Indymedia Nantes / samedi 16 mars 2019
Il y a plus d’un siècle et demi, un philosophe d’Allemagne, grâce au mécénat d’un industriel lui aussi ouvriériste, écrivait et publiait des théories sur le rôle messianique du prolétariat, classe la plus révolutionnaire de l’histoire, juste devant la bourgeoisie. Le prolétariat était la classe ultime, car sa lutte déboucherait selon Marx – c’est scientifiquement prouvé par lui-même – sur la fin de l’histoire, le communisme. Dès lors, le prolétariat est entouré d’une auréole sacrée, la misère noire que subissent les individu-es englobé-es dans cette classe ne peut que les amener à se révolter. Sauf les plus miséreux-ses d’entre eux, qui, sans le savoir, sont des contre révolutionnaires pétris d’idées réactionnaires. Des sous-hommes, pardon, des sous-prolétaires.
A partir de là, le prolétariat devient le sujet révolutionnaire. Il faut se battre avec lui, pour lui. C’est en lui que réside la destruction du vieux monde. Critiquer ce prolétariat comme étant un fantôme, ou pointer du doigt de nombreuses choses parfaitement dégueulasses au sein de cette classe vous range immédiatement dans le camp de la réaction, car c’est bien connu, le monde est divisé en deux camps. Les quelques anarchistes, individualistes… qui s’y sont essayé-es n’étaient bien sûr que des petits-bourgeois. Mais moins chouettes que Engels. Mais peu importe ces empêcheurs de catégoriser en rond, la majorité des anarchistes, fortement influencé-es par Marx, a rejoint la théorie. Par, pour, et avec le prolétariat. D’où une fascination pour les usines, le progrès industriel… Plus il y a de prolos, plus le soleil radieux du communisme est proche. Le prolétaire, sujet révolutionnaire, historique et scientifique s’il vous plaît. Aujourd’hui encore, quiconque, tel-le un-e hérétique, ose émettre des critiques sur le classisme est un bourgeois. Le prolo est une figure sainte.
Malheureusement pour ces militant-es de classe, le monde est bien plus complexe, les individu-es qui le composent également. Le prolétariat a complètement échoué dans sa mission historique. Fredy Perlman disait même que le prolétariat est plus raciste que la bourgeoisie… Étonnant ? Non, pour qui n’est pas pétri d’autoritarisme de classe. Mais alors, que faire ? Il nous faut un nouveau sujet révolutionnaire sur qui reposera la Révolution.
Ce fut tour à tour les femmes, avec le mouvement féministe qui pris de l’ampleur dans les années 70, plus encore les femmes prolétaires, victimes historiques de la double exploitation. Malheureusement, le patriarcat sévit toujours, y compris chez les prolétaires et dans les milieux révolutionnaires, mais chut !
Vint alors parfois la figure du sous-prolétaire, redevenu-e humain-e. Surtout chez les insurrectionalistes, pour qui la guerre sociale, c’est forcément de la balle, du moment qu’il y a de la casse et du feu, les intentions c’est autre chose. Quand des dealers défoncent des caméras de surveillance, guerre sociale mon pote ! [un peu un comme sur ce blog pour cinglés qu’est Attaque ! :-) ]
Vinrent aussi les migrant-es, les jeunes de banlieue, aujourd’hui pour les plus mystiques ce sont les musulman-nes, ce sont les LGBTQ+ pour les plus progressistes, ça n’en finit jamais. Dans ce merveilleux pays, aujourd’hui le Sujet Révolutionnaire porte un gilet de couleur jaune.
Parce que sans sujet révolutionnaire, pas de révolution. Sans une
communauté de destin, opprimée, rien ne bougera. Tout est bon à prendre pourvu que ce soit des opprimé-es. Pas d’individu-es. Pas d’histoire. Rien de tout cela. La lutte des classes/LGBTQ+/anti-raciste etc etc comme vecteur unique. Le mieux est d’être femme-Lumpen-« racisée »-musulmanne-lesbienne-trans-neuroatypique-non valide, et là on est arrivé au bout du Sujet Révolutionnaire.
Caresser une communauté, donc un fantôme, dans le sens du poil brillant sous prétexte que les individu-es la formant subissent une ou des oppressions – qu’il ne s’agit aucunement de nier – n’a jamais rien changé et ne changera rien au fait que la destruction du vieux monde n’est pas une question de drague de sujets révolutionnaires qui n’existent que dans la tête de militant-es, philosophes, universitaires (parfois les 3) qui ne peuvent penser l’histoire que mécaniquement. L’insurrection des individu-es ne dépend pas d’une classe, d’un genre, d’une origine, ou d’un taux d’exploitation, d’oppression. Mais d’une rage qui naît dans le ventre de l’individu, pendant que ses potes vont au foot ou au bar, ou sont devant Netflix. D’une volonté de détruire non seulement le pouvoir, mais aussi les relations sociales, imprimées en soi depuis l’enfance. La réalité est toujours plus complexe. Il n’existe aucun sujet révolutionnaire, seulement des révolutionnaires en manque de sujets.