Le Parisien / dimanche 23 septembre 2018
Incontournables sur les manifestations ces dernières années, les canons à eau ne regorgent pas que… d’eau. Laissés au garage pendant longtemps, les engins lanceurs d’eau (ELE), couramment appelé « canons à eau », ont refait leur apparition, en France, depuis dix ans. Lorsque la manifestation dérape, ce sont eux que l’on retrouve en première ligne. « C’est vraiment efficace », témoigne un CRS major de la section des moyens spécialisés de Chassieu (Rhône).
Ces canons pulvérisent différents liquides. De l’eau, bien sûr, mais aussi plus généralement des émulsifs. Soit le même liquide mousseux que celui employé par les pompiers, qui peut être coupé avec différents additifs, ajoutés directement dans la citerne.
Le plus courant pourrait être un gaz lacrymogène, mais de récents problèmes techniques en ont limité l’usage. Le 1er mai, à Paris, c’est une mousse très spéciale qui a été utilisée. Le canon projetait ainsi « des protéines de viande macérées, mélange de sang séché et d’os broyés », à l’odeur pestilentielle. « Les manifestants ont été réellement surpris, commente un opérateur. Ils ne savaient pas de quoi il s’agissait. »
À terme devraient également être mis en œuvre des PMC, des produits de marquages codés, comme l’indique une touche spécifique dans le « cockpit » des engins. Inodores et invisibles, ils peuvent rester jusqu’à trois semaines sur la peau, beaucoup plus sur les vêtements, et ainsi matérialiser la présence d’un individu dans une manifestation. « Il suffit d’un éclairage ultraviolet pour les mettre en évidence, décrypte un spécialiste. C’est possible y compris depuis un hélicoptère. »
Alors qu’il avait été évoqué une possible expérimentation discrète le 1er mai, alors que les CRS faisaient face à plus d’un millier de Black Blocs, une analyse en laboratoire d’échantillons de liquides projetés, diligentée par le site Taranisnews, a montré qu’ils n’en contenaient pas. Pour cette fois.
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Le canon à eau, son histoire, son usage, ses faiblesses
Paris-Luttes / lundi 28 mai 2018
Depuis deux ans le canon à eau fait une apparition remarquée dans les manifestations parisiennes. Phénomène relativement nouveau à Paris mais peu étonnant. Analyse du pas si nouveau joujou de la police nationale.
Contrairement à ce qui est paru dans les journaux et a été dit par l’ancien préfet Michel Cadot l’apparition des canons à eau à l’occasion de la manifestation nationale contre la loi travail le 14 juin 2016 n’est pas neuve. On avait pu en voir à l’occasion des manifestations contre le contrat première embauche place de la République le 28 mars.
On a pu également le voir sorti le 31 janvier 2009 à l’occasion de la grande manifestation en soutien aux inculpés de Tarnac devant la prison de la Santé. Plus avant on en avait vu un lors de la manifestation des fonctionnaires du 10 juin 2003 finissant place de la Concorde et arrosant allègrement les manifestants.
Mais malgré tout il est clair que le canon à eau en région parisienne était de l’ordre de l’exceptionnel. Il s’agit avant tout d’un rapport culturel inhérent à la préfecture du police de Paris puisqu’à Lyon et à Nantes, le canon a eau faisait déjà office de tradition [Certain.e.s d’entre nous ont pu le tâter le 22 février 2014 lors de la grande démonstration de force du mouvement anti-aéroport]. Cet outil est également une des bases du maintien de l’ordre en Italie, en Allemagne ou en Belgique…
De ce qu’on a vu, dans les dernières manifestations la présence des camions à eau est systématique. Pas toujours utilisée, cette grosse masse de ferraille blindée très imposante n’en demeure pas moins dissuasive. Il faut comprendre que le canon à eau a une double utilisation. Nous, militants, le connaissons pour ses capacités anti-émeute, mais il faut savoir aussi que la plupart des modèles à l’œuvre en France sont aussi utilisés par l’Office Nationale des Forêts pour combattre les incendies. Il faut donc se dire que les canons à eau, s’ils semblent lourdingues, sont quand même capables de passer sur des terrains assez accidentés (y compris avec les pneus à plat). Mais, amis pompiers désolé, nous nous intéresserons d’abord à son usage durant les manifestations. Le modèle le plus moderne et le plus utilisé à Paris (3 modèles au moins) est le Renault Kerax. Il supplante ses prédécesseurs, notamment le Renault Midlum et M210, un peu moins volumineux. Ces instruments étant très coûteux, ils ne remplaceront pas très vite tous les anciens modèles.
Avant même l’usage de l’eau, le canon à eau dispose de quelques atouts devant une foule. Son blindage lui permet de résister à n’importe quel type de projectile. Sa taille imposante lui permet de servir de point d’appui et de protection à des unités de CRS ou de Gendarmes Mobiles. Son pare-choc est également constitué d’un fuseau qui lui permet de forcer des barricades et de déblayer des objets dans une rue encombrée.
