Italie – Scripta Manent : un procès politique contre vingt ans d’histoire de l’anarchisme révolutionnaire

La Nemesi / lundi 2 janvier 2023

Scripta Manent : un procès politique contre vingt ans d’histoire de l’anarchisme révolutionnaire. Intervention à l’initiative qui a eu lieu a Athènes le 19 décembre 2022.

Le texte ci-dessous est l’intervention écrite par le compagnon anarchiste sarde Omar Nioi, condamné lors du procès Scripta Manent, à l’occasion de l’initiative qui a eu lieu le 19 décembre 2022 à l’ASOEE (l’Université d’économie d’Athènes), au sujet de la grève de la faim illimitée de l’anarchiste Alfredo Cospito. Cette initiative a été réalisée grâce au squat Nadir, de Thessalonique, au site/projet de traduction Blessed is the flame et à d’autres compagnons. La traduction de l’italien au grec a été effectuée par le groupe de contre-information Radiofragmata.

Tout d’abord, bonjour à tous les compagnons présents à cette initiative, bonjour et merci en particulier aux compagnons qui l’ont organisée. Aujourd’hui, comme par le passé, tisser des rapports internationaux, des échanges et des discussions, continue à être un élément nécessaire et une partie toujours vivante de l’anarchisme révolutionnaire, pour donner de la force à nos idées.

 

Scripta Manent : un procès politique contre vingt ans d’histoire de l’anarchisme révolutionnaire

 

Les faits

A l’aube du 6 septembre 2016, 32 compagnons sont réveillés par la police politique (DIGOS), un peu partout dans le territoire de l’État italien.

Le résultat de la première portion de l’opération de police appelée Scripta Manent, ordonnée par le Parquet de Turin, par le biais de son inquisiteur Roberto Maria Sparagna, est de 15 personnes sous enquête et 7 arrêtées. Un huitième anarchiste, rédacteur du projet éditorial Croce Nera Anarchica (aujourd’hui fermé) est arrêté suite à la perquisition de son domicile, où les flics ont trouvé des batteries et un manuel d’électricien.

En plus des compagnons Alfredo Cospito et Nicola Gai, qui se trouvent en prison depuis 2012, car passés à procès et condamnés pour les blessures provoquées à Roberto Adinolfi (PDG d’Ansaldo Nucleare), une action revendiquée en tant que Nucleo Olga / FAI-FRI, les flics arrêtent aussi les compagnons Alessandro, Marco, Danilo, Valentina et Anna.

Les chefs d’inculpation pour tous les compagnons sont, à des degrés différents, les articles 270 bis (association avec finalité de terrorisme), 280 bis (acte de terrorisme avec des engins mortels ou explosifs) et 285 (massacre), à partir du lointain 2003, et ils concernent une série d’attaques signées Federazione Anarchica Informale [Fédération Anarchiste Informelle], par les cellules Narodnaja Volja, Cooperativa Artigiana Fuoco e Affini (occasionalmente spettacolare) [Coopérative artisanale Feu et affins (parfois spectaculaire)], Rivolta Anonima e Tremenda (RAT–FAI) [Révolte anonyme et terrible], ainsi que, justement, Nucleo Olga.

En somme, l’énième enquête sur la Fédération Anarchiste Informelle, l’énième tentative de choper des gens à l’aveuglette, pourvu qu’on puisse s’assurer un salaire, qui, entre la durée de l’enquête et celle du procès, fasse enrichir le plus grand nombre possible de serviteurs de l’État.

Pendant les premiers mois, les compagnons emprisonnés ont fait face à des interdictions de se rencontrer, à la censure de leur courrier, à l’isolement complet et à plusieurs transferts.

