Il Rovescio / jeudi 22 octobre 2020
Un an, deux mois et 24 jours.
Voilà le temps qui est passé depuis mon arrivée ici, à la taule de Piacenza ; du temps rempli de vide, du temps gaspillé dans la tentative de dompter tous ses sens, dans l’expérimentation d’une autodiscipline qui permette de transformer, tel une alchimie, le gâchis d’une vie en une expérience formative. Je n’ai jamais cherché le confit, même si le quotidien, ici, est une suite constante d’occasions de conflit ; quand j’ai opposé mes raisons à ce système de neutralisation de l’individu, j’ai essayé de le faire avec « civilité », dans le respect forcé des rôles, en essayent de m’approprier, du moins en tant qu’armes, ces dynamiques illogiques dont les matons font leurs bannières : règles, droits, devoirs, protocoles. Et je ne le dis certainement pas pour m’en vanter, au contraire ; néanmoins, en taule l’expérience humaine est tellement distante de toute forme de bon sens, de sens commun ou simplement de sens tout court, qu’il faut jouer, même si on sait très bien que les dès sont truqués.
Malgré cela, par la seule affirmation et préservation de ma dignité, la création d’un rapport d’hostilité avec certains gradés et dirigeants de cette prison a été inévitable ; sans surprise et sans effort, par les rôles mêmes qui nous ont été assignés par la nature et les places qui nous ont été assignées par la vie et perles choix personnels. Le zèle de certains matons particulièrement calés dans leurs rôle, chaleureusement appuyés par la commandante de la prison, a donc fait en sorte que les contenus de mon courrier privé n’ont jamais été privés, au mépris de ce qui dit le code pénal, même après le fin de la première mesure de censure postale, en décembre 2019. Leur agacement était provoque en particulier par des dessins et des A cerclés (ce qui démontre le profondeur d’analyse qui caractérise toujours leur travail), pour ne pas parler des manifestations explicites de solidarité. « L’ordre et la sécurité de la prison » (la motivation en bas des saisies) doivent être bien fragiles et faibles, si une carte postale ou la photo d’un tag sur un mur peuvent les mettre en danger. Ça aurait donc dû être sur suggestion de la prison de Piacenza, si ce n’est pas suite à leur demande explicite (je ne peux pas le savoir), que le 16 septembre 2020 j’ai été informée que le Juge d’instruction a signé une deuxième mesure de censure postale, de la durée de six mois. J’ai fait le choix de m’y appeler par le biais de mon avocat, et, une fois de plus, de faire contre mauvaise fortune bon cœur, et d’attendre avec patience qu’ils fixent une date pour le recours, et tutti quanti.
Mais, entre-temps, mes geôliers semblent avoir perdu l’envie de faire leur travail ; du coup, les employés du bureau de la commandante, qui s’occupent de mon courrier, passent me le délivrer une fois par semaine ou encore plus rarement. Le courrier en sortie ne sort pas, celui en entré s’entasse sur leurs bureaux. Parfaitement en ligne avec l’esprit de fonctionnaires négligents avec lequel ils administrent toute la prison, et pour confirmer encore une fois (s’il y en avait besoin) le caractère punitif et de rétorsion de cette mesure, étant donné que ça ne leur intéresse même pas ce que j’écris/je reçois.
Il en faudrait beaucoup plus pour me faire plier, mais c’est particulièrement irritant que, dans le non-lieu théoriquement censé nous enseigner par la force le respect de la loi, leurs codes comptent pour du beurre. Et à mon avis c’est une erreur de taire l’arbitraire ignorant avec lequel ils font leur sale métier.
Pour cette raison, et étant donné que les circonstances ne laissent pas entrevoir un changement de cap, j’ai décidé qu’à partir de samedi 24 octobre je commencerai une grève de la faim, qui durera le temps qui me semblera approprié. Il s’agit d’une bataille personnelle, qui ne servira peut-être à rien, qui montre peut-être un manque d’imagination de ma part, mais qui me semble nécessaire. Ceux/celles qui veulent, entre-temps, continuer d’encombrer le bureau de la commandante avec des communications plus ou moins futiles, peuvent m’écrire : elles/ils sont les bienvenues. Qu’on ne dise pas que les matons ne méritent pas leur salaire trempé de sang.
Vous me manquez, tous.
Salud y anarquìa,
Nat
Pour lui écrire (elle lit et écrit le français) :
Natascia Savio
C.C. San Lazzaro
Strada delle Novate, 65
29122 – Piacenza (Italie)