Ad Nihilo / samedi 9 mars 2019
Un court journal sur le chaos et le nihilisme de race
« And these rhymes ain’t tight, they’re terrorish
And that girl’s not white, she’s anarchist
And we float like kites to get turbulence
Born with our throats slit
Self stitched raised to aim over it
Soldier with no king
War with the war on me
I am more than this world lets me be »
P.O.S « Weird Friends (We Don’t Even Live Here) »
Note : Dans ce texte j’utilise des guillemets autour de toutes les catégories et idéologies identitaires (par exemple les personnes « noires » ou « suprématie blanche ») dans le but de remettre en question leur supposée légitimité en tant que vérités universelles plutôt qu’en tant que constructions fictives qui servent le contrôle social.
1. N.W.A (Nihilists with Attitudes)[1]
Malgré le fait que je sois métissé, ma couleur de peau est socialement considérée comme « noire » (ou marron foncé comparée à d’autres). Une partie de la musique que j’écoute est basée sur, et associée de manière stéréotypée à, la « culture noire ». Les combinaisons de mots que j’ai appris à utiliser, influencées par l’environnement dans lequel j’ai grandi, sont de façon stéréotypée associées à la vie dans le ghetto. Les tensions communautaires et la violence étatique me suivent partout où je vais. Quand j’entre dans un magasin, mon baggy et mon sweat à capuche noirs amènent les gens à penser au pire ; J’ai un passé criminel et peux causer des problèmes. Mais hey ! Je ne suis pas « noir ». Cette société m’a assigné cette identité « noire » à la naissance et avec la pression sociale, elle attend de moi que j’adopte cette identité. Mais je refuse. Le concept même de race n’est avéré ni scientifiquement ni biologiquement. Ce n’est rien de plus qu’une construction sociale utilisée comme un outil d’oppression. La complexité de mon individualité ne peut être représentée par une identité « noire », pas plus que par une « culture noire ». Les identités sont des représentations générales et fixes des individus, et elles sont dictées par des normes sociales, des attentes et des stéréotypes. Elles sont standardisées par le capitalisme et la civilisation industrielle et considérées comme étant universelles et impossibles à remettre en question. Quand j’entre dans un magasin, je me prends des regards inquiets comme si je venais juste de voler quelque chose. Et pour être honnête, ils ont probablement raison. Peut-être que je viens de le faire. Parce que le niveau social correspondant à mon identité est situé proche du bas de l’échelle, ce qui signifie que mon accès aux ressources est limité. Donc l’illégalisme est la manière dont je crée mon accès aux ressources sans mendier pour l’égalité avec un bulletin de vote. Sous le capitalisme, l’égalité ne peut pas exister. Et je dois survivre, donc je fais ce que j’ai à faire. Et ça ne signifie pas s’injecter de la drogue et valider la culture de l’intoxication. La culture de la drogue est un piège mis en place par l’État, donc je dois être plus imaginatif et déterminé.[2]
Les groupes socialement construits (« noir », « homme ») d’après lesquels la société m’identifie sont ceux qui me sont assignés à la naissance par un système qui bénéficie de ma catégorisation identitaire – un système que je rejette entièrement. C’est ce même système qui établit le « noir » comme inférieur au « blanc », « la femme » comme inférieure à « l’homme », « l’animal » comme inférieur à « l’humain ». Je ne nierai pas les expériences réelles de sexisme et de racisme que certaines personnes vivent, ni la réalité du racisme et du sexisme institutionnalisés qui font subir la pauvreté et la guerre à celles et ceux d’entre nous qui sommes genrés ou racialisés comme inférieurs. La « suprématie blanche », la « suprématie masculine » et cette société capitaliste dans son ensemble doivent être détruites. Et je refuse d’adopter n’importe quel mécanisme identitaire de division comme forme de résistance personnelle.
A la place, j’adopte la criminalité contre les lois de l’identité, et contre les agents du renforcement identitaire responsables de la normalisation des frontières rigides de l’identité. Je rejette le discours progressiste stipulant que, en tant qu’« homme noir », je mérite les mêmes droits qu’un « homme blanc » dans ce pays. « Homme noir » ne me représente pas, et je refuse d’être assimilé à ces rôles. Je veux les voir détruits, tout autant que la logique qui les crée. Mon existence incarne la négation de l’assimilation sociale et de la prison de la représentation identitaire, reconnaissant l’individualité sans mesure comme la forme la plus sincère de l’anarchie. L’identité « homme noir » ne me représente pas.