En avril 2017, à la clôture de l’enquête – pour les compagnons emprisonnés en septembre 2016 et ceux inculpés comparaissant libres – pour 12 des 17 inculpés originaires on ajoute, en plus des crimes déjà contestés, aussi l’article 414 du code pénal (provocation aux crimes et délits) avec la circonstance aggravante de la finalité de terrorisme, parce qu’ils sont considérés comme les créateurs et/ou les diffuseurs du projet Croce Nera Anarchica, journal papier et blog internet, en faisant référence explicite à des éditoriaux et des articles parus du n°0 au n°3. En ce qui concerne le délit de provocation aux crimes et délits, il y a aussi la circonstance aggravante d’« avoir accompli le fait par le biais d’instrument informatiques et télématiques ».

Le 2 juin 2017, arrive la deuxième portion de l’enquête Scripta Manent. Sept autres anarchistes, laissés en liberté, sont mis sous enquête en vertu des article 270 bis et 414 du code pénal, parce que rédacteurs (ou pas) du projet Croce Nera Anarchica et des blogs RadioAzione et Anarhija.info. Les accusations pour tous sont le 270 bis (association subversive avec finalité de terrorisme), en association avec les compagnons anarchistes sous enquête pour la première portion de l’opération Scripta Manent, toujours en lien avec la FAI, et aussi l’article 414 du code pénal (provocation aux crimes et délits, toujours avec la finalité de terrorisme), pour la traduction de communiqués, la prédisposition, l’instigation, l’apologie, la création et la diffusion, toujours par le biais de sites internet et journaux papier, de matériel de propagande idéologique anarchiste « insurrectionnaliste-luttarmatiste », ainsi que pour avoir recueilli de l’argent pour soutenir les compagnons emprisonnés.

En plus, deux de ces 7 derniers compagnons serons par la suite inculpés aussi en vertu de l’article 280 du code pénal, parce que, pendant les perquisitions de septembre 2016, la police avait trouvé chez eux, en plus d’autres textes publiés sur Croce Nera Anarchica, aussi une copie de la revendication de l’attaque au tribunal de Civitavecchia, de janvier 2016, signé par le Comitato pirotecnico per un anno straordinario / FAI–FRI [Comité pyrotechnique pour une année extraordinaire / FAI-FRI].

Quelques jours après, lors de l’audience préliminaire du 5 juin 2017, les deux portions de l’enquête sont unifiés et tout le monde est renvoyé à procès, les différents chefs d’inculpation restant les mêmes.

Concrètement, après un an de contrôle, de censure (avec des blocages et des saisies systématiques du courrier des compagnons emprisonnés, qui a été versé directement au dossier du Procureur, ajouté aux actes de l’audience préliminaire) et de surveillance de la solidarité, le Proc’ et la police ont réussi a faire rentrer dans cette affaire aussi ceux qui ont continué à garder les contacts avec les prisonniers et à poursuivre l’activité éditoriale.

 

Le procès de premier degré

En juillet 2017, il y a eu l’audience préliminaire.

Le procès, pour tout le monde, a commencé le 16 novembre 2017, dans la salle-bunker de la prison de Turin.

Après plus d’un an d’audiences interminables, pendant lesquelles le Parquet est allé piocher même dans des anciennes enquêtes anti-anarchistes des années 90 et 2000, en revenant sur les dernières trente ans de l’anarchisme révolutionnaire en Italie, l’histoire des attaques signées par la FAI, il y a eu la suite des témoins à charge, des experts nommés par le Parquet et par la défense.

En mars 2019 sont tombées les requêtes de condamnation de la part du Proc’ et, en avril, les condamnations de premier degré.

