Blasphegme, bulletin mural anarchiste de Paris et sa région / n° 2, novembre 2016
Bip, lorsqu’on prend le métro avec son passe navigo. Bip, lorsqu’on accède à son lieu de travail. Bip, lorsqu’on va manger au resto U ou à la cantine de son collège/lycée (parfois au lieu d’une carte on passe avec ses empreintes palmaires). Bip, lorsqu’on va à la bibliothèque. Bip, lorsqu’on rentre dans son immeuble.
Quand on ne bipe pas on pianote, sur l’écran tactile de son smartphone, de sa tablette, ou le clavier de son ordinateur. Pas une seconde de notre journée ne se passe sans interaction avec ces technologies, qui se substituent aux interactions en face à face avec des gens, remplacés par des contacts virtuels de réseaux sociaux, qui nous laissent dans la froideur de notre solitude, bien réelle, elle.
On a presque oublié que lorsqu’on veut parler à quelqu’un on peut aller chez lui et frapper à sa porte. On a presque oublié ce que c’est de communiquer en face à face, avec des émotions, des rires, des colères, qui se lisent sur nos visages, le ton de notre voix, le tremblement de nos mains. On a presque oublié qu’il n’y a pas si longtemps ces machines ne faisaient pas partie de nos vies, et qu’on n’était pas enfermés dans ce monde digitalisé, qui essaie de contrôler de plus en plus notre quotidien. Et que les gens vivaient, s’aimaient, communiquaient, se tenaient au courant de l’actualité, sans ces technologies envahissantes.
Dans le métro on se sent parfois comme un intrus, à faire partie des rares personnes à ne pas être aspirées par son petit écran et des écouteurs dans les oreilles, oubliant qu’il y a des gens autour. Et c’est en s’enfermant ainsi sur nous-mêmes que l’on ne voit pas l’évolution de la société avec les technologies. Par exemple, dans les taules, dans les collèges/lycées, aux frontières, dans certains lieux de travail, la biométrie fait maintenant partie du quotidien (empreintes digitales, forme de la main, traits du visage, dessin du réseau veineux de l’œil ..). Il faudra être imaginatifs pour contrer de tels systèmes de contrôle omniprésents dans nos vies qui auront leur tâche facilitée par le tout nouveau fichier de titres électroniques sécurisés qui devrait conserver dans une base centralisée les données biométriques des détenteurs d’un passeport et d’une carte d’identité nationale. Et à cela s’additionnent les caméras des villes, les GPS des smartphone et des voitures, les bracelets électroniques, et des tas d’autres machines qui n’attendent qu’à être lancées sur ce marché juteux …
Les murs se resserrent de plus en plus, chacun acceptant plus ou moins dans son quotidien ces super moyens de flicage, oubliant qu’on peut se débrancher aussi, qu’on n’en meurt pas (ni socialement), et que la fameuse « neutralité » des technologies n’existe pas, que nous avons déjà perdu de nos façons d’interagir, de communiquer, de penser. Nous sommes, pour la plupart, réduits à une servitude aux machines, et déjà définitivement aliénés dans tous les domaines de la vie.
Et si nous réapprenions à vivre sans les machines ? Et si nous coupions le fil du virtuel pour nous reconnecter les uns avec les autres, tisser des complicités dans le concret, combler ce vide crée par nos atomisations ? Reprendre contact avec le temps, l’espace, les autres, tout ce qui par l’interaction froide avec les machines a été relégué au second plan.
Et si nous blasphémions ouvertement contre la religion de la connectivité ? Et si nous faisions la guerre à ce paradis technologique qu’on nous vante et qui ressemble plutôt à un cauchemar sorti tout droit de la science fiction ?
Et si nous détruisions les machines …
Fin octobre de cette année un «incendie criminel» a ravagé un local technique d’Orange à Toulouse, privant d’internet et de téléphone 800 foyers. Selon les médias le « retour à la normale » n’a été rétabli que quatre jours plus tard … nous dirions plutôt qu’il a été rétabli seulement quatre jours.