2. Garde tes dreadlocks de « blanc ». Continue de tout bousiller.
Je n’en ai rien à faire de tes dreads qui viennent de ta culture. Et je n’en ai rien à faire non plus des dreads des personnes « blanches ». J’ai autre chose à faire que de pourchasser les gens avec une paire de ciseaux en essayant de leur faire une coupe gratuite. Et le taux de mélanine ne nécessite pas de se conformer à une culture en particulier, ni à aucune culture tout court. À vrai dire, la culture, qu’elle crève. Je n’ai jamais eu mon mot à dire quant au fait d’être assigné à cette culture « noire » qui est censée me représenter. Est-ce que le fait de connaître mes origines africaines me sauvera des attaques des milices « suprématistes blanches » armées ? Ou des attaques de l’État ? Et il semble que les enfants sont souvent forcés à la naissance d’appartenir à une culture par des gens qui considèrent qu’ils savent mieux ce qui est bon pour eux. Ce qui en soi constitue une forme d’autorité qui peut aussi être nourrie par une identité socialement contrainte et des rôles assignés.
Comme la race et le genre, la culture est aussi une construction sociale uniquement maintenue par ceux qui souhaitent la valider avec leur propre asservissement. Et certaines personnes ne sont jamais autorisées à connaître quoique ce soit en dehors de leur culture – excepté peut-être tous les problèmes qu’il y a avec d’autres cultures. Ce sens du nationalisme semble imperméable à toute critique des gauchistes et de la plupart des anarchistes. La « suprématie blanche » et le nationalisme sont largement dénoncés et attaqués, mais depuis quand la « suprématie noire » et le nationalisme sont-ils acceptables ? Comprenez-moi bien, la « suprématie noire » et le « black power » ne sont pas soutenus par l’État, et ont émergé comme réponse légitime au pouvoir et au suprématisme blanc.
Mais reproduire plus de suprématie identitaire est contre-productif et réformiste. Le « black power » se limite à l’émancipation basée sur l’identité sans se confronter aux fondements de l’identité assignée au départ. Et ne faites pas comme si les tendances « nationalistes noires » n’existaient pas au sein de certains milieux anarchistes. Je vous ai à l’œil, vous les politiciens identitaires qui prenez le dessus sur les anarchistes « blancs » grâce à la culpabilité. Vous faites en sorte qu’ils se surveillent les uns les autres – en promouvant un discours progressiste basé sur les droits de toutes les personnes « noires » en tant que victimes.
Je n’essaye pas de perdre mon temps à réformer quoique ce soit. Je n’essaye pas d’adopter une identité et ensuite de demander des droits pour elle. Je ne demande rien de ce système, je souhaite détruire tout ce qui le légitime, y compris l’identité assignée pour maintenir sa binarité de classe. Le « nationalisme noir » n’est pas une solution pour éliminer le racisme. Il renforce le racisme en tant que système culturel et institutionnalisé en validant la binarité « blanc » / « noir » raciale et de classe. Et si nous essayons tous d’être libres, pourquoi adopter les mêmes identités que celles qui ont été construites pour nous diviser et nous catégoriser ? Et comment allons-nous reprendre et déterminer nos vies si nous restons prisonniers des chaînes du victimisme intériorisé ?
Ceux qui maintiennent les cultures sur une base traditionnelle sont dans une position de pouvoir qui constitue une hiérarchie entre ceux qui adoptent une culture particulière et ceux qui la refusent. Je ne refuse pas seulement la « culture états-unienne [3] » et toutes ses constructions sociales et valeurs, mais toutes les cultures qui gouvernent la pensée. Les cultures freinent la libre pensée et l’exploration sans limite de son potentiel individuel. Plutôt que de permettre aux individus d’interagir avec le monde et de développer une opinion basée sur leurs propres expériences indépendantes, un mythe préconçu de la vie est imposé et justifié comme étant la « vérité » par celles et ceux en position de pouvoir manipulateur. Pour exister, les cultures se basent sur l’asservissement d’un groupe de personnes homogénéisé et basé sur des rôles et caractéristiques socialement construits. Je ne trouve pas seulement les cultures et leur désir de contrôle et de domination personnellement indésirables, mais j’ai appris que leur pouvoir s’ancre dans l’esprit des opprimés. Ceux qui n’ont pas le courage ou pas accès à la possibilité de penser par eux-mêmes, ou qui promeuvent activement la culture et le nationalisme, usent toujours de tactiques de manipulation comme l’humiliation et la culpabilisation de celles et ceux qui refusent de s’assimiler. Ces types de groupes nationalistes basés sur la culture ne reflètent pas une réalité ou une vérité universelle, pas plus qu’ils ne représentent toutes les personnes qu’ils prétendent représenter.