Arme psychologique
Avec le Renault Kerax c’est d’abord l’aspect psychologique qui a été développé, avec un certain goût pour la mise en scène. D’abord il y a la possibilité d’enclencher une sirène particulièrement stridente et désagréable. Cet usage est couplé d’une utilisation de gyrophares puissants qui éblouissent. Rien de dangereux en soi mais cela permet déjà de faire le tri et d’éliminer les manifestants les plus craintifs des forces de l’ordre (et on les comprend!).
De l’eau
L’aspect psychologique du canon à eau ne suffit cependant pas la plupart du temps. Il dégaine bien trop souvent son arme favorite : la flotte. Le modèle Kerax ne dispose que d’un seul canon. Mais celui ci est super puissant (il peut envoyer de l’eau à une trentaine de mètres à pleine puissance). Il dispose de différent débits en fonction des usages et surtout d’une caméra très performante posée directement sur le canon. Celle-ci sert à la fois de caméra de surveillance (on peut y repérer ceux qu’on considère comme meneurs et enregistrer la vidéo), mais on peut également l’utiliser comme viseur. L’écran dans la cabine possède une cible qui permet de faire mouche. Comme à Counter Strike.
Les additifs
Malgré les dénégation de la préfecture de police de Paris, l’eau dans la cuve de 4200 litres peut être agrémenté de plusieurs additifs chimiques. De la lacrymo d’abord pour bien nous faire chialer et nous piquer tout le corps après la douche. Peu utilisés en France, ces additifs sont souvent utilisé en Allemagne où, selon les camarades, l’effet n’est pas aussi incroyable qu’escompté par les flics (ça pique un petit peu mais à moins de boire une bonne rasade pas de quoi en faire un fromage). Un réservoir est également adapté pour recevoir des… colorants. Le but est de « marquer » les émeutiers. Ça n’a jamais été utilisé en France mais c’est une possibilité. Enfin les flics disposent aussi d’un liquide émulsif pour traiter les incendies et venir ainsi en aide aux pompiers au cas où…
Les blessures du canon à eau
La principale force du canon à eau est d’arroser une foule sur une distance très importante. C’est effectivement une force en hiver, ou personne n’a envie d’être trempé à 5 degrés. Être trempé en décembre ou en Février donne une seule envie : rentrer chez soi. Et c’est le principal but du maintien de l’ordre. Mais pour ce qui est de la gestion des manifs au mois de juin, le canon à eau est un heureux divertissement qui nous soulage de la chaleur du solstice d’été. Guère efficace.
Il en est autrement des tirs « précis » des flics. Le jet du canon à eau est suffisamment puissant pour renverser les manifestants. En touchant à la tête il peut même occasionner de très graves blessures. En 2010 à Stuttgart un manifestant avait eu un œil arraché par le canon à eau. En 1991 à Paris, une manifestation d’infirmières est dispersée au canon à eau, une infirmière a le tympan percé par les jets d’eau.
Mais jusqu’ici les flics français ont fait plutôt attention à une utilisation massive et visant à blesser. Probablement une question d’image, si l’on en croit un article du Monde datant de 2011.
Ses failles, ses faiblesses
Le canon à eau est un outil imposant et qui fait peur. Mais c’est avant tout un gros machin très lourd. Il est donc clair que le principal atout du camion n’est pas la mobilité. Les flics vont chercher à l’utiliser afin de créer un point d’accrochage et stabiliser la foule. Ce fut le cas à Nantes en 2014 où toute la foule est restée focalisée sur la ligne de grilles soutenues par les canons à eau. Le maintien de l’ordre était donc réussi, les affrontements sont restés « circonscrits » à une zone qui arrangeait bien les flics. L’atout des manifestants est donc plutôt que d’assumer un affrontement avec un truc trop gros pour nous, d’esquiver les lanceurs de flottes. Plutôt que de s’acharner à essayer de faire gondoler leurs blindages, continuer le cortège et obliger les flics à bouger leur bazar.
A part ça on peut lister quelques failles dans le blindage : on peut aveugler le canon à eau : un flot de peinture sur le pare brise et la bête est relativement aveuglée (il reste la caméra).
On l’a donc vu, le canon à eau est avant tout une arme psychologique. Et y faire face n’a que peu d’intérêt (sauf si il fait très chaud et que vous avez besoin d’une bonne douche). Donc, camarades, si vous voyez ce gros machin blanc, barrez-vous et faites la nique à la préfecture !
L’avenir du canon à eau se joue… en France
Au niveau maintien de l’ordre, les flics français sont au top… et les entreprises aussi. Un nouvel appareil particulièrement efficace et travaillé va être créé par un partenariat entre deux entreprises française : Sides (spécialisée dans la lutte anti-incendie) et Essonne sécurité (spécialisée dans les blindages). Ces deux entreprises vont créer un nouveau modèle : le Cerberus. Il a été présenté au dernier salon Milipol de Villepinte en 2017. Plus puissant que tous ses congénères, il est notamment équipé d’un pointeur laser, d’une autonomie plus importante et d’un débit d’eau plus puissant. Plus intéressant encore pour les flics, ils est muni de 4 caméras qui permettent des enregistrements, mais aussi un visionnage en direct depuis le poste de commandement. Pour l’instant il n’y a pas de contrat avec la police ou la gendarmerie française mais une commande de trois modèles a été faite pour des clients étrangers. Qui a dit que l’économie française patinait ?