Paris-Luttes / vendredi 17 février 2017
Après l’important rassemblement du samedi 11 février, il y avait un nouveau rendez-vous ce jeudi 16 février à 16h devant le Tribunal de Grande Instance de Bobigny. Le mot a tourné exclusivement sur les réseaux sociaux (snapchat notamment) depuis le début de la semaine.
Face à cette forme de rassemblement dénuée de toute légalité (autrement dit « sauvage »), l’État a trouvé une parade : cadenasser toute une partie de la ville. C’était le cas pour la ville d’Aulnay-sous-Bois, mercredi 15 février. L’idée de se rassembler en centre-ville avait suffisamment tourné sur Internet pour que la Préfecture décide de boucler les quartiers du centre d’Aulnay. L’hélicoptère était même de la partie. Résultat des courses : aucun rassemblement.
Aujourd’hui, le rassemblement de Bobigny avait eu assez écho pour que des choses s’y passent. L’État l’avait très bien compris donc les services administratifs de la ville fermaient dès 15h et près de 450 flics étaient mobilisés d’après Le Parisien.
Contrairement au samedi 11 février, les forces de l’ordre n’étaient pas concentrées quasiment exclusivement au niveau du TGI. Cette fois-ci, elles étaient « dispatchées » sur un périmètre plus large de la ville, disposées principalement au niveau du boulevard Maurice Thorez, sur la dalle de la gare routière Bobigny Pablo Picasso mais aussi rue Carnot, dans la continuité des rails du tram. Ce dernier était lui coupé plusieurs arrêts avant « Pablo Picasso » (donc le lieu du rendez-vous était plus difficilement accessible pour les habitant.e.s des villes avoisinantes).
Force est de constater que beaucoup de jeunes (et moins jeunes malgré tout) s’étaient donnés rendez-vous ce jeudi aprem. Face à l’imposant dispositif (présence d’un camion canon à eau à la gare routière), des « bandes » de manifestant.e.s zonent autour. Il n’y a pas réellement de nasse. A 16h30, il est encore possible de traverser les lignes de CRS mais il est impossible de s’approcher des bâtiments du conseil départemental ou de la passerelle qui mène au TGI. Les gens s’éparpillent en petits groupes autour du dispositif policier. Il y a plusieurs centaines de personnes. Bien plus qu’à Barbès mercredi soir.
Avant 17h, un nombre assez important de gens se retrouvent au croisement de l’avenue Youri Gargarine et de la rue Carnot, devant la cité Berlioz. Très vite, la police gaze. Certain.e.s s’engouffrent dans la cité tandis que d’autres prennent place sur le fameux gros rond-point (lieu d’affrontements samedi dernier).
Les CRS répliquent très rapidement et pourchassent les manifestant.e.s au niveau du mail Jean Rostand (esplanade entourée de bâtiments « neufs » comme la Société Générale ou la Maif). L’ambiance est tendue. Un hélicoptère survole la zone. Pendant ce temps, des affrontements ont lieu au cœur de la cité Berlioz. Aux tirs tendus et à hauteur de poitrine et de visage du LBD40 répondent des tirs de mortiers (feu d’artifice). La foule acclame ces feux d’artifice du plus bel effet et les photographes et caméramen en sont tout aussi ravis.
Après plusieurs minutes, des gens se retrouvent vers l’entrée de la cité Berlioz, davantage en tant que spectateurs des affrontements ayant lieu dans le quartier. Une série de grenades lacrymogènes est tirée avec le lance-Cougar au cœur de la cité. Les grenades frôlent les immeubles. Les pastilles de lacrymogène projettent leur gaz à hauteur des fenêtres malgré les signes des habitant.e.s demandant d’arrêter d’enfumer toute la cité. Les CRS sont hilares. Des jeunes, au pied des tours, filment : « Y a des daronnes qui dorment et ils tirent des lacrymo au niveau des fenêtres ces gros bâtards ».
Le Parisien rapporte par ailleurs les propos d’une habitante :
Une grenade lacrymogène atterrit même sur une terrasse au sixième étage d’un immeuble, comme le rapporte une résidente, Wajda, assez choquée par les faits. « J’ai entendu un boum, puis j’ai vu sur le balcon un dégagement de fumée. J’ai ouvert la fenêtre et l’odeur était très forte, caractéristique du gaz lacrymogène, confie-t-elle. Je ne comprends pas qu’on puisse en arriver là. »
De nouveaux jeunes arrivent de la cité bien véners. Les insultes fusent et les flics sont allègrement caillassés. La réplique est immédiate. Grenades de désencerclement, LBD40, mais surtout un tir intensif de grenades lacrymogène qui noient littéralement le gros rond-point.
Décidé.e.s à ne pas en rester là (et malgré la pluie diluvienne qui s’abat au même moment), les manifestant.e.s s’engouffrent dans les rues pavillonnaires de Bobigny. Une barricade de fortune est construite à la hâte sur l’avenue Paul Vaillant Couturier. La BAC et les CRS déboulent au niveau du chemin de la Madeleine, rue Mathurin Renaud et rue Léo Lagrange. Cernés, les salves de lacrymo provoquent la panique. Un hall d’immeuble où s’étaient réfugiés deux jeunes est complètement saturé par le gaz irritant. Une équipe de la BAC arrive également en trombe rue Henri Langlois, l’étau se resserre, et les tirs de LBD40 fusent (à tel point qu’une vitre arrière d’un véhicule est brisée par le projectile policier). Les gens accourent dans les immeubles de la Madeleine. La chasse est lancée. Très vite, un nouveau groupe de gens se reforme chemin des Hauts. Les voitures de la BAC foncent très dangereusement dans ces rues en ligne droite. Les jeunes prennent alors la direction de la cité de l’Abreuvoir avec certainement l’idée d’y trouver refuge.
Pendant ce temps les affrontements continuaient près de Pablo Picasso à la cité Berlioz.
À 20h-20h30, la situation semblait revenir à la « normale ».
Notons que très peu de Parisien.ne.s étaient présent.e.s au rendez-vous. Peut-être que l’annonce du rassemblement par les réseaux sociaux n’avait pas assez tourné dans les milieux militants habituels. Cette forme de communication nécessite inévitablement d’avoir des contacts auprès des habitant.e.s des cités… Peut-être aussi que « Bobigny est à l’autre bout du monde » et que la perspective de marcher une heure pour retrouver un moyen de transport ramenant sur Paris est un effort bien trop intense.
Dommage, distribuer plus massivement du sérum physiologique n’aurait pas été de trop par exemple.
Nous avons tant de passerelles à construire entre les quartiers populaires et les « centres-villes » aussi bien « en amont » que dans l’urgence des manifestations actuelles. Saisissons donc l’occasion dès qu’elle se présente (comme ce fut le cas aujourd’hui). Et dans le respect de tou.te.s.
Un manifestant