Alors hey lecteur « blanc », les « dreads de blanc » ne sont pas de l’appropriation culturelle. Aucune culture n’a le monopole sur une coupe de cheveux. La culture est un état d’esprit qui ne peut se manifester matériellement qu’avec des frontières essentialistes protégées par des lois identitaires et par celles et ceux qui les font appliquer. Est-ce que tes dreads transgressent les lois identitaires ? Est-ce que la police identitaire est venue et t’a accusé de ne pas respecter les lois de l’essentialisme ? As-tu rejeté leur autorité autoproclamée ? Alors tu es peut-être un criminel qui vaut le coup d’être connu. Dans un contexte capitaliste, si tu essaies de vendre des dreads comme une marchandise à la mode, ce n’est pas de l’appropriation culturelle. Mais tu peux toujours avoir tes fenêtres brisées en bon capitaliste que tu es. Capitalisme mis à part, si tes dreads sont des mèches puantes faites de sueur séchée et de cheveux emmêlés et/ou entortillés, tu gères. Mes dreads sont faites pareil. A bas les standards de beauté, le capitalisme, et ceux qui les défendent.
3. « Lâche », un autre mot pour « allié blanc »
Je m’en tape si tu t’identifies comme un « allié blanc » approuvé par la communauté. Mais je vais considérer que : 1. Tu es incapable de penser par toi-même. 2. Que tu es un lâche. 3. Tu hésiteras quand, dans le feu de l’action, je te demanderai de me passer un cocktail Molotov – par peur de desservir la communauté. Admettons que tu sois à mes côtés dans la rue ou quelque part où les tensions sont vives, je ne veux pas que tu restes derrière moi et que tu me demandes ce que tu dois faire. Je ne veux pas être ton chef. L’autorité, n’est-ce pas ce contre quoi l’on se bat en premier lieu ?
En tant qu’ami, est-ce que nous traînerons et discuterons librement ou est-ce que tu passeras ton temps à hésiter et à peser chacun de tes mots pour rester politiquement correct par peur de m’offenser ? Si tu dis une connerie, ne suis-je pas capable de prendre en considération le milieu dans lequel tu vis et de te demander calmement de réfléchir à ce que tu as dit ? Vas-tu fliquer mes autres amis « blancs » avec ton expertise anti-raciste, dans l’espoir de gagner mon approbation ? Vas-tu patrouiller autour des frontières de l’identité et me réduire à une simple « voix marginalisée » incapable de prendre la place contre le suprématisme blanc ? Dans ce cas, tu souffres de « culpabilité blanche » et tu es un conformiste qui devrait faire un travail sur lui-même. Je ne veux pas de ce que les SJW [4] progressistes et certains anarchistes ridicules appellent « alliés ». Je veux des complices. Je suis bien tout seul, mais j’apprécierais la compagnie sans foi ni loi de celles et ceux dont les idées et les stratégies ne sont pas toujours les miennes, et avec des expériences et des histoires différentes. Est-ce que tu refuses de te soumettre à la société ? Est-ce que tu vois la vie comme une attaque quotidienne contre la société capitaliste ? Cool. Moi aussi. En dépit des catégories socialement construites et des identités assignées, c’est le lien qui nous unit. C’est notre affinité.
4. Capter l’(anti-)programme
Cela ne sert à rien de porter des revendications. Il est inutile de demander aux personnes en position de pouvoir d’arrêter leur quête pour le contrôle et la domination. Je ne peux pas demander aux organisations de People Of Color progressistes, aux universitaires, et aux SJW d’arrêter de prétendre qu’ils me représentent moi et mes intérêts. Je n’ai pas le temps de passer des heures à leur expliquer que toutes les personnes qu’ils identifient comme « noires » ne peuvent pas être « sauvées » par l’église de la justice sociale. Certains individus veulent juste l’argent et le pouvoir de dominer les autres comme n’importe quel banquier ou patron « blanc ». Je ne peux pas les supplier d’arrêter d’invisibiliser mon existence en tant qu’individu agissant en dehors des limites de leurs programmes politiques. Je ne peux pas voter en priant les gauchistes et les anarcho-gauchistes de réaliser que leurs plans pour « organiser les masses » découragent en dernière instance la vitalité de l’anarchie – de l’individualité. Je ne peux pas changer ou réformer leur système au sein duquel ils opèrent et avec lequel ils essaient de dominer le terrain politique. Je suis anti-politique en cela que tous les programmes dérivés de la politique sont voués à échouer car ils ont tous une chose en commun – la représentation. Aucune de ces personnes ne me représente, ni ma personnalité, ni les actions anarchistes de mon individualité. Je suis anti-politique en cela que mes actions de révolte ne constituent pas une occupation politisée séparée de ma vie quotidienne. L’anarchie n’est pas mon loisir activiste. Mon existence individuelle est une expropriation nihiliste et transformatrice d’une vie qui n’aurait jamais dû être la mienne en premier lieu.
