Bologne (Italie) : Révolte à la prison de la Dozza

Round Robin / samedi 14 mars 2020

Lundi 9 mars

L’après-midi de lundi 9 mars, une révolté a éclaté dans la prison de la Dozza, à Bologne.
Parmi les raisons de cette révolte, les mesures que le gouvernement et l’Administration Pénitentiaire ont adopté, à partir du 25 février, pour prévenir la diffusion du Covid-19 dans les taules, comme l’abolition des parloirs, la possibilité de passer un seul appel téléphonique par semaine, de la durée de 10 minutes, l’interdiction de recevoir des colis depuis l’extérieur, la suspension de l’accès à la prison des volontaires d’associations humanitaires, la suspension des régime de semi-liberté, du travail à l’extérieur, ainsi que des permis de sortie ; au même temps, il y a eu des fausses promesses d’une augmentation des appels téléphoniques ou même de pouvoir faire des appels visio avec Skype, alors que tout le monde sait que ces opportunités ne sont même pas assurées dans les cas où elles devraient déjà l’être. Ces mesures de durcissement de l’enfermement s’ajoutent aux conditions, existantes depuis toujours, de surpopulation, de mauvaise hygiène et d’un manque structural d’accès aux soins, chose qui caractérise la Dozza ainsi que toutes les taules d’Italie. Le 5 mars a été annoncé que les parloirs hebdomadaires allaient reprendre, qu’il y avait la possibilité de visite de la part d’un membre majeur de sa famille à la fois, tandis qu’avec les révoltes éclatés dans les autres prisons les familiers des prisonniers n’avaient plus eu de leurs nouvelles ni de possibilité de communiquer avec eux.

Quelques jours après, le 9 mars, la révolte a éclaté aussi à la prison de la Dozza et, au fur et à mesure que la nouvelle circulait, un rassemblement de personnes solidaires, ami.e.s, parents, s’est spontanément formé devant la prison. Un énorme déploiement de policiers et de Carabinieri a immédiatement empêché aux familiers de se rapprocher de l’entrée de la prison pour obtenir des informations. La nouvelle circulait que certaines sections de la prison pour hommes étaient occupées, mais pendant des heures il n’y a eu que des informations peu claires. Seulement par la suite, en lisant les journaux, on a su que seulement les sections pour prisonniers en attente de jugement avaient été occupées.
Le silence assourdissant du quartier, comme de toute la ville, n’était traversé que par le bruit des sirènes. La tentative du rassemblement de se rapprocher de la sections pour hommes, empêchée par la police, a quand-même permis d’entendre quelques hurlements et des prisonniers qui frappaient sur les barreaux. Le rassemblement s’est ensuite déplacé sur la grande route, en bloquant la circulation, pour se se rapprocher de la sections pour femmes : même si on n’a pas entendu des réponses, par la suite est arrivée la nouvelle que les détenues ont commencé une protestation en frappant sur les barreaux.

Ni les matons, ni les pompiers (qui ont vu leur camion bloqué pendant un petit moment, devant la prison) ont rien voulu dire, même pas pour rassurer le mères, les compagnes et les sœurs des prisonniers, même pas après que deux ambulances sont parties en vitesse de la prison, juste sous les yeux des personnes à l’extérieur.

Le silence de la part des autorités publiques face aux demandes d’informations formulées par les proches des détenus laisse un gouffre d’incertitudes et de préoccupation, alimentés aussi par les nouvelles du massacre qui a eu lieu dans la prison de Modena, toute proche, et des révoltes qui éclatent dans une trentaine de prisons à travers l’Italie. Cela a eu comme seul résultat d’augmenter la rage et l’envie de rester là devant et de se faire entendre. Pendant l’urgence sanitaire, la solidarité ne se confine pas.

Ce n’est que tard le soir, vers 22h, qu’on a commencé à voir un épais nuage de fumée sortir de la section pour hommes, ainsi que des mouvements sur le toit de cette même section. Les prisonniers qui s’étaient barricadés dans la section et étaient montés sur le toit ont donc commencé à crier et à mettre le feu ; ils criaient « Liberté ! » à l’adresse du groupe de solidaires et familiers, qui ont répondu avec des chœurs, des messages de solidarité et des sifflements. La révolte et les incendies dans la section pour hommes ont continué pendant toute la nuit et jusqu’au midi du lendemain : 4 voitures de la police pénitentiaires ont brûlé.

Mardi 10 mars

Le lendemain matin, 10 mars, un nouveau rassemblement s’est spontanément formé devant les murs de la Dozza. Les prisonniers qui se trouvaient encore sur le toit avaient accroché des banderoles demandant leurs droits, la liberté et l’amnistie, tandis que la prison étaient toujours entourée de flics. C’était encore impossible de recevoir des informations avérées de ce qui se passait à l’intérieur. La rumeur qui circulait parlait d’une négociation entre les détenus en révolte d’un côté et la direction de la prison et le chef des matons de l’autre, tandis qu’un autre groupe de prisonniers aurait voulu entamer des négociations uniquement avec le Juge d’application des peines, arrivé au cours de la matinée.

Vers 15 heures, après qu’on ne voyait plus personne et on ne recevait plus de réponses depuis environs deux heures, on a vu des flics de l’anti-émeute sur le toit, brandissant leurs matraques en direction du groupe de solidaires en signe de victoire et criant « L’État a gagné ». Nous avons quand-même essayé de faire arriver notre voix au delà des murs, pour essayer d’informer les détenus de ce qui était en train de se passer dans d’autres prisons, pour exprimer encore notre solidarité et souhaiter à toutes les personnes enfermées dans cette taule d’arriver à arracher leur liberté.