Alfredo a été condamné à 20 ans, car reconnu responsable de possession et de transport de matériel explosif, en relation à l’engin placé en 2005 au Palazzo Ducale, pour le RIS de Parme (il a été acquitté du crime d’attentat parce que celui-ci était « impossible » : l’interrupteur de l’engin était positionné sur « éteint »), du colis piégé envoyé en 2005 au maire de Bologne de l’époque, Cofferati (il a été condamné pour l’attentat et pour possession et transport d’explosif), pour les attaques, avec plusieurs engins explosifs, contre l’école pour élèves des Carabinieri de Fossano, en 2006, et dans le quartier Crocetta, à Turin, en 2007 (crime de « massacre », avec la circonstance aggravante que la cible auraient été les forces de l’ordre ; la circonstance aggravante de la motivation politique est tombée), de l’envoi des colis piégés, en 2006, au maire de Turin de l’époque, Chiamparino, au directeur du journal Torino Cronaca, Giuseppe Fossati, et à l’entreprise de constructions COEMA. De plus, il est désigné comme animateur la FAI, reconnue, celle-ci, comme une association subversive avec la finalité de terrorisme. La circonstance aggravante de son caractère internationale est tombée.

Anna a été condamnée à 17 ans pour les engins de la Crocetta et de Fossano et pour les colis piégés de 2006, en plus que pour association subversive avec la finalité de terrorisme, en tant qu’animatrice de la FAI.

Nicola a été condamné à 9 ans pour association subversive avec la finalité de terrorisme.

Marco et Sandro ont été condamnés à 5 ans pour participation à une association subversive avec la finalité de terrorisme.

Tous les autres inculpés ont été acquittés. Tous les condamnés restent en prison, tandis que Danilo sort de prison et Valentina quitte les arrestations domiciliaires.

 

Le procès en appel

Le 1er juillet 2020, il y a la première audience en appel du procès Scripta Manent, dans la salle-bunker de la prison de Turin.

Les inculpés emprisonnés participeront en visio-conférence, comme lors de toutes les dernières audiences du procès de premier degré.

En effet, pendant la période des audiences préliminaires, il n’y avait pas encore de loi imposant la visio-conférence. Ensuite, au début du procès de premier degré, une loi a été adoptée ; cependant elle laissait un an de temps aux prisons et aux tribunaux pour s’équiper, en imposant, pendant cette année d’adaptation, la visio-conférence seulement aux prévenus accusés d’être aux postes dirigeants des « associations ». Après un an, la visio-conférence a été appliquée à tout le monde, comme prévu.

L’audience a été utilisée surtout pour discuter des nombreuse exceptions présentées par les avocats défenseurs, par rapport au recours en appel, présenté par le Proc’ Sparagna, aussi pour les compagnons acquittés en première degré. Plus précisément, il semblait évident que le Proc’ n’avait pas respecté les délais pour présenter son recours, mais un nouveau calcul effectué par les juges a établi, en fin d’après-midi, que le recours était recevable… le procès continue donc aussi pour les inculpés acquittés en premier degré.

Pendant les audiences successives, le Parquet a demandé des condamnations pour tout le monde, en refusant de reconnaître le principe juridique de ne bis in idem (étant donné qu’ils avaient déjà été jugés pour ces mêmes délits) ; en outre, il demande que les circonstances atténuantes ne soient pas retenues, pour tout le monde, plus précisément la non-continuité du comportement criminel, par rapport aux blessures infligées à Adinolfi. Il demande que le crime de « massacre » soit retenu aussi pour l’attaque à la caserne du RIS de Parme.

Le 24 novembre 2020, est tombée la sentence en appel.
– Anna : 16 ans et 6 mois (en premier degré, elle avait écopé de 17 ans)
– Alfredo : 20 ans (comme en premier degré)
– Nicola : 1 an et 1 mois (en premier degré, il avait écopé de 9 ans), en continuation de la sentence de la Cassation, de 8 ans, 8 mois et 20 jours, dans le procès pour l’action contre Adinolfi
– Alessandro : acquitté de tous les chefs d’inculpation (comme en premier degré)
– Marco : acquitté de l’accusation d’« association subversive avec la finalité de terrorisme et de renversement de l’ordre démocratique » (en premier degré, il avait écopé de 5 ans), mais condamné à 1 an et 9 mois pour « provocation aux crimes et délits » pour Croce Nera Anarchica.

