Libération / mercredi 15 juillet 2015
Des dispositifs de mise à feu ont été retrouvés dans les Bouches-du-Rhônes, sur le site pétrochimique classé Seveso, où deux cuves ont été incendiées. Une troisième était visée. La thèse de l’accident est ainsi écartée. C’est désormais officiel, la piste de l’accident est écartée. La double explosion survenue dans la nuit de lundi à mardi sur le site pétrochimique de LyondellBasell, dans la zone industrielle de Berre-l’Etang (Bouches-du-Rhône), serait bien d’origine criminelle, selon les premiers éléments de l’enquête exposée mercredi en fin de journée par la procureure d’Aix-en-Provence, Dominique Moyal. «On est sur un incendie volontaire car les deux explosions, survenues à trois secondes d’intervalle, excluent la thèse de la propagation accidentelle du feu», a précisé la magistrate
Les premiers témoignages recueillis par la section de recherche de la gendarmerie, ainsi qu’un extrait des bandes de vidéosurveillance récupéré auprès de l’entreprise, ont permis aux enquêteurs de définitivement valider la piste criminelle. A 3 h 03 précisément, une détonation retentit sur une cuve de stockage d’hydrocarbures. Quelques secondes plus tard, une seconde détonation a lieu sur une deuxième cuve, à 500 mètres de là, laissant penser qu’un dispositif de minuterie a pu être mis en place. Les enquêteurs ont trouvé mardi, tout près de l’une des cuves incendiées, du matériel «pouvant s’apparenter à un dispositif de mise à feu, avec ou sans explosifs», a précisé la procureure. Ce matériel est actuellement analysé par l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).
La procureure a en outre révélé la présence d’un autre système de mise à feu positionné sur le couvercle d’une troisième cuve contenant également des hydrocarbures. Mais le dispositif n’a pas fonctionné. «On essaie de le récupérer dans des conditions de sécurité maximale», a indiqué la magistrate. Des équipes de démineurs sont actuellement en pourparlers avec la direction afin d’intervenir au plus tôt. Ces engins, «plus artisanaux», ne seraient pas ceux dérobés la semaine dernière sur le site militaire de Miramas (Bouches-du-Rhône). Les enquêteurs ont aussi passé au crible les 18 kilomètres de clôture encadrant le site classé Seveso niveau haut. Si aucun trou ou grillage coupé n’a clairement été identifié, les gendarmes ont relevé une série de «passages possibles», notamment à proximité de l’une des cuves. Difficile de dire si le ou les auteurs des incendies ont utilisé ces passages pour s’introduire sur le site.
Aucune revendication n’a pour l’instant été enregistrée. La piste terroriste est étudiée sans être, pour l’instant, privilégiée. L’affaire demeure du ressort du parquet d’Aix, même si le parquet antiterroriste de Paris est informé en permanence de l’évolution des investigations. L’activité continue normalement.
A quoi ressemble le site ciblé par le ou les incendiaires ?
Le site de Berre-l’Etang compte une trentaine de cuves immenses comme celles qui ont été incendiées dans la nuit de lundi à mardi. Un enchevêtrement complexe de pipelines et de grandes cheminées complètent le site qui s’étend sur près de 1 000 hectares, en pleine pampa industrielle au bord de l’étang de Berre, à environ 30 kilomètres de Marseille. Dans ce complexe géré par l’un des poids lourds mondiaux du secteur, des unités chimiques et des installations logistiques permettent de produire plusieurs dérivés du pétrole. C’est dans les années 50 que sont développées ces activités sur le site, en parallèle de la raffinerie qui, elle, est ouverte depuis 1929.
A l’époque, Shell est propriétaire des lieux. Le site est idéal, puisque la proximité de l’étang de Berre, relié à la mer, permet de décharger facilement les bateaux. Avec Shell, d’autres groupes comme Total, BP-Ineos ou Esso viennent s’y installer pour constituer l’un des pôles majeurs de la raffinerie puis de l’industrie pétrochimique. Au fil des ans, la raffinerie Shell se développe, produisant essences, kérosène, bitume… Dans les années 2000, sa capacité est de 105 000 barils/jour. Les résidus non utilisés pour l’essence sont récupérés par les unités chimiques qui, peu à peu, prennent de l’ampleur. Dans les années 80, le site est équipé d’un vapocraqueur, qui permet de transformer le pétrole en billes. Le site traite ainsi toute la chaîne des hydrocarbures, du pétrole brut à la poudre de plastique.
