libertes.blog.lemonde / vendredi 9 mai 2014
La géolocalisation d’un suspect, c’est-à-dire la possibilité de savoir en temps réel où il est, d’où il vient et où il va, est désormais parfaitement encadrée par la loi. Elle ne remplace pas les bonnes vieilles filatures, mais démultiplie les moyens des policiers, qui en font grand usage. Personne ne sait exactement jusqu’à quel point : on peut mesurer précisément les demandes de géolocalisation des magistrats, principalement sur les téléphones, pas les pratiques : la géolocalisation par balise, dans la plupart des cas un mouchard placé sous une voiture, « n’apparaît qu’exceptionnellement en procédure », reconnaît la chancellerie.
Les demandes de réquisition des magistrats, quelques milliers en 2009, ont un certain succès : 19 650 de janvier à octobre 2013, pour un coût de 10 millions, soit 30% de plus qu’en 2012 – elles avaient déjà augmenté de 30% en 2011. Pour les balises, les estimations tournent autour de 5 500 chaque année. La durée moyenne des demandes de géolocalisation est estimée à vingt-cinq jours.
La Cour de cassation avait jeté un froid le 22 octobre 2013 en considérant la géolocalisation d’un portable comme « une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge ». Les magistrats du parquet, au regard du droit européen, n’étant pas des juges – ce que les intéressés et le Conseil constitutionnel ont du mal à admettre – les procureurs, qui ordonnent 70% des réquisitions, se sont vus du jour au lendemain interdits de géolocalisation. Le gouvernement a ainsi fait adopter le 28 mars une loi qui encadre ces pratiques. Pour sécuriser les procédures, pas forcément rassurer les citoyens.
Être suivi en temps réel
On peut en effet géolocaliser presque tout. Les téléphones et voitures des suspects bien sûr, mais pas seulement : une circulaire du ministère de la justice confirme qu’il est possible de géolocaliser « tout individu (environnement familial ou amical du suspect notamment) dès lors que les nécessités de l’enquête l’exigent ». Si votre fils, votre voisin ou votre collègue de bureau s’est égaré dans un trafic de stupéfiants, vous pouvez être suivi en temps réel par la police.
Pour qu’un juge d’instruction ou un procureur ait le droit d’ordonner une géolocalisation, il faut que l’infraction soit punie d’au moins cinq ans de prison, c’est-à-dire tous les crimes, mais aussi beaucoup de délits. Il existe même une longue liste d’infractions, punis d’un maximum de trois ans d’emprisonnement, qui l’autorise : violence sur mineur, sur ascendant, conjoint, pompier, enseignant ou gardien d’immeuble. C’est aussi le cas des escroqueries, menaces de morts, dégradations lourdes, incendies de forêt, défaut de secours à personne en péril ou diffusion d’images de violence et même exploitation de vendeurs à la sauvette.
La mesure est certes encadrée : le procureur ne peut ordonner une géolocalisation que pour quinze jours, il doit ensuite demander le feu vert d’un juge des libertés et de la détention (JLD). Un juge d’instruction peut la décider pour quatre mois, renouvelables sans limitation de durée. Il s’agit la plupart du temps de surveiller un téléphone, une tablette ou une voiture avec GPS. Mais les objets susceptibles d’être géolocalisés « n’étant pas limitativement énumérés, explique la chancellerie, il convient donc de considérer que tout objet peut l’être ». Les conteneurs, les valises voire les sacs suspects de pommes de terre.
La balise ou le cercueil
Il faut pour cela poser une balise. Il est donc possible « de s’introduire dans un espace privé, sans le consentement et en l’absence de l’occupation des lieux » – interdit en revanche d’en profiter pour une discrète perquisition. La police a ainsi le droit d’entrer clandestinement, de jour comme de nuit, dans un entrepôt, un garage ou un parking souterrain, s’il a l’autorisation du propriétaire des lieux (il est possible d’obtenir une autorisation permanente d’accès aux parties communes). Poser une balise sous une voiture dans la rue ne présente pas de difficulté, il est même permis de s’introduire dans l’habitacle si nécessaire.
On peut aussi pénétrer discrètement dans des locaux d’une entreprise, d’une banque ou d’une administration – sauf ceux qui sont couverts par le secret de la défense nationale ou le secret professionnel, comme les cabinets et domiciles des avocats, magistrats, parlementaires ou journalistes, et les seuls cabinets des médecins, notaires et huissiers.
Pénétrer clandestinement un domicile est évidemment plus encadré – pour poser une balise dans une valise, par exemple. Le juge d’instruction peut l’autoriser entre 6 heures et 21 heures. La nuit, il lui faut l’autorisation d’un juge des libertés. Le procureur devra dans tous les cas faire appel à ce JLD. Mais il y a parfois urgence : un policier peut d’autorité entrer dans un lieu privé (mais pas un domicile) et régulariser la situation dans les vingt-quatre heures auprès d’un magistrat.