Traduit de la Croce Nera Anarchica / samedi 11 mai 2016
[traduction revue le 5 juin 2016 : nous avons corrigé quelques imprécisions présentes dans la première version]
Le 7 mai 2012, à Gênes [Italie ; NdT], le PDG de l’époque d’Ansaldo Nucleare, Roberto Adinolfi, est blessé par balle à une jambe. Deux compagnons anarchistes, Alfredo Cospito et Nicola Gai revendiquent cette attaque et sont encore détenus dans la prison de Ferrara.
Après ce heurt, afin d’œuvrer à son propre maintien, le système s’est organisé pour amoindrir et contrecarrer le sens de ce qui s’était passé, en le discréditant et en le criminalisant pour que ça ne se répète pas. D’un côté, la répression et la police ont mené différentes perquisitions contre des personnes, en ville et ailleurs ; de l’autre, le Pouvoir a fait bouger les institutions et la presse, qui, étant donné leur interdépendance, ont pleinement collaboré.
Rien de nouveau par rapport à la façon dont la domination s’organise, à différents niveaux, contre ceux qui cherchent à la subvertir, et, dans le cas concret de l’action révolutionnaire, cherche à en récupérer le sens afin que cette action ne se diffuse pas et ne se traduise pas en souvenir historique. Revoir à son propre avantage les événements est une pratique typique du système, tout comme, parfois, leur négation. Au contraire, les libertaires, ou ceux qui se posent de façon critique face à la domination, donnent plutôt vie à des événements critiques ou y contribuent avec l’analyse, en partant d’un principe d’honnêteté intellectuelle qui distingue la critique du commentaire sournois et de la rhétorique négative ; et cela exclut des interprétations fondées sur des manipulations et des falsifications sans aucune profondeur d’analyse.
Dans le cas de l’attaque contre Adinolfi, quelque chose d’ambigu est arrivé depuis l’« intérieur du mouvement » [anarchiste ; NdT], lorsque quelques individus ont décidé de prendre leurs distances vis-à-vis de l’action des compagnons.
Bien évidemment, des interventions de ce type, en plus d’être facilement vues comme des réactions hystériques de délire de persécution et de panique face à la répression, amènent avec elles de tristes dynamiques d’affaiblissement interne.
A ce propos, quelques réflexions et approfondissements s’imposent.
La dissociation
Partons d’un constat banal : seul le Pouvoir peut trouver une utilité à des interventions de ce type. En effet, d’un point de vue plus limité, les juges en tirent souvent des conseils précieux, de l’autre côté, plus globalement, une certaine « cohésion » utile au « mouvement » afin d’affronter les situations les plus difficiles, même face à la répression, qui s’émiette et aboutit à des divisions. Il faut toujours critiquer de façon ferme et résolue la tentative de ceux qui essayent de différencier à l’intérieur [du mouvement ; NdT] les gentils et les méchants, ainsi que la logique du chacun pour soi de ceux qui cherchent à se mettre à l’abri face à la tempête et sont prêts, pour ce faire, à abandonner toute éthique.
Les prises de distance, les dissociations auxquelles nous assistons ces derniers temps mais pas que, n’aident sûrement pas les parcours de lutte. Nous pensons par contre qu’il est particulièrement nécessaire de s’arrêter là-dessus de manière critique, sur la gravité que cela représente, d’où cela sort et qu’est-ce qu’il en sort. Cela surtout à la vue de la confusion qui se répend, menant à des prises de distance, des dissociations, des témoignages au tribunal contre des co-inculpés, insinuations délatrices sur internet ou délations au tribunal, etc.
Tout en tenant compte de la diversité des situations et de la singularité de chaque épisode, les différents conséquences-effets-responsabilités, indépendamment des motivations réelles et des intentions des auteurs, l’idée de prendre ses distances et/ou nier, selon l’opportunité, l’expérience de l’action directe et le fait de se désolidariser vis-à-vis des auteurs de celle-ci, est donc incompatible avec un sentiment anarchiste ou, plus généralement, avec un sentiment de révolte. De même pour les tentatives de relativiser l’action directe et sa validité.
Mais alors, si nous ne nous sentons pas concernés et/ou représentés quand la violence reconnaît sa cible et défie l’autorité, quand le sens anarchiste et d’opposition s’exprime dans son efficacité, quand nous sentirons-nous donc vivants ?! Il faut reconnaître, en ce sens, que des interventions comme dissociations et prises de distance vont dans le sens de la récupération plutôt que dans celui de la lutte multiforme. Cela se situe à l’opposé de ce qui est considéré comme une force, c’est-à-dire la solidarité, le partage et la complicité.
