrorisme, contre des publications anarchistes.
Au cours de cette mobilisation, il a été souligné à plusieurs reprises que l’attaque répressive contre Alfredo est un vrai avertissement de la part de l’État à l’encontre de ceux qui continuent à soutenir les idées et les pratiques révolutionnaires. L’État doit effacer la possibilité et la mémoire de la lutte armée en ce pays. L’action contre Adinolfi, revendiquée par Alfredo au tribunal de Gênes, est l’un des témoignages les plus récents du fait que cette possibilité existe encore.
Dans l’action révolutionnaire, nous ne pouvons pas nous limiter à recevoir les coups que l’État nous donne, en attendant des jours meilleurs. Nous pensons qu’il faut avant tout développer des formes de lutte efficaces, pour affaiblir le pouvoir, à partir d’une capacité d’approfondissement critique des problèmes sociales, dans la perspective d’une compréhension globale de la situation actuelle. En ce sens, en tant qu’Assemblée en solidarité avec Alfredo Cospito et les prisonniers révolutionnaires, nous avons développé des réflexions que nous pensons utile de diffuser, afin de réfléchir ensemble à ce qui s’est passé le long de onze mois de mobilisation, dont six de grève de la faim.
Le mouvement de solidarité international s’est placé, du moins cela a été le cas pour une partie importante, en dehors de la « spécialisation » anti-carcerale ou anti-répressive. En effet, le mouvementa a su comprendre que le durcissement répressif en cours contre les anarchiste et les révolutionnaires n’est pas le résultat d’un acharnement générique de l’État, mais trouve sa raison d’être dans la lutte révolutionnaire pour la transformation sociale et la destruction de l’État et du capital.
Le mouvement de solidarité a réussi à être un bon élément de perturbation de la paix sociale, même s’il n’a certainement pas développé toutes ses potentialités. Pour faire un exemple, la mobilisation a réussi à déchirer le voile de silence autour de ce cette affaire. Néanmoins, les camarades n’ont pas réussi à se soustraire complètement au conditionnement des grands médias : l’intervention d’une grande partie du mouvement antagoniste s’est manifestée principalement à la suite du battage médiatique, comme cela arrive malheureusement souvent.
En tout cas, la mobilisation a eu une valeur énorme : en tant qu’expérience, pour le mouvement anarchiste contemporain, et aussi en ce qui concerne le fait que certaines formes de lutte deviennent habituelles. Tout cela dans une époque qui prône le désengagement et la démobilisation permanente, où la résignation domine. Le mouvement de solidarité a démontré que cette lutte a eu plus de possibilités de se concrétiser à partir d’une instance spécifique – que l’on peut résumer par « Alfredo hors du 41 bis » – qu’à partir d’une quelconque déclaration de principe, comme par exemple dans le contexte d’une lutte conçue de manière plus générale « contre le 41-bis et toutes les taules ». Notre critique du système carcéral doit être conçue au sein d’une critique sociale globale, beaucoup plus large et radicale, qui d’ailleurs comprend aussi l’opposition aux guerres en cours.
La lutte qui a grandi pendant ces onze mois de mobilisation a été caractérisée par une lecture de caractère international de la situation sociale et politique actuelle. En arrivant, dans certains cas, à soutenir aussi d’autres prisonniers révolutionnaires, en France, en Grèce, en Palestine, au Kurdistan et en Turquie. En même temps, s’est manifestée la solidarité humaine et immédiate des compagnons révolutionnaires. En Italie, en France, au Chili, en Grèce, au Royaume-Uni, en Espagne et en Allemagne, depuis le début de la grève de la faim d’Alfredo, ces derniers se sont solidarisés avec lui, en entamant à leur tour des grèves de la faim, en menant des initiatives et des jeunes solidaires, en plus qu’en publiant des déclarations et des analyses. En particulier, nous pensons que les longues grèves de la faim entreprises par Juan Sorroche (25 octobre – 24 novembre), Ivan Alocco (27 octobre – 1er décembre, 22 décembre – 23 janvier) et Anna Beniamino (7 novembre – 14 décembre) ont donné de l’élan et de la force au développement ultérieur de la mobilisation. Parmi les innombrables et importantes initiatives et déclarations solidaires venant des prisons, nous voulons souligner l’initiative menée par Nicola De Maria (prisonnier des Brigades rouges – Colonna Walter Alasia, en taule depuis 1982), qui, en novembre, a refusé de remonter en section après la promenade et en janvier a effectué un battage des barreaux, en publiant ensuite des déclarations en solidarité avec Alfredo et les trois révolutionnaires communistes emprisonnés en 41-bis.
