Séditions n° 7, avril/mai 2016
La journée du 9 mars a été le point de départ d’un mouvement de révolte contre la « loi travail », qui constitue une des nombreuses mesures offensives du capital et l’État à notre encontre. On ne détaillera pas le contenu de cette “loi travail”, ce qui en général est l’apanage des politiciens. C’est lorsque certains se penchent sur les points de cette loi qu’il faut commencer à se méfier. Nous n’avons pas besoin de détailler le contenu de cette loi de la domination pour renforcer la mainmise du capital sur nos vies, pour nous mener au turbin encadrés par toujours plus d’uniformes et de caméras, pour nous livrer toujours plus à la merci des patrons. Quoi qu’il en soit, la révolte contre cette société n’attend aucune loi spécifique. C’est seulement l’occasion de se soulever ensemble contre l’État et ce monde de fric qui contrôlent nos vies, les militarisent, nous enferment, exploitent et éliminent celles et ceux qui refusent de prendre part au désastre du capitalisme.
Ce qu’il s’est passé à Besançon:
Tout commence le 9 mars, avec un appel à manifester pour 14h place de la révolution lancé sur un réseau social. Les syndicats, pris de cours, emboîtent le pas à cette initiative par crainte du caractère incontrôlable du déroulement des manifs des jeunes. Ces syndicats entendent donc être présents pour surveiller tout ce petit monde, et leurs propos tenus lors de l’intersyndicale l’illustrent une nouvelle fois. Plus de 4000 personnes manifestent à travers les rues. Les flics en civil menacent les responsables syndicaux de charger si le cortège prend la voie du tramway, ce qui correspondait davantage à un coup de pression qu’autre chose. Vu le nombre de personnes présentes, cela aurait été bien hasardeux de leur part d’attaquer le cortège au départ de la manif. Toujours est-il que nos pacificateurs obéissent à l’injonction des flics. On notera tout de même que des militants du MJS se sont perdus dans le cortège. Arrivés à la fin du parcours, ils se sont faits arracher leur drapeau, qui a ensuite été brûlé parmi la foule et accroché à un chéneau de la place de la révolution.
Le 17 mars, ce sont les étudiants et les lycéens qui prennent la rue: 300 personnes sont au rendez-vous, et on constate paradoxalement qu’en étant moins nombreux on met bien plus de bâtons dans la routine tramway-boulot-dodo. Bon nombre de tags, qui ont été inscrits sur les murs de la ville quelques jours avant cette journée de mobilisation, appellent à tout bloquer et à prendre la rue. Parmi eux, « Pour vivre debout, bloquons tout ! Grève générale ! », « Vivons debout, bloquons tout ! Tou.te.s dans la rue! », « Ni loi ni travail », « Gare à toi bourgeois ! », « Contre la loi des patrons : grève, blocage, sabotage ! », etc … Le cortège tente de rameuter les lycéens de plusieurs bahuts: ça commence au lycée ‘Pasteur’ situé en plein centre-ville. En arrivant devant les grilles du lycée, le proviseur prend des allures de vigile, craignant que certains manifestants pénètrent dans l’établissement. Mais quelques minutes plus tard, plusieurs d’entre eux arrivent à entrer de force dans le lycée. Les surveillants prévoient le coup et stationnent devant chaque porte d’accès aux salles de cour situées aux étages. L’administration décide de verrouiller les grilles de l’établissement, enfermant les lycéens et les quelques personnes qui ont pénétré de force. Par ailleurs, on apprend que le proviseur a appelé les flics et porte plainte pour agression et intrusion dans l’établissement. D’après sa déclaration aux keufs, il évoque de “jeunes individus violents et cagoulés prêts à en découdre”. Malheureusement, très peu de lycéens rejoindront le cortège par crainte de représailles de la part de l’administration. Le cortège continue en direction du lycée ‘Jules Haag’, puis devant le lycée professionnel ‘Condé’, où les flics sont présents en nombre. Quelques manifestants arrivent à pénétrer dans l’enceinte des lycées. Bien que les membres de l’administration du lycée ‘Jules Haag’ anticipent le coup et la désactivent rapidement, il y a en revanche plus de succès au lycée ‘Condé’, où cette perturbation réussit à faire sortir les lycéens dans la cour. Le but n’était évidemment de les joindre à la manifestation puisque les portes étaient verrouillées par l’administration et gardées par les flics, mais plutôt de perturber le déroulement des cours et le fonctionnement normal du lycée, ainsi que d’afficher notre présence et notre détermination pour la suite.