Celui qui porte une idée de révolte permanente devrait se questionner là-dessus et sur la façon de se positionner (ou pas) de manière efficace par rapport à ces malheureux événements, contrairement à ce que l’on fait peut-être.
Tout le monde est d’accord sur le fait que, si on regarde le panorama subversif actuel, le fait de se reconnaître réciproquement comme compagnons se limite à la théorie et à une idée romantique, mais dangereusement fausse, de mouvement. Certaines composantes de ce mouvement portent, explicitement ou implicitement, une idée d’intermittence de l’action directe et de la solidarité avec les compagnons qui luttent dehors et dans les prisons, responsables ou accusés d’actes visant à renverser l’existant. Au-delà de ça, on peine souvent à considérer la critique et la discussion comme des moments enrichissants et de croissance individuelle et collective et, aveuglés par l’envie de se mettre en avant sur la scène politique et personnelle, on les fuit ou on les combat.
La solidarité
On cherche toujours à progresser, à analyser et à améliorer les expériences du passé, même si parfois ce n’est pas facile, dans le manque d’organisation qui caractérise le présent. On assiste parfois à une virtualisation de la vie et aussi de la lutte, dans laquelle est représenté le spectacle de la révolte, et à des lectures politiques visant à faire une différence entre actions légitimes ou pas. Nous ne sommes pas d’accord avec tout cela. L’action anarchiste contre des structures est au même niveau que celle contre des individus ; cela fait partie d’un parcours d’émancipation et de subversion. La solidarité envers les compagnons qui subissent la répression de l’État et de ses appareils, la complicité idéologique, comme la reproductibilité d’un acte, sont partie intégrante de ce parcours, dans la richesse de la lutte multiforme. Ici, par multiforme on ne veut pas dire l’inclusion de pratiques réformistes dans l’expérience révolutionnaire, mais plutôt le fait de s’exprimer de différentes façons, toujours dans une logique d’incompatibilité et de conflictualité avec le pouvoir et ses émanations, sans donner aucun espace à la récupération.
L’art. 414 du Code pénal, avec finalité terroriste
Si à l’étranger l’État dépouille, conquiert, effectue des génocides, détruit des vies et des territoires au nom du profit, à l’intérieur il s’arme contre la sédition. En plus de frapper directement, il essaye d’isoler et de diviser les actes de libération et de justice sociale. Même contre ceux qui soutiennent par éthique l’action directe il y a une punition pénale de prévue. Le Code pénal italien prévoit l’article n° 414, « Provocation aux crimes et délits, avec la circonstance aggravante de finalité terroriste ».
Dans plusieurs cas on a vu l’application de cette accusation, avec procès ; l’un d’entre eux est celui de Carlo, un compagnon de Gênes accusé pour un texte solidaire avec l’action d’Alfredo et Nicola ayant pour titre « A ceux qui ne se dissocient pas », en réponse au texte de prise de distance « Les points sur les i ». Il ne s’agit pas du premier cas de procès de ce type : on se souviendra de la situation d’autres compagnons, condamnés en appel dans le cadre de l’Opération Shadow, avec trois peines de 3 ans chacune pour la publication du bulletin KNO3. Deux autres compagnons ont été déferrés en mars 2016 et acquittés, pour un texte de Nicola de 2014. Un autre cas dans le Trentino, avec un compagnon condamné en première instance pour un article publié dans le journal Invece.
Plus récemment, il y a aussi eu une notification de clôture de l’enquête à l’encontre de quelques anarchistes de Palerme, pour la diffusion d’affiches et autres publications.
Notre solidarité va à eux tous !
Le 24 mai [à cause d’une grève des avocats, le procès a été renvoyé à une date ultérieure ; NdT] , à partir de 10h, nous serons au Palais de Justice de Gênes pour exprimer notre soutien à Carlo, lors de l’audience du procès où il est inculpé.
Sans tomber dans le dogmatisme, en nous isolant et en nous privant de la possibilité de rencontrer et connaître des nouveaux compagnons de lutte, et sans laisser d’espace aux hiérarchies informelles et à de dangereuses instrumentalisations de la part de ceux qui pensent qu’une méthode de lutte offensive puisse convenir un jour et pas un autre, à tel lieu et pas ailleurs, à nombreux mais pas en petit nombre, réalisé par certains et pas par d’autres, etc…
Nous continuerons à nous exprimer et à porter bien haut la valeur de la lutte. A nous solidariser avec les compagnons prisonniers et à soutenir chaque attaque et chaque acte de révolte et de subversion. Parce que c’est seulement à travers cette solidarité que nous nous sentons vivants…
Des anarchistes de Gênes et des solidaires