La condamnation pour « association subversive avec la finalité de terrorisme et de renversement de l’ordre démocratique » a été confirmée seulement pour Anna, Alfredo e Nicola.

Les compagnons Nicola, Alessandro et Marco sont sortis de prison.

Contrairement au procès de premier degré, il y a eu aussi la condamnation de neuf autres compagnons, pour « provocation aux crimes et délits ». Des condamnation liées, à des degrés différents, à la publication de Croce Nera Anarchica, revue apériodique et site internet, et à l’administration d’autres sites internet, qui avaient été mis sous accusation. Ces condamnations vont des 2 ans et 6 mois pour Gioacchino Somma aux 1 an et 9 mois pour Erika, Omar, Alessandro e Lello.

En plus qu’Alessandro, neuf autres compagnons ont été acquittés de toute accusation, parmi lesquels Danilo, qui a été en prison du 6 septembre 2016 au jour de son acquittement en premier degré, et Valentina, en prison et ensuite aux arrestations domiciliaires pendant la même période, elle aussi libérée avec l’acquittement en premier degré. Les autres compagnons comparaissaient libres.

 

La Cassation

En juillet dernier [2022 ; NdAtt.], la Cassation a requalifié l’attaque explosive contre l’école pour élèves des Carabinieri de Fossano (en province de Cuneo), du 2 juin 2006, revendiquée par Rivolta Anonima e Tremenda / Federazione Anarchica Informale, comme « massacre politique » (art. 285 du Code pénal) et a renvoyé à la Cour d’appel de Turin la tâche de calculer à nouveau la peine, en l’aggravant, avec le risque d’une peine à la réclusion à perpétuité pour les compagnons Alfredo Cospito et Anna Beniamino. La perpétuité est la peine de base que le code pénal italien prévoit pour le massacre politique. Après avoir requalifié le crime, la Cassation renvoie donc le dossier à la Cour d’appel, justement pour que celle-ci détermine à nouveau les peines. L’audience pour cette décision [a eu lieu] à Turin le 5 décembre 2022.

Le 5 décembre, il y a donc eu la nouvelle audience en appel du procès Scipta Manent, contre Alfredo Cospito et Anna Beniamino. Le Procureur général a demandé une condamnation à 27 ans et 1 mois pour Anna et la perpétuité avec période de sûreté illimitée, assortie de 12 mois d’isolement pendant la journée, pour Alfredo, en allant même plus loin que les requêtes précédentes du Proc’ Sparagna, qui avaient été de 30 ans pour Alfredo.

La Cour d’assise d’appel de Turin n’a pas pu émettre la sentence et s’est adressée à la Cour constitutionnelle : les juges de Turin demandent s’ils est légitime qu’ils soient obligés de ne pas tenir compte des circonstances atténuantes pour Alfredo Cospito, à cause de ses antécédents judiciaires. Cela les obligerait en effet à condamner Alfredo à la réclusion à perpétuité, même si c’est pour une action qui n’a provoqué ni morts, ni blessés.

Le 19 décembre [il y a eu] une nouvelle audience, à Turin, une audience de forme, pour élaborer la demande à soumettre à la Cour constitutionnelle.

Alfedo et Anna ont fait des interventions spontanées que vous avez peut-être déjà pu lire, car traduites et diffusées à l’internationale. Alfredo a réaffirmé qu’il poursuivra la grève de la faim, commencée le 20 octobre, jusqu’à son dernier souffle, contre la mesure du 41-bis et contre la peine de perpétuité avec période de sûreté illimitée, Anna a souligné que toute personne dotée d’un minimum de capacité critique saura voir qui sont les mandants et les exécuteurs de la destruction d’Alfredo. Les solidaires présents dans la salle ont salué les compagnons inculpés avec des slogans et des cris.