Le cri « tout le monde hors du 41-bis » a résonné dans les prisons. Lors de nos rassemblements devant la taule de Terni, où est emprisonné Juan, nous avons été accueillis par des détenus criant les slogans de la mobilisation. Les potentialités de développement de la lutte à l’intérieur des prisons nous ont semblé concrètes. Le sérieux et la détermination d’Alfredo ont été compris par des nombreux détenus. Son initiative individuelle a été une « tête de pont » extraordinaire, pour les luttes anti-carcerales et contre le 41-bis, et elle s’est avérée plus efficaces que toutes les mobilisations qui ont été entreprises ces dernières décennies sur ces thématiques.
L’issue de l’audience du 18 avril de la Cour constitutionnelle (à laquelle a suivi, le lendemain, l’interruption, de la part d’Alfredo, de sa grève de la faim) n’est pas un « retour » aux principes de la Constitution, ni une « victoire » sur le terrain juridique, dans une bataille de civilisation. Il s’agit d’un résultat qui aurait été impossible sans le développement du mouvement international de solidarité et la forte lutte menée, avec détermination et grande capacité de résistance, par Alfredo.
Après la fin de la grève de la faim, Alfredo reste en régime 41-bis. En ce qui concerne l’autre requête d’Alfredo, c’est à dire l’abolition de la peine de perpétuité avec période de sûreté illimitée – qui, en Italie, est un vrai « fin de peine : jamais » – la Cour constitutionnelle a du prendre en compte son cas, en décrétant inadmissible que la concession des circonstances atténuantes ne fasse pas l’objet d’une évaluation, pour les condamnations qui prévoient la perpétuité comme peine fixe. Cette sentence représente un précédent pour tous les détenus qui se trouveront dans la même situation. La condamnation prévue et demandée à l’encontre d’Alfredo sera calculée à nouveau [le 26 juin 2023, la Cour d’appel de Turin l’a condamné à 23 ans ; Anna, inculpée elle aussi dans le procès Scripta Manent, a écopé de 17 ans et 9 mois ; NdAttaque].
Pour nous, il ne s’agit pas de raisonner en termes de victoire ou de défaite, mais de faire face au virage répressif avec une perspective à long terme, chose d’ailleurs inévitable aujourd’hui, étant donné la presque totale disparité des « forces présentes sur le terrain ». Il nous faut donc abandonner tout sentiment de découragement, même si ce dernier pourrait être compréhensible, puisque Alfredo reste en régime 41-bis. Aujourd’hui, nous sommes conscients d’avoir mis un bâton dans les rues des intentions immédiats de l’État, qui visait à réaliser une œuvre de dénigrement, de mystification permanente et, surtout, d’anéantissement des minorités révolutionnaires. Une offensive dans laquelle le 41-bis représente l’expression répressive maximale aux mains de l’État, en termes de force de dissuasion. En plus, il a été mis en discussion le prestige d’une institution intouchable, symbole de ce système démocratique : l’anti-mafia (Direction nationale anti-mafia et anti-terrorisme – DNAA), le cerveau des stratégies répressives et contre-révolutionniares.
En ce qui concerne les contradictions qui ont surgi au sein des institutions à la suite de la grève de la faim, malgré le fait que la DNAA et le ROS des Carabinieri soient parmi les principaux responsables de son transfert en 41-bis, il faut surligner les avis négatifs au transfert d’Alfredo hors de ce régime, que ces deux structures ont donné au ministre de la Justice Nordio. Cela a eu lieu quand ce dernier a demandé aux différents organismes répressifs de lui envoyer leurs avis à propos de l’instance de révocation de la mesure. Il s’agit de l’une des manifestations les plus visibles de la dynamique qui consiste à se rejeter mutuellement les responsabilités, entre les institutions politiques et celles judiciaires, produite par la pression engendrée par la lutte en cours. Une situation de « confusion » institutionnelle qui a pris fin le 24 février, avec la confirmation de la détention d’Alfredo en 41-bis (avec la ratification, donc, de l’ainsi-dite « ligne de la fermeté ») par la Cour de cassation.