Le 24 mars, 400 personnes sont au rendez-vous place de la révolution. Le cortège est bruyant, de nombreux slogans offensifs sont lancés “A bas l’État, les flics et les patrons!”, “PS-MEDEF, mais défonçons-les!”, “les patrons comprennent qu’un seul langage, Grève, blocage, sabotage!”. Il s’agit de la deuxième manif sauvage après celle du 17, ce qui a le don d’énerver les flics. Comme lors du 17, le cortège sort du centre-ville piéton et de la routine des manifs plan-plan encadrées par les centrales syndicales et les flics. Le tramway est bloqué pendant un bon moment, car le cortège de la manif suit ses voies en direction de la gare, qui malheureusement ne sera pas envahie. Cependant, un sit-in se tient sur l’un des gros rond-points devant la gare TGV pendant près de 20 minutes. En redescendant la rue ‘Battant’ en direction du centre-ville, le local du front de gauche reçoit glaviots et tags anarchistes sur sa façade. La manif continuera le long de la voie du tramway, bloquant une nouvelle fois le tram-tram quotidien des bisontins, travailleurs comme consommateurs. Plus tard dans l’après-midi, un manifestant s’est vu convoqué par la police en rentrant de la balade. Les raisons de cette injonction policière sont en lien avec la plainte déposée à la suite de l’intrusion de force dans le lycée ‘Pasteur’ lors de la manif du 17 mars. Il se fera interpeller par les flics alors qu’il se rendait à sa convocation entouré de dizaines de personnes en soutien vers 17h. Deux heures plus tard, le rassemblement de soutien devant le commissariat central se fait gazer et matraquer par les keufs et deux manifestants sont interpellés.
Dans la nuit du 30 au 31 mars, une deuxième nuit d’occupation eut lieu à la faculté de lettres. A la suite de l’AG du mardi 29 mars, l’occupation du plus grand amphi fut votée, ainsi que le blocage de l’établissement pour la journée du 31. L’administration de l’université de franche-comté décida d’embaucher pour cette deuxième nuit d’occupation une entreprise de vigiles, “DSP Sécurité”, afin de remplacer le concierge et un de ses collègues présents la nuit précédente. On se dit que ça va être tendu d’être en compagnie de petits flics à l’attitude teigneuse et belliqueuse. Et bien non. Le vigile était tout seul, et le blocage a pu s’organiser comme prévu. Au petit matin, toutes les entrées de la fac étaient bloquées, et le vigile dut négocier ardemment pour que les étudiants le laissent sortir avec sa voiture. D’autres partent en direction du site ‘Arsenal’ (deuxième site de la faculté de lettres) situé à une quelques centaines de mètres du site ‘Mégevand’ dans le but de monter des barricades et de le bloquer. A l’aide de poubelles et de matériel de chantier – ça tombe bien, des travaux sont en cours sur le site ‘Arsenal’: la ‘Maison des Sciences et de l’Environnement’, symbole de l’excellence universitaire (et de “l’austérité à la fac”), doit bientôt voir le jour – les portes de l’administration et celles d’accès aux salles de cours et aux amphis sont rendues inaccessibles. En guise de réconfort matinal, une exploitée de l’administration fait preuve de son soutien total envers les actions de blocage contre le gouvernement et ses lois dégueulasses. Ca réchauffe les coeurs après une nuit belle mais éprouvante.
L’heure d’arrivée du personnel et des étudiants approche, et un comité d’accueil attend tout ce petit monde autour d’un déjeuner prix libre à l’entrée principale de la fac. Sur la façade de la fac est suspendue une banderole, qui annonce clairement la couleur : « Leurs profits brisent nos vies : grève, blocage, sabotage ! ». Les personnes qui arrivent au compte-goutte peuvent lire quelques slogans inscrits sur les murs autour de la fac de lettres : « Émeute-toi !, « Le monde ou rien ! », « Besak soulève-toi », etc… La foule commence à s’agglutiner, et la circulation dans la rue est de fait ralentie : tous papotent, s’engueulent, certains râlent, d’autres montrent leur satisfaction de voir cette fac aussi bien bloquée (rappelant que même pendant la lutte contre les retraites de 2010 elle n’avait pas été aussi bien barricadée). Les femmes de ménage font partie des plus réjouies en voyant le blocage, bien satisfaites pour une fois de ne pas aller ramasser la merde pour des clopinettes. Cela permet de libérer du temps pour échanger et de briser un tant soit peu cette routine moribonde. Personne ne passe, hormis ceux qui luttent et occupent. Cependant, le bruit circule que le doyen a réussi à pénétrer dans l’enceinte de la fac. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que deux pavés traversent une fenêtre de son bureau (manquant de peu d’atterrir sur son crâne), histoire de lui rappeler que c’est un patron comme un autre et que le blocage vaut pour tout le monde, y compris et surtout le personnel de l’administration. Il venait tout juste de revenir du site ‘Arsenal’, où il est allé constater le blocage des bâtiments : au passage, il a profité de sa venue pour aller dire aux étudiants du comité en lutte contre la « loi travail » présents pour tenir le piquet de grève qu’il allait porter plainte pour dégradations après avoir constaté qu’une porte vitrée avait volé en éclats. Tôt lundi 4 avril, le doyen tire la gueule et tient à aller signifier aux occupants de l’Amphi ‘Donzelot’ que le blocage aurait laissé quelques traces sur les murs et dans des serrures de salles de cours, ainsi que dans les cadenas de plusieurs portes d’entrée de la fac. Comme quoi, un blocage réserve des fois quelques surprises bien dissimulées.