[Le 18 avril 2023, la Cour constitutionnelle a donne son feu vert à la reconnaissance des circonstances atténuantes pour Alfredo (en modifiant la norme qui imposait la prévalence de la circonstance aggravante de la récidive réitérée) et a renvoyé le dossier à la Cour d’assise d’appel de Turin ; le 26 juin, cette dernière a donc condamné Anna à 17 ans et 9 mois et Alfredo à 23 ans ; NdAtt.]

Après ce résumé – limité et sans aucune analyse – de ce qui a été le procès Scripta Manent, j’essayerai de creuser la signification de l’application du régime 41-bis à notre compagnon Alfredo, de sa grève de la faim et de la mobilisation internationale que cela a produit. Je reprend un récent texte à moi, modifié pour l’occasion. Cependant, les compagnons du journal anarchiste Vetriolo vous donneront plus de précision au sujet de l’opération Sibilla, pour ce qu’elle a signifié pour eux et pour Alfredo.

 

L’importance d’une solidarité révolutionnaire.
Aux cotés de l’anarchiste Alfredo Cospito, de son parcours et de ses positions

« Nous voulons un présent qui vaille la peine d’être vécu, non simplement sacrifié à l’attente messianique d’un paradis terrestre à venir. C’est pour cela que nous avons voulu parler concrètement d’une anarchie à réaliser maintenant, pas demain. Le « tout et tout de suite » est un pari, un défi que nous faisons, dont l’enjeu est notre vie, la vie de tous, notre mort, la mort de tous… »
Pierleone Mario Porcu

Ce matin-là, le 7 mai 2012, à Gênes, il n’y avait pas seulement deux anarchistes d’action, Alfredo Cospito et Nicola Gai, qui remplissaient avec joie le chargeur d’une vieille Tokarev, qui ensuite, serrée dans un poing, aurait tiré dans les jambes du PDG d’Ansaldo Nucleare, Roberto Adinolfi, mais il y avait la partie la plus vivante et la plus concrète de l’anarchisme révolutionnaire, qui se fait action. Qui, en tant que Nucleo Olga, avec l’instrument de la Fédération Anarchiste Informelle, ce jour-là coupait les ponts avec le présent de l’époque, avec l’immobilise d’un certain anarchisme et son repli vers des tonalités de plus en plus au rabais. Nous montrant, après Fukushima et le retour du spectre du nucléaire en Europe, comment, derrière les tragédies qui tourmentent la planète, la nature, l’homme, ces mêmes tragédies qui déclenchent des émotions fortes dans nos cœurs, il n’y a pas des abstractions, il n’y a pas de concepts, mais il y a des hommes qui poursuivent sans arrêt, dans leurs course folle et autodestructive, il y a des structures qui rendent possible l’avancée de la mort, il y a des esclaves qui protègent les uns et les autres avec des armes. Et que ces hommes, ces structures, ont un nom et une adresse.

Suite à cette action-là, Nicola et Alfredo ont été arrêtés, jugés et ils ont revendiqué la tête haute leur action, dans une salle de tribunal. En montrant à quel point l’action directe destructive et l’hypothèse armée étaient encore des faits réels et que leur revendication de la part des anarchistes quelque chose de nécessaire.

Après dix ans de prison, le 5 mai 2022, Alfredo a reçu la notification de son transfert d’une section « haute sécurité » à une « 41-bis ».

Le 6 juillet 2022, la Cour de cassation a requalifié l’attaque explosive contre l’école pour élèves des Carabinieri de Fossano, de juin 2006, revendiquée par Rivolta Anonima e Tremenda / Federazione Anarchica Informale, pour laquelle étaient inculpé les compagnons Anna Beniamino et Alfredo Cospito, en « massacre politique », en renvoyant à un nouveau calcul, péjoratif, de la peine, qui pourrait même prévoir l’emprisonnement à perpétuité avec période de sûreté illimitée.

