Lucioles / février 2012
Il faut croire que quelque chose les préoccupe, eux les garants de cette société putride. Depuis un moment, le béton qui coule à foison un peu partout a le mérite d’envoyer des signaux assez clairs sur les stratégies du pouvoir à l’œuvre. C’était le cas avec le nouveau super-ministère-de-la-guerre, ça l’était également avec le nouveau super-palais-de-justice, avec le super-plan-25 000-places-de-prison-supplémentaires, et avec le super-plan-1300 caméras…ça l’est encore avec cette nouvelle cellule cancéreuse qui vient de voir le jour : un nouveau super-QG-pour-les-gendarmes pour mieux nous en super-foutre-dans-la-gueule. Et on ne parle même pas ici de tout l’arsenal de lois votées pour renforcer le contrôle social, auquel toutes ces infrastructures ne sont qu’un accompagnement matériel et pratique.
Allez, faisons les présentations, même si certains personnages et leurs rôles nauséeux commencent à être connus: bon, à la pelleteuse et à la grue (en attendant la lanterne?) on retrouve, suspense…Eiffage, ou plus précisément sa filiale Eiffigen, assistée à la construction par la boîte Arte Charpentier Architectes. Alors que le commandement de ces pauvres pandores se trouvait entassé dans un modeste immeuble de la rue Saint-Didier dans le XVIe arrondissement, et éparpillé dans une multitude de poulaillers (Malakoff, Plessis-Robinson, Rosny-sous-Bois, Arcueil), voilà que ces matraqueurs assermentés vont pouvoir échafauder les détails de leur basse besogne depuis un seul et même quarter-général grand de 22 000 m2, situé juste à côté du Fort d’Issy-les-Moulineaux. Fort dont la construction avait été lancée par cette canaille patentée d’Adolphe Thiers, et où se déroulèrent en avril-mai 1871 de furieux combats entre les Versaillais et les combattants de la Commune de Paris. C’est notamment depuis ces nombreux forts périphériques que la ville insurgée se fera bombarder, en représailles de quoi la villa particulière de Thiers sera rasée au sol par les communards. Pour l’anecdote, c’est aussi sur ce site que se situait jusqu’à présent le bastion de la Direction Générale de l’Armement…Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos bergers à képi.
Au 1er février, ce sont donc 1300 gendarmes qui vont poser leur barda dans ce lieu symbolique, tous affectés à la direction générale d’une armée qui compte quelques 97 000 mercenaires, tandis que le directeur général restera dans ses bureaux situés au ministère de l’intérieur. Et une porte-parole de cette bande d’assassins de claironner, pas peu fière: «Le quartier du fort deviendra ainsi un des endroits les plus sûrs d’Île-de-France».
Outre les effets d’annonce, il s’agit d’une part de rassurer chaque petit soldat dont l’ensemble constitue le bras armé du pouvoir («voyez comme l’Etat s’occupe bien de vous, chers agents»), d’autre part de draguer une partie de la population encline à préférer la misère d’un taf de merde à celle du chômage (la gendarmerie recrute ainsi 10 000 agents pour 2012), et enfin de distribuer quelques bénéfices au secteur de la construction. Cette dernière place-forte sortant de terre constitue aussi une pierre de plus dans le vaste édifice répressif (que cette répression vise «l’ennemi étranger» ou «l’ennemi intérieur»), qui comme tout mécanisme a besoin de se renouveler et de fonctionner pour ne pas rouiller et continuer à s’engraisser.
Alors il faut bien comprendre ce slogan servi par les architectes du bunker :«Cette conception derrière sa façade futuriste symbolise la volonté de conjuguer le passé et la modernité» . Traduction : la perpétuation du vieux monde qui n’est que domination, se conjugue au présent, et avec des accents toujours aussi guerriers. Prenons-en acte.