Mais, déjà, les signes d’un ralentissement qui touche toute l’Europe s’annoncent : le trop grand nombre de raffineries, conjugué à une baisse progressive de la demande en pétrole, plonge le secteur dans une profonde crise. A Berre, Shell, qui a commencé à vendre ses unités, décide de céder son site au groupe pétrolier américain Basell qui fusionne, en 2007, avec Lyondell.
Pour les 900 salariés qui travaillent encore sur le complexe, les mauvaises nouvelles s’enchaînent. Après la fermeture de plusieurs unités, le groupe annonce, en septembre 2011, la fin d’activité de la raffinerie. En 2014 un accord est signé entre syndicats et direction. Ce document prévoit la fermeture définitive de la raffinerie, qui emploie alors 376 salariés. Chez les voisins, les perspectives sont tout aussi sombres : en avril dernier, Total annonçait la suppression de 180 postes dans sa raffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône), entamant une reconversion du site vers les biocarburants. Sur les sept raffineries encore en activité en France, il en reste deux dans la région de Berre : celle d’Esso à Fos-sur-Mer, de l’autre côté de l’étang, et celle d’Ineos à Martigues.
Comment sont protégés les sites Seveso ?
Procéder «sans délai à une inspection minutieuse des installations» sensibles : dès mercredi matin, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a mis en alerte les préfets et patrons de la police et de la gendarmerie pour qu’ils réalisent des audits avec les responsables des sites industriels. Dans une note citée par l’AFP, il leur demande d’«exercer une vigilance particulière au cours des jours et nuits à venir pour renforcer leurs dispositifs de sécurité et de surveillance internes». Après l’attaque de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), des mesures exceptionnelles, et temporaires, ont été prises sur ces installations sensibles. Elles s’ajoutent à l’encadrement législatif strict, adopté au lendemain de catastrophes industrielles majeures.
En 1976, un rejet de dioxine dans une commune italienne baptisée Seveso – un nom devenu aujourd’hui synonyme de ces sites sensibles – pousse les Etats membres de l’Union européenne à adopter une directive, modifiée quelques années plus tard. La troisième du nom, Seveso 3, vient tout juste d’entrer en vigueur. Elles posent les bases d’une classification des sites en fonction de leur degré de dangerorité. Le site de Lyondellbasell à Berre-l’Etang est classé «seuil haut», comme 655 autres sites selon le recensement du ministère de l’Ecologie en date du 31 décembre 2014. 515 sites sont quant à eux classés «seuil bas».
La sécurité de ces sites repose en premier lieu sur l’exploitant. C’est lui qui doit se prémunir contre les risques d’intrusion physique, en installant, par exemple, des clôtures ou des contrôles d’accès, indique le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), un organisme sous l’autorité de Matignon qui prévient les risques majeurs et terroristes. Les exploitants des sites Seveso peuvent demander l’appui du référent sûreté de la sécurité publique ou de la gendarmerie du département, ajoute le SGDSN, au moins ponctuellement. Les forces de l’ordre ne peuvent pas fournir des équipes de surveillance sur chacun des 1 171 sites Seveso.
L’essentiel du contrôle de ces dispositifs repose sur le ministère de l’Ecologie et ses bras armés locaux : les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, dont l’un des domaines d’intervention est la sécurité des installations industrielles. La loi «risque», votée en 2003 en réaction à l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, en septembre 2001, a permis d’augmenter les effectifs qui inspectent les installations classées. Mais pour Carlos Moreira, secrétaire général de la CGT Chimie, leurs effectifs sont loin d’être suffisants.
Surtout, le syndicaliste pointe les risques liés à la sous-traitance. Le problème a déjà été identifié et dénoncé par de nombreux acteurs pour les installations nucléaires, il serait tout aussi criant pour les sites classés Seveso : «Dans certaines entreprises, 80% des salariés relèvent de la sous-traitance», dénonce Moreira, parlant d’une «externalisation des risques». Il s’interroge : «Que faire avec des salariés qui ne connaissent pas les normes ?»