Aujourd’hui, encore une fois, Alfredo est en train de donner beaucoup à l’anarchisme et à nous tous, en plaçant sa dignité et ses positions irréductibles même plus haut que ses propres conditions physiques, avec une grève de la faim, commencé le 20 octobre 2022, contre le régime 41-bis et la peine de perpétuité avec période de sûreté illimitée, une grève qui continuera de manière illimitée, en utilisant son corps comme une barricade, pour que l’utilisation du 41-bis pour les anarchistes ne passe pas. Une grève de la faim à laquelle se sont joints aussi les anarchistes Juan Sorroche, Ivan Alocco et Anna Beniamino (en ce moment, les trois l’ont interrompue).

La situation actuelle donne l’occasion pour faire plusieurs réflexions, des fortes émotions et des nombreuses initiatives différentes, qui ont eu lieu au cours de ces deux mois, des initiatives qui sont toujours très importantes dans des telles situations, toujours valables et de fondamentale importance, dans le but que cette bataille rencontre la plus grande résonance possible ; mais la lutte d’Alfredo, en ce moment, devient aussi un instrument pour critiquer le régime 41-bis et, plus en général, la société-prison. A mon avis, ce qu’en ce moment devrait l’emporter, pour nous en tant que composante anarchiste révolutionnaire (internationale), ce sont le sang-froid, la lucidité et la fermeté requises par la situation. Comprendre quoi faire et comment le faire, quels argumentations appuyer, mais surtout ce qu’un moment particulier comme une grève de la faim illimitée requiert, pour continuer à faire ce qu’on a fait jusqu’à hier et pour nous donner l’occasion de le faire aussi à l’avenir.

Une considération en phase avec ce que je viens d’écrire est sûrement la nécessité de sortir du carcan d’une lutte spécifique anti-carcérale, limitante, sortir de l’impasse d’une mobilisation généraliste fondée sur des bons sentiments, qui regarde seulement au régime 41-bis ; il y a au contraire la nécessité de savoir lire cette situation et saisir, cette fois, la véritable pomme de discorde, en partant de la construction d’une solidarité internationale spécifique et d’une mobilisation ad personam, qui empêche le meurtre de notre compagnon Alfredo Cospito dans une tombe de fer et de béton, tout seul.

Une solidarité révolutionnaire qui commence avant tout par le fait de revendiquer ouvertement non seulement des pratiques générales qui, après tout, assument seulement le caractère donné par qui les exerce, mais par le fait de revendiquer l’histoire, les idées, les positions, les actions précises dont notre compagnon est accusé, ainsi que les discours qui les ont accompagnées. Et tout cela nous devons le crier, cela doit être une pratique valable aussi lors d’autres procès contre des actions directes destructives, parce que c’est l’un des passages fondamentaux pour rompre l’isolement qui entoure ceux qui sont arrêtés, en démontrant au Pouvoir que ces actions appartiennent à tous les anarchistes.

Parce que, si nous sommes du côté d’Alfredo, ce n’est pas seulement parce que ses conditions de détention actuelles tourmentent nos cœurs, mais surtout parce qu’il est un compagnon qui a dédié sa vie à l’Idée anarchiste, qui est aussi la notre. Et il est évident que si nous ne sommes pas en mesure de défendre notre anarchiste révolutionnaire-nihiliste et ses raisons, personne d’autre ne pourra jamais le faire.

Tout discours qu’on peut plus ou moins partager risque de rester – bien entendu, en ce moment spécifique – seulement sur le plan de la solidarité humaine, dilué dans une lutte émoussée et plus générale, contre la prison. On a affronté plusieurs fois, par le passé, la question du 41-bis, nous engageant directement, bien que sans trop de continuité, même quand on n’avait pas un compagnon anarchiste enfermé dans ce régime, et on continuera à l’affronter même dans le futur proche, si on aura la capacité d’élaborer un raisonnement plus large, en perspective, sur la manière dont ce régime de détention peut être appliqué à de couches de plus en plus étendues du conflit social.

