Athènes (Grèce) : Une gauche qui porte l’État dans son cœur

Freedom [traduction reçue par mail] / mardi 18 novembre 2025

Une attaque maoïste sur des anarchistes à Athènes a démontré une culture politique formée par des habitudes patriarcales de commandement.

Des milliers de personnes ont prit la rue à travers la Grèce le 17 novembre, en mémoire de cell.eux tué.es pendant le soulèvement de 1973 à Polytechnique, quand des étudiant.es ont été abattu.es alors qu’iels se levaient contre la dictature des colonels. A Athènes, plus de 6000 flics anti-émeutes étaient déployés contre la manifestation et le rassemblement à l’extérieur de l’ambassade des États-Unis, avec des véhicules blindés fermant la marche afin de décourager une participation nombreuse.

Plus tôt, au matin du 15 novembre, autour de 150 membres du groupe maoïste ARAS sont descendus sur le campus de Polytechnique à Exarcheia pendant les préparations pour les commémorations annuelles de la révolte de 1973. Ils ont entouré un petit groupe d’étudiant.es anarchistes et anti-autoritaires, on lancé une attaque coordonnée et répétée, et ont en laissé plus d’une douzaine hospitalisé.es avec des commotions cérébrales, des os brisés, et des blessures graves à la tête – incluant des personnes inconscientes tabassé.es. Les attaquants ont opéré derrière un cordon humain serré, les portails du campus étaient verrouillés, et des centaines d’autres organisations de gauche présentes étaient incapables d’intervenir. L’événement a été condamné publiquement par la majorité des organisations gauchistes et anarchistes de Grèce.

Loin d’être juste une autre escarmouche entre gauchistes, l’attaque était un essai stratégique de prendre du territoire. Qui tient l’espace physique de Polytechnique ne gère pas juste un campus ; ielles prétendent aux narratifs de son histoire, et avec ça, au futur horizon de la lutte sociale. ARAS a passé des années à imposer sa domination dans des sections du mouvement étudiant de l’université, reproduisant une posture autoritaire similaire à la position hégémonique du Parti communiste grec (KKE) dans le champ socio-politique plus large : l’insistance sur le contrôle organisationnel, le poliçage des dissidents, et la vieille rengaine – adoptée par le KKE et les libéraux – que les émeutier.es sont des “briseur.euses d’unité” ou des flics infiltrés.

L’attaque appartient à un plus long cycle de désillusions, répression et déclin politique. Une génération a mûri après la révolte des jeunes de 2008 – un moment qui a terrifié la classe politique – seulement pour voir le déroulement de la longue désillusion des années SYRIZA : la disparition de l’espoir, l’énergie du mouvement trahie, et “la gauche gouvernementale” se réduisant à de la gestion technocratique. Ce qui a suivi a été le retour triomphant de la droite, armée avec un TINA violemment appliqué [NdT : “there is no alternative”, phrase initialement prononcée par Margaret Tatcher au Royaume Uni imposant le néolibéralisme] et une posture contre-insurrectionelle visant précisément les mouvements qui ont secoué le pays en 2008 et durant les années des mémorandums. Au cours des dernières années, les autorités policières ont de plus en plus attaqué les squats politiques – incluant l’intérieur des campus universitaires, avec la coopération de l’administration académique.

Dans ce climat, les schémas patriarcaux et autoritaires se sont renforcés pas seulement depuis le haut mais aussi à l’intérieur du champ politique, avec les ruines de la gauche agissant comme des tampons et comme contre-insurrection interne, absorbant la colère et bloquant l’émergence d’alternatives sincèrement autonomes et sociales. L’attaque d’ARAS était une reconstitution de cette plus large tendance : l’internalisation de la logique étatique par une formation de gauche désespérément en quête de reconnaissance et de pouvoir. Essayer de sécuriser sa crédibilité et sa survie organisationnelle dans un panorama modifié par l’asphyxie lente de mouvements a culminé dans une rupture grotesque avec l’esprit de Polytechnique – un spectacle autoritaire qui a mimé les mêmes forces que cet anniversaire est supposé défier. Les mouvements ont beaucoup à craindre quand des acteurs légitiment ces formations au nom de “l’unité” ce qui les aide à obtenir plus de légitimité.

Mais encore, la brutalité de l’attaque a révélé plus qu’une embuscade sectaire et autoritaire ; elle a démontré une culture politique formée par des habitudes patriarcales de commandement – qui suppurent à travers des parties de la gauche grecque (et du plus large spectre politique) – et maintenant encouragée sous un gouvernement qui fétichise la discipline, la punition et l’obéissance.

Depuis des décennies, Polytechnique a été maintenue ouverte par celle.ux qui rejettent ces narratifs d’ordre et d’inévitabilité. Très peu des courants politiques présentes ont jamais été “non-violents” dans le sens moraliste poussé par les gouvernements et les libéraux. Ielles ont défendu les occupations, ont confronté la police, bloqué des mines, et ont construit des infrastructures de soin sous le feu. Leur militance est collective et enracinée dans la protection mutuelle. La violence d’ARAS était l’opposé : domination autoritaire se faisant passer pour discipline, une mascarade de contrôle affligée de patriarcat se faisant passer pour une lutte sociale.

Cette distinction est essentielle. Les formations politiques qui reproduisent les structures de commandement hiérarchiques et patriarcales ne font pas simplement écho à la violence étatique – ils la légitiment. Quand une secte dirigée par un gars déferle dans Polytechnique comme une police privée anti-émeute, cela fonctionne comme l’extension officieuse de la répression que le gouvernement a augmenté depuis des années en asphyxiant les espaces du mouvement et en étendant les pouvoirs de la police sous la bannière de l’inévitabilité. Dans ce contexte, l’attaque d’ARAS se lit mois comme une folie sectaire que comme une version amateur grotesque du narratif de l’état : “l’ordre doit être restauré ; les alternatives écrasées”. Un écho violent du TINA auquel ils prétendent s’opposer.

Si les mouvements veulent survivre cette phase autoritaire – la criminalisation des dissidents, la mascarade du “bon manifestant / mauvais manifestant” , le poliçage des politiques de la jeunesse – ielles doivent confronter ce qui a permis cette attaque. Pas à travers des vengeances ou des purges, qui recycle seulement le même circuit autoritaire [NdT : pas forcément, les vengeances peuvent être un besoin], mais en refusant de tolérer à l’intérieur de nos espaces les hiérarchies, les masculinités [NdT :  masculinités trans et cis ne sont pas la même chose], et les habitudes de commandements qui rendent une telle violence possible. La justice transformatrice n’est pas une douce alternative à la militance ; c’est le seul chemin par laquelle la militance reste enracinée dans la libération plutôt que de glisser dans la logique de la domination.

La révolte de Polytechnique reste puissante car elle rejette la hiérarchie, le contrôle patriarcal, et la logique d’inévitabilité. C’était bordélique, pluriel et contradictoire – et donc sincèrement insurgée. Ce qui s’est passé cette année était une profanation de la mémoire par des gens reproduisant de manière assumée la logique de l’État encore plus que sa propre police. Maintenant notre tâche n’est pas seulement de défendre nos espaces de la répression extérieure, mais de défendre nos cultures politiques du pourrissement interne. Aucun mouvement qui échoue à déraciner l’autoritarisme – qu’il soit porté par l’état ou des imitateurs – ne peut construire le monde qu’iel dit se battre pour.

Blade Runner

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