Sud-Ouest / Lundi 9 octobre 2017
Des insultes sur les réseaux sociaux, des tags sur les murs, sur la chaussée, des dégradations gratuites. La gentrification est visée par un groupe de militants.
Des tags virulents. Des injonctions excluantes. Et des menaces verbales, sur l’air de « On va vous mettre dehors », « Vous n’aurez pas votre quartier ». Des réseaux sociaux haletants, haineux, où la xénophobie n’est jamais très loin (sic, NdA). Bordeaux intra-muros ne ressemble pas à l’image pimpante des papiers glacés. A St-Michel, le dernier quartier rénové, la mixité sociale existe encore. Suffit de s’y rendre un samedi matin de marché. Mais les murs ont blanchi et le mètre carré a flambé.
Les sociologues appellent ce mouvement « gentrification ». Il touche toutes les grandes villes d’Europe et Bordeaux n’y échappe pas. On retape, on rénove et on vend les espaces de vie à prix d’or. A Saint-Michel, les derniers commerçants qui viennent de s’installer en font les frais. D’abord, parce qu’ils ont payé très cher leur pas-de-porte pile-poil au milieu de la place Canteloup, après parce qu’ils sont évidemment bobos, le commerce s’appelle Yvonne, c’est dire.
Tous les ingrédients sont réunis: un peu vintage, un peu branchés, un peu populaires, un peu pointus. Ils ont ouvert pendant l’été, mais le jour de leur inauguration en septembre, ils ont découvert leur façade méchamment taguée d’un « St-Mich’ nique les riches ». Plus loin sur la chaussée, on pouvait lire un autre tag: « Parlez pas de mixité quand vous gentrifiez ».
La suite de l’histoire n’est qu’une répétition. La maire adjointe de quartier, Emilie Kuziew, relate: « J’étais à leur soirée d’ouverture, franchement scandaleux. Je n’ai jamais vu ça à Bordeaux. Quatre personnes sont entrées et ont insulté le concept du commerce. J’ai entendu des propos violents: « Votre commerce nous agresse », « on va vous faire partir ».
Dans la foulée de cette soirée houleuse, un texte est publié sur le site d’un collectif d’extrême-gauche Pavé Brûlant, s’attaquant à l’intégrité de l’enseigne, « symbole de la gentrification de Saint-Michel », écrivent-ils, et relatant une « violente altercation » qui aurait eu lieu durant cette soirée inaugurale. Selon Pavé Brûlant, quelqu’un parmi les invités aurait dit « les pauvres sont cons »… Le brûlot du collectif tourne sur les réseaux sociaux et enflamme la toile.
D’autres commerces visés
Pas très loin, la jeune Joana a ouvert il y a quelques mois une boutique de fleurs, La Bicyclette, également très tendance. « Evidemment, j’ai ressenti une forme de rejet de quelques personnes. On nous accuse d’être les gentrificateurs, alors que nous n’avons fait qu’arriver après. Le mouvement avait déjà débuté, avec la rénovation et la spéculation immobilière ». Sur la place du Maucaillou, c’est la le nouveau bar à vin Le Flacon qui a été visée: tags et serrure silliconée. Là encore, les propriétaires font le dos rond.
Commerçante historique, Marie-Claude Abadie hoche la tête: » C’est lamentable, ce rejet. On est dans une phase de métamorphose positive. Beaucoup de jeunes commerces s’installent et donnent un coup de booster ».
L’adjointe Emilie Kuziew signale que des attitudes du même type ont lieu ailleurs, à Saint-Pierre par exemple. Des plaintes pour diffamation et dégradations ont été déposées à la police. « Ce sont des actes politiques qui visent à ostraciser les néo-Bordelais », condamne-t-elle.