Mais ce qui compte aujourd’hui, en cette course contre la montre, est de sortir Alfredo de ce régime, d’obtenir son déclassement immédiat, sans autres conditions.

Pendant toutes ces années, Alfredo n’a jamais été une victime et si aujourd’hui il est soumis à ce régime, c’est exclusivement à cause de la volonté du Pouvoir de briser sa personnalité, en lui enlevant ses rapports avec ce qu’Alfredo lui-même a toujours défini comme sa communauté. De plus, on ne peut pas exclure que l’État soit en train d’essayer de prendre la température du « mouvement anarchiste », probablement dans le but de pouvoir disposer contre nous, à l’avenir, de cet instrument de destruction, pour ce que nous sommes, plus que pour ce que nous faisons. On pourrait même émettre l’hypothèse que, avec le temps, ce régime pourrait remplacer définitivement celui de haute sécurité.

Il semble évident que la finalité que le système État-Capital poursuit, par le biais du pouvoir policier-judiciaire, avec des procès, des condamnations pour terrorisme et l’établissement d’un régime de destruction tel que le 41-bis, est l’élimination, l’éradication et l’isolement de l’ennemi de classe déclaré, comme cela est démontré aussi par la situation des communistes révolutionnaires Nadia Lioce, Roberto Morandi et Marco Mezzasalma, qui résistent aux ténèbres du 41-bis, avec une dignité exemplaire, depuis 17 longues années. Tout cela nous rappelle avec force à quel point la bataille d’Alfredo doit être soutenue, pour eux aussi. Tout cela, partie du système policier-judiciaire et de sa loi, ne peut pas être séparé d’un discours plus large sur le contraste, de la part de l’État, de la lutte révolutionnaire anarchiste contre le système État-Capital global, contraste dans lequel rentre aussi l’utilisation du 41-bis comme instrument de coercition et d’extorsion du repentir, alors qu’aucun élément de la domination peut récupérer des individualités et des actions révolutionnaires, parce que la notre est une volonté, justement, révolutionnaire, qui dépasse les sables mouvantes du désarroi et de l’attentisme. Une volonté qui a la détermination et la présomption optimiste de transformer la réalité, tout en gardant inchangée la tension nihiliste anarchiste, pour laquelle nous pensons, malgré le fait de n’avoir jamais mis de côté l’idée de la révolution sociale, que ce monde, comme il est aujourd’hui, doit être démoli.

Ce n’est pas un hasard si les condamnations pour provocation aux crimes et délits qui sont tombées ces dernières années contre Croce Nera Anarchica et RadioAzione, ainsi que l’opération Sibilla contre le journal anarchiste Vetriolo et la publication de l’entretien avec Alfredo Cospito « Quelle internationale ? » se placent complètement en ces termes. En ce sens, nous pouvons en effet dire que ce qui a été fait ces dernières années avec nos publications a été et continue à être d’une valeur inestimable, parce qu’il permet, aujourd’hui, aux anarchistes de se réapproprier leurs idées, de leur donner de l’espace, avec l’audace de toujours, inchangée, avec la même propension à agir dans une conscience révolutionnaire, en construisant l’internationale.

Alfredo hors du 41-bis !
Contre l’utilisation du 41-bis pour les prisonniers anarchistes !
Toujours pour l’anarchie !

Je termine ce texte en saisissant l’occasion pour envoyer mes salutations les plus sincères et les plus chaleureuses aux organisateurs de cette initiative et à tous les compagnons qui, en Grèce, continuent depuis des années à lutter, à l’intérieur et à l’extérieur des prisons, en vous souhaitant que cette initiative marche même au delà des espérances les plus optimistes et qu’elle puisse être une stimulation pour approfondir d’autres débats encore, en armant ce besoin de liberté qui nous caractérise.

Omar Nioi
Sardaigne, 17 décembre 2022

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