Parallèlement à cette agitation autour de la fac de lettres, les lycéens de Pergaud se sont également passés le mot pour bloquer leur bahut en se donnant rencart à l’aurore. Au petit matin, les flics rôdent autour du lycée ‘Pasteur’, le proviseur est sur les dents : d’après des lycéens, il a harcelé les keufs pour qu’ils organisent des rondes autour de son établissement par crainte de blocage (selon lui, « des radicaux cagoulés de Paris auraient prévu de venir pour participer au blocage »). Les lycéens de ‘Pergaud’ reçoivent très vite le soutien massif des lycéens de ‘Pasteur’ (Il y aurait eu 500 lycéens de ‘Pasteur’ absents rien que pour la matinée de jeudi). Une fois le lycée bloqué, une foule de plus de 300 jeunes commence à s’élancer dans le quartier de ‘Palente’/’Orchamps’ de manière entièrement spontanée. Durant le parcours, il y a très peu de flics et beaucoup de boxon. Des slogans incitant à la révolte sont inscrits à la bombe sur les murs du trajet en direction du centre-ville, afin de rejoindre la grande manif de l’intersyndicale qui fut sans surprise d’un mortel ennui et ultra-surveillée (entre les flics plus déployés qu’en temps normal et les SO des syndicats…).
Jeudi 14 avril, une manifestation sauvage rassemblant entre 250 et 300 personnes part de la place ‘Granvelle’ vers 21h15, n’attendant pas la fin du discours du chef de l’Etat retransmis en direct» (heureusement pas mal coupé grâce à la mauvaise connexion wifi de la ville). A coups de pétards, équipée de fumis et de flambeaux, la manif s’élance sans un flic dans le périmètre. Quelques poubelles sont renversées et mises en travers de la rue. Deux rues plus loin, les bombes sont sorties et des tags accompagnés de « A » cerclés fleurissent un peu partout sous les acclamations d’une bonne partie de la foule, sur les murs, des banques comme sur des vitrines de bijouterie (« (g)rêve général(e) », « révolte », « Nique les riches », « Travaille, consomme et ferme ta gueule »..). En arrivant place de la Révolution, une sucette publicitaire tombe en miettes. Cette déambulation sauvage est bien tapageuse et elle poursuit son chemin en direction du quartier ‘Battant’. Arrivée à la fontaine ‘Bacchus’, une poubelle est une nouvelle fois mise en travers de la rue. Alors qu’une manif sans keuf et sans syndicat était lz plus belle occasion à saisir pour foutre un peu de bordel dans les rues d’une ville si pacifiée, un « civil en flic », qui fait irruption pour empêcher un manifestant de mettre une poubelle en travers de la rue et de l’incendier, récolte plusieurs coups de poing bien placés dans la face et repart la bouche en sang. Cet épisode doit servir d’avertissement et rappeler à ceux qui entendent contrôler et canaliser la colère contre cette société mortifère qu’ils n’ont pas leur place parmi nous : flics en civil, civils en flic, dégageons-les des manifs !
Jeudi 28 avril, pas moins de 1500 personnes manifestent dans les rues, bloquent les voies du tramway : la circulation en fait les frais. A la fin de la manif, un groupe de 15 à 20 individus est bien décidé à « nuire debout » et se mettent en direction du ‘Casino shop’ de la rue des Granges pour aller exproprier quelques produits nécessaires à notre survie quotidienne. Rapidement, les employés du magasin agissent en bons chiens de garde de leur exploiteur et, pris de panique, alertent le patron. Tous font barrage aux pilleurs de manière acharnée et les séquestrent : la porte d’entrée du magasin explose en miettes sous la charge de la foule déterminée. Malgré la rapide intervention des flics et leur promptitude à mettre la main sur une partie du petit butin exproprié, quelques biens ont pu être distribués aux galériens qui passaient dans la rue. Malheureusement, trois personnes finissent en GAV, mais elles en sortiront avec un simple « rappel à la loi ».