Des considérations exposées jusqu’ici, il ressort que, au cours de ces longs mois, en plus de la vie du compagnon, ce qui a été en jeu c’était aussi le sens et la perspective de la solidarité, un principe qui, depuis des années, est sous attaque constante de la part des parquets antiterroristes de toute l’Italie.
La perspective de cette assemblée, au sein de cette mobilisation et du mouvement de solidarité, a été celle d’un point de rencontre ouvert à tous les compagnons. Nous étions conscients du fait que la lutte d’Alfredo concernait nous tous et que le mouvement anarchiste traversait un moment de faiblesse, dû à des insuffisances qui lui sont propres ainsi qu’à la paralyse provoquée par la répression. En ce sens, nous avons pensé qu’il était nécessaire de se regarder dans les yeux, de se parler et de s’unir pour acquérir de la force et de la consistance.
A cette assemblée ont participé des compagnons et des compagnonnes anarchistes et des camarades communistes qui ont effectué des manifestations et des nombreux initiatives dans la rue, à Rome. L’assemblée s’est donnée avant tout le but de briser le silence qui entourait cette affaire, de faire ressortir le problème, de le rendre de notoriété publique. De plus, nous pensions qu’il fallait pousser pour qu’on réponde à l’attaque répressive.
Cette mobilisation concernait tous les compagnons anarchistes et révolutionnaires. A la suite de contrastes, parfois rudes et difficiles, nous avons compris qu’il n’est pas nécessaire, ni utile, de chercher une synthèse entre les différentes visions des compagnons et qu’il ne doit pas exister une seule perspective qui nous comprenne tous. Au contraire, il faut accepter et valoriser les différences, qui, dans l’anarchisme, sont une richesse. En de telles conditions, le bon « vieux » principe d’une conflictualité en ordre dispersé, cher aux anarchistes depuis l’époque de Cafiero, reste toujours fondamental, dans l’étude et dans le développement intégral de nos possibilités.
La lutte, commencée à la suite de l’accusation de massacre portée contre des anarchistes – cela dans le pays des « massacres d’État » – a continué à la suite du transfert d’Alfredo en 41-bis, de la condamnation par la Cour de cassation d’Anna et Alfredo pour « massacre politique » et de la grève de la faim illimitée de ce dernier. A Rome, la mobilisation s’est concrétisée, à partir de juin, par une première initiative devant le siège de la DNAA, suivie par une balade communicative dans les quartiers populaire de l’est de Rome. Dans le centre de Rome sont installées les institutions politiques, judiciaires et administratives qui sont responsables de la condamnation et des conditions de détention d’Alfredo (la DNAA, la Cour de cassation, le Tribunal d’application des peines, le ministère de la Justice, le gouvernement), c’est pour cela que nous avons décidé de réaliser une grande partie de nos initiatives dans le centre-ville, même s’il s’agit d’un lieu où il n’y a pas de vie véritable. Notre pratique n’a jamais été la négociation, mais le fait d’indiquer clairement les responsables, en leur faisant sentir notre présence. Aller dans le centre de Rome, devant les lieux physiques où l’on prend les décisions concernant nos compagnons emprisonnés, avait pour but de mettre une épine dans le pieds des responsables. C’est pour cela que, souvent, les initiatives ont été caractérisées par la mobilité et l’imprévisibilité. Le cortège du 12 novembre a été décisif pour briser le silence sur la lutte d’Alfredo et mettre au clair que, dans l’urgence de la situation, il était possible de prendre la rue avec détermination.