Entre-temps, circulait la nouvelle que la protestation était finie et les négociations conclues, mais en ce moment nous n’en connaissons pas les modalités ni les issues précises, au delà de ce que les médias ont relayé, c’est à dire que les prisonniers seraient rentrés dans leurs cellules, en demandant de permettre à nouveau aux éducateurs d’accéder à la prison et aussi des mesures alternatives à la prison. Toujours selon les journaux, il y aurait 20 détenus blessés, dont 16 soignés sur place. Les matons blessés sont 2.

Dans la matinée de mercredi 11, on a appris de source sûre que au moins un prisonnier avait été transféré, au petit matin. Pour l’instant ni les familiers, ni les avocats savent qui sont les personnes transférées ni leurs destinations.

L’après-midi, on a appris par les médias que deux détenus sont morts d’overdose, la même version officielle donnée pour justifier les 13 morts dans les prisons de Modena et Rieti. Reste le fait que, grâce à la révolte, la prison de Modena est complètement inutilisable ; celle de Bologne aussi a subi des dégâts, qui sont encore à quantifier, mais sûrement importants. Les médias ont aussi relayé l’information que « dans l’après-midi de mardi 10, quelques heures après la fin de la révolte à la Dozza, le siège régional de l’Administration pénitentiaire, situé en Viale Vicini, a été dégradé par des « vandales », qui ont brisé des vitres et le portail. Ces vandales ont signé leur action avec des tags «  ACAB », « Solidarité avec les détenus en lutte », « Feu aux prisons » et « Matons assassins » ».

Jeudi 12 mars

Dans l’après-midi de jeudi 12 mars, on est allés devant la prison pour passer un rapide bonjour aux prisonniers, en essayant de rentrer en contact avec la section pour hommes, tout en considérant non opportun/inefficace de lancer un appel publique au rassemblement, au vu de l’incertitude liée à la situation actuelle et aux mesures de confinement. Une vingtaine de personnes a pu arriver sur les lieux et échanger avec les prisonniers, notamment avec ceux de la sections AS3 et d’autres sections, plus éloignées, avec des cris de « Liberté » des deux côtés. Ceux qui sont en AS ne savent pas ce qui s’est passé, parce qu’ils sont isolés et les détenus des autres sections n’ont pas su nous dire quel a été le traitement réservé aux prisonniers ayant participé à la révolte ; ils n’avaient pas non plus des informations sur la personne morte dans la prison. Depuis l’intérieur, nous sont clairement arrivés des demandes d’aide, en plus de la demande que les matons mettent des masques et la conviction partagée que Bonafede [Alfonso Bonafede, le ministre de la Justice italien, du Movimento 5 Stelle ; NdAtt.] veut les laisser mourir là dedans. Il est évident que l’imposition de l’isolement aux prisonniers, entre eux et par rapport à l’extérieur, va plus loin des nécessités réelles de prévention et contention de la contagion en prison, étant donné que les matons, porteurs potentiels du virus, ne mettent pas de masques.
Selon des informations officielles, une seule personne serait morte et non pas deux, comme l’ont dit jusqu’à ce matin certains journaux locaux, et entre hier et aujourd’hui il y aurait eu 15 transferts vers d’autres prisons, mais ni les identités des personnes transférées ni leurs destinations sont connues. Avocats et membres des familles n’ont pas encore eu des nouvelles de leurs proches et encore moins peuvent communiquer avec eux ou envoyer des colis dans la prison. Les familiers disent que, dans la prison détruite, les matons font dormir les prisonniers par terre, qu’on ne sait pas si la cantine fonctionne et que tout le monde a été durement tabassé.

L’État, à partir des premières révoltes et des informations sur premiers morts, a continué à utiliser la main de fer à l’encontre des prisonniers, à les isoler complètement, sans donner aucune nouvelle aux familiers et aux avocats à propos des destinations des transferts et de leurs conditions de santé, en empêchement donc de se mettre en contact avec eux, en plus de ne pas révéler l’identité des personnes mortes de prison dans ses mains.

Les révoltes de ces jours, dans les prisons de toute l’Italie, montrent clairement que, lors de situations de crise, les premiers à subir des dures conséquences sont ceux qui vivent tous les jours dans les pires conditions, ceux-la mêmes qui ont décidé de se rebeller et déclencher des révoltes, pour monter qu’est ce que la taule dans sa quotidienneté. Ce n’est pas seulement lors des moments exceptionnels que nous considérons la prison comme quelque chose d’inacceptables, à détruire ; simplement en ces jours il y a des prisonniers qui ont eu le courage de monter quelle est leur situation, en se rebellant avec détermination.

Nous pensons que ce n’est jamais possible, et encore moins face à tout cela, de se limiter à demander l’amnistie pour certains prisonniers, en abandonnant les autres à l’isolement et à la mort, chaque jour, dans ces maudites taules.

Liberté pour tous et toutes les prisonnier.e.s ; que de toutes les prisons ne restent que des ruines.
Que les personnes tuées par l’État ne sombrent pas dans l’indifférence !
Solidarité avec les prisonnier.e.s en révolte !
Jusqu’à quand il y aura des prisons en flamme, l’État n’aura pas gagné !

Anarchistes

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