Paris-Luttes / samedi 12 mai 2018
Les jeudi 3 mai et vendredi 4 mai derniers, les inculpé.e.s du 1er mai ont comparu devant le TGI de Paris. Personnes présentes à l’audience du vendredi et participantes au mouvement social actuel, nous apportons ces réflexions sur la répression actuelle contre les manifestant.e.s et des pistes pour une stratégie de résistance collective.
Rappelons d’abord les bilans des audiences de comparution immédiates des jeudi 3 et vendredi 4 mai 2018 au TGI de Paris.
Sur les 6 personnes qui ont été présentées à l’audience du jeudi 3 mai, 2 sont actuellement en détention provisoire, 3 sont sous contrôle judiciaire et 1 personne comparaitra libre. Les procès auront lieu les 28 mai, 30 mai et 12 juin. Parmi les 12 personnes présentées à l’audience du vendredi 4 mai, 6 ont demandé un renvoi de leur procès : 5 ont été placées sous CJ et une personne comparaitra libre. Concernant 2 personnes, le tribunal a demandé le renvoi du procès au motif que leurs identités ne sont pas vérifiables, alors que celles-ci voulaient être jugées immédiatement. Enfin, 3 personnes ont comparu. L’une a écopé d’une amende de 1000 euros et les 2 autres ont été relaxées. Les audiences auront lieu les 30 mai et 12 juin.
Ces deux journées de procès ont révélé l’enjeu politique de la répression dans le mouvement actuel. Plusieurs éléments nous paraissent importants.
Nous avons été frappées par le caractère sexiste qui a caractérisé l’appareil judiciaire pendant les audiences. La première comparution concernait une femme, la personne la plus âgée présentée ce jour au tribunal. La procureure aussi bien que les juges, dans leurs interventions, l’ont ramenée à sa condition de mère de famille, comme pour signifier qu’elle aurait failli à son « rôle » de mère en participant à cette manifestation. Le sexisme a par ailleurs marqué les discours des magistrat.e.s chaque fois qu’iels s’adressaient à une femme.
Par ailleurs, la quasi totalité des prévenu.e.s ayant moins de 25 ans, les remarques des magistrat.e.s étaient teintées d’un paternalisme certain, notamment quand leur présence à la manif était évoquée. La procureure a ainsi questionné avec insistance une des prévenu.e.s sur la raison de sa participation, alors que la manifestation avait été présentée comme violente par les médias, relayant les propos de la préfecture de Paris. A croire que manifester est devenu insensé et qu’on devrait rester passif, pendant qu’au même moment on nous déroule le folklore des commémorations de Mai 68.
Pour cette journée du vendredi 4 mai, les dossiers étant quasiment vides, le tribunal a été forcé de retenir des éléments à charge à la limite de l’absurde : habits sombres, possession de foulards, masques anti-poussière, sérum physiologique pour se protéger du gaz lacrymogène (qui on le rappelle, ne stagne pas à l’endroit où il a été lancé, ce que ne semble pas savoir la procureure de la République), et même une arme : « en l’espèce, un manteau ».
Coincés par la vacuité de leurs dossiers, les enquêteurs ont utilisé tous les moyens possibles pour nourrir leurs chefs d’inculpation, notamment le contenu des téléphones portables des arrêté.e.s, conversations texto et messenger. Pour rappel, nous pouvons à tout moment exercer notre droit au silence, par exemple lorsqu’il nous est demandé le code d’accès au téléphone.
Un autre élément que nous retenons de la journée a été l’utilisation des « enquêtes sociales rapides » (voir l’article d’Indymedia Nantes [ou ici; NdAtt.]), instrument par lequel les juges reproduisent la violence et les inégalités sociales. Ce dispositif consiste à réaliser une enquête rapide sur la vie des inculpé.e.s et concerne autant les aspects professionnel que personnel, voire intime. L’enquête vise à tirer des personnes accusées des éléments qui seront potentiellement utilisées à charge contre elles. Par exemple, une des prévenu.e.s a appris par le moyen de l’enquête sociale, que ses parents considéraient qu’elle était parasitée par de mauvaises fréquentations. Par ailleurs, le fait de ne pas répondre ou de fournir un minimum d’éléments est considéré comme suspect. Cela a contribué à la mise en détention provisoire de deux personnes qui n’ont pas ou pas complètement voulu s’y soumettre.
C’est bien la question des garanties de représentation et de leur vérification qui se pose là. Bénéficier de privilèges tels qu’avoir un domicile fixe, un statut professionnel, et de manière générale rentrer dans les cases modelées par la société, crée une inégalité avec les arrêté.e.s qui ne disposent pas de telles ressources. Le but, c’est de hiérarchiser les prévenu.e.s, de faire du cas par cas, surtout dans le cadre de comparutions immédiates. Face à cela, nous devons penser à des stratégies de défense collective efficaces. Soyons conscient.e.s que les choix que nous faisons dès le moment de l’arrestation ont un impact sur les autres inculpé.e.s et peuvent contribuer à accentuer nos différences. Ces procès ont ainsi montré comment les caractéristiques personnelles des inculpé.e.s pouvaient être instrumentalisés contre elleux. Par exemple, quand il est fait publiquement mention des traitements psychiatriques sans le consentement explicite de la personne concernée au moment de l’enquête, énième violence qui contribue à individualiser chaque cas et à dresser des différences « psychologiques » entre les prévenu.e.s.
Les chefs d’inculpation, les éléments évoqués et les modalités de ces procès nous rappellent la répression qui vise les manifestant.e.s depuis les mesures coercitives prises au moment de la COP 21, en passant par le procès de l’affaire de la voiture brûlée quai de Valmy. En effet, pour chaque personne prévenue, un chef d’inculpation porte sur la participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations. Punir en prêtant de présupposées « mauvaises » intentions. Ainsi, l’utilisation de la détention provisoire devient un moyen de pression et d’intimidation, notamment pour pousser les personnes à se soumettre au prélèvement ADN et au contrôle signalétique.
La répression est forte et notre réponse se devrait donc d’être à la hauteur. Les institutions nous imposent leur jeu en des termes sexiste, paternaliste, psychophobe qui creusent des différences et cherche à nous opposer. Une défense collective et solidaire est une des réponses adéquates face à la justice. Cette démarche continue de se construire à travers la transmission des outils de lutte et d’auto-défense afin de ne pas rester isolé.e face à cette répression.
Soutien aux inculpé.e.s du 1er mai.
Liberté pour toutes et tous.