A partir de janvier, cette rencontre a pris le nom d’Assemblée en solidarité avec Alfredo Cospito et les prisonniers révolutionnaires, ce qui reflète la perspective d’une ouverture à la solidarité internationale avec tous les révolutionnaires enfermés dans les taules du monde. Des nombreux camarades révolutionnaires se trouvent aujourd’hui à faire face à la tendance à l’homologation entre les régimes spéciaux et les circuits de détention qui existent dans les prisons européennes – et pas seulement. Grâce à la grève de la faim d’Alfredo et au mouvement de solidarité internationale, des telles questions ont, elle aussi, été mises en avant, en Italie et à l’étranger. L’ouverture vers la solidarité à l’encontre de tous les révolutionnaires prisonniers a été l’un des traits saillants de cette mobilisation : Alfredo lui-même, dans sa déclaration devant le Tribunal d’application des peines de Sassari, le 20 octobre (une déclaration censurée à cause du règlement du 41-bis), a dédié sa grève aux trois révolutionnaires communistes emprisonnés, militants des Brigades rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant, détenus en 41-bis depuis 18 ans (Nadia Lioce, Marco Mezzasalma et Roberto Morandi).
Contre les révolutionnaires, les États – y compris tous les régimes démocratiques – montrent leur vrai visage, à l’extérieur comme à l’intérieur des prisons. Il n’y a pas d’alternative à la lutte. Même en ces années de paix sociale supposée, de durcissement des conditions d’exploitation, d’accélération technologique, d’utilisation de l’urgence permanente comme forme de domination et de la guerre comme instrument pour garantir la survie de l’Occident capitaliste, il y a des personnes qui ont continué à combattre toute « perspective » de reddition et de désolidarisation.
Cette mobilisation n’a pas été l’habituelle manifestation de solidarité symbolique, mais une mobilisation concrète. Une caractéristique, celle-ci, d’importance fondamentale, d’un point de vue révolutionnaire. Les objectifs qu’Alfredo avait posé ont été atteint seulement partiellement, mais on s’y attendait. En commençant à quelques compagnons, on a mis en place une mobilisation permanente, qui a duré des mois, qui a été l’initiative la plus consistante de cette époque, dans le milieu antagoniste, et qui a fait comprendre à l’État que ses attaques ont des conséquences : il y a un prix à payer.
Dans une lutte comme celle entreprise par Alfredo, l’enjeu n’est pas seulement sa survie personnelle ou la réalisation d’un objectif donné. Pour les anarchistes, le rapport entre les moyens et les fins est d’importance fondamentale, étant donné que la cohérence des moyens utilisés pour atteindre des objectifs spécifiques, en plus du but final, est déterminante. La lutte en soutien à Alfredo ne devait donc pas passer par le fait de brader nos idées et nos pratiques, par le compromis politique et par la récupération démocratique. Il était important de tenir la barre bien droite, surtout dans un pays comme l’Italie, où souvent certains secteurs de l’antagonisme ont dans leur histoire des épisodes de dissociation, de reddition politique, d’abandon de l’hypothèse révolutionnaire.
Nous pouvons affirmer que celle-ci a été une bonne mobilisation, pour le mouvement anarchiste, car elle a adhéré aux propositions théoriques et pratiques du mouvement, sans chercher des raccourcis ni arriver à liquider nos positions. Le refus de la délégation de pouvoir, l’action directe, l’internationalisme ont caractérisé le mouvement de solidarité : cette perspective a permis de soutenir efficacement la lutte de nos compagnons emprisonnés. Pas seulement, cette mobilisation a donné une réponse digne aux innombrables et incessantes attaques répressives que l’on a subi au cours de ces années. Le mouvement anarchiste, avec ses pratiques et ses idées, en a tiré de la force pour une reprise, au moins en Italie, et il en a donné à tous ceux qui ont soutenu la mobilisation.
Nous pensons qu’il est de fondamentale importance de sortir d’une dynamique de lutte simplement anti-répressive, en relançant l’initiative du mouvement révolutionnaire dans tous les domaines : seulement ainsi nous aurons la force pour continuer à contrer l’offensive du capital et de l’État.
Allons de l’avant, le long de la route que nous avons entrepris, même si elle est pleine d’obstacles. Notre pensée, sous la forme d’une accolade pleine de conscience et de détermination, va à Alfredo.
Assemblée en solidarité avec Alfredo Cospito et les prisonniers révolutionnaires
Rome, mai 2023
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