Donc si tu es « blanc » et que tu lis ceci, tu as déjà affronté le flic dans ta tête qui te dit de ne jamais lire quoique ce soit qui critique le progressisme « noir », l’identité en général, et la notion d’allié ou la culture. Comme quand tu te barres après t’être fait sermonner sur tes dreads par un activiste « noir » et que tu marmonnes dans ta moustache « va te faire foutre ». Ou dans la rue quand ils t’ont traité de « casseur » pour avoir essayé de briser une vitrine de banque et que de toute façon tu l’as fait. Tu fais ce tu as à faire. Les progressistes, anarcho-progressistes inclus, continueront d’essayer de fliquer tout le monde avec un langage politiquement correct qui change tous les ans. Ils continueront de te culpabiliser d’avoir la peau « blanche ». Ils te culpabiliseront quand tu te soulèveras et agiras contre l’autorité de leurs études et de leur jargon universitaire. Ils continueront de te menacer de critiques publiques, d’ostracisme, et peut-être de violence physique tant que tu refuseras de te soumettre psychologiquement à leur programme. Au lecteur « noir » : personne ne peut représenter la totalité de ton individualisme parce que malgré ce qu’ils pensent savoir de toi, ton intellect et tes expériences ne sont pas figés. Ton existence ne peut être confinée à une simple position sociale sur une échelle. Sens-tu les chaînes qui emprisonnent ton imagination pendant que tu agis enfermé dans ton identité assignée ? Ton identité en tant que personne « noire » peut-elle vraiment te libérer ou est-ce qu’elle te conforte dans un sentiment intériorisé de victime qui accompagne cet assignation raciale ? Te sens-tu forcé de te soumettre à la « libération noire » par peur de te sentir seul et isolé ? Cette peur est légitime. Et cette peur est ce qui te maintient dans la soumission. Ce texte a été écrit dans l’espoir d’inspirer le criminel en toi. Si tu reconnais les prisons dans lesquelles les « chefs communautaires » mettent ton imagination, peut-être que tu échapperas aux confinements progressistes consistant à tenir ta pancarte, faire des réunions pendant des heures, chanter et marcher pour la « justice ».
La peur est leur arme pour « organiser les masses » et décourager la détermination individuelle. Mais c’est pas grave. Je n’ai pas besoin de leurs masses ou de leurs programmes pour savoir quand et comment attaquer. Et toi ? Et qu’en est-il des autres personnes « noires » qui sentent qu’elles doivent rejoindre ces groupes et organisations progressistes et radicaux basés sur l’identité, afin de rester loyales à l’identité culturelle « noire » ? L’expérience commune du fait d’être « noir » sous le capitalisme est seulement limitée à l’identité. Ce n’est pas parce que des gens partagent les mêmes formes institutionnalisées d’oppression qu’elles partagent les mêmes visions et les mêmes objectifs concernant la manière de les détruire. Ce sont des différences importantes qui ne devraient pas être effacées. Pendant que ces groupes continuent leurs tentatives abrutissantes de créer un nouveau système d’essentialisme racial calqué sur l’ancien, certains d’entre nous prenons plaisir à détruire tous les systèmes. Mon anarchie est une expansion existentielle de l’individualité au-delà des limitations des constructions sociales raciales (et genrées). Lorsqu’ils disent « unité « noire et métissée » contre le racisme et le fascisme », certains d’entre nous disons « toutes et tous contre le racisme et le fascisme, ainsi que les identités fixes qui leur permettent d’exister ». Quand le chaos prospère avec l’émancipation et le potentiel illimité qui en découle, l’individualité devient une arme de guerre contre le contrôle et l’enfermement catégoriel. Alors qu’ils te traitent de « blanc » et qu’ils chantent « Coupe tes dreads ! », moi je dis que toutes les personnes « noires » ne se préoccupent pas des dreads de « blanc ». Reste ingouvernable. Retrouvons-nous dans la rue lorsque la nuit sera éclairée par le feu.
– Flower Bomb
Traduit de l’anglais, en août 2018. La version originale (d’Octobre 2017) est disponible sur The Anarchist Library.
NOTES
[1] NdT : Cela fait référence au groupe de rap NWA dont le nom signifiait « Niggaz Wit Attitudes », c’est-à-dire « des Nègres Avec Style » en argot local. Originaire de Compton, quartier de Los Angeles, le groupe a été actif entre 1986 et 1991 et fut l’un des groupes les plus connus du style Gangsta Rap.
[2] NdT : Si la drogue permet la pacification sociale (comme n’importe quel autre paradis artificiel, tel le sport) rappelons néanmoins que chacun survit comme il le veut et le peut. De plus, cette « culture de la drogue » n’est pas uniquement imputable à l’Etat.
[3] NdT : Nous avons préféré traduire « American culture » par « culture états-unienne », car si on ne saurait réduire les États-Unis à une seule culture cela est encore moins possible concernant le continent américain.
[4] Social Justice Warrior
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