Un entretien avec les compas d’Anarchy Today

A2day / mars 2025

[…]
Si vous voulez vous présenter – sinon pas de problème.

Quelques mots à propos de nous. A2day est un collectif très petit. Nous faisons ce site ensemble, mais en même temps chacun.e d’entre nous est impliqué.e dans la lutte anarchiste dans le lieu où elle/il se trouve actuellement. Il y a un accord qui dit que nous travaillons sur ce site de manière anonyme, personne ne peut affirmer qu’il ou elle en est un.e rédacteur.trice.

 

Tout d’abord, que pouvez-vous nous dire sur la situation sociale et politique des trois pays anciennement soviétiques parfois connus sous le nom « BUR » [Bélarus, Ukraine, Russie ; NdAtt.] ? Si vous vous sentez à l’aise pour parler des trois […] D’ailleurs, pensez-vous qu’il est utile de parler de BUR comme de quelque chose qui a une sorte d’unité ?

Chacun.e d’entre nous a été actif.ve dans les trois pays et nous pouvons dire que le territoire de la région BUR, malgré toutes les différences, a beaucoup en commun. Il est très important de dire qu’il a été possible de voyager entre nos pays sans visa, les anarchistes des pays de la BUR étaient en contact étroit les un.es avec les autres (depuis la fin des années 1980), elles/ils voyageaient chez les un.es et les autres pour des actions, ainsi que pour des rassemblements et des tournois sportifs. Pour que vous compreniez bien, la définition de notre région en tant que BUR est une sorte de jeu de mots, parce que dans les colonies pénitentiaires un « bur » est un quartier de haute sécurité, en d’autres termes, une prison dans une prison. Notre BUR est une prison en Europe. L’héritage soviétique, y compris les traditions politiques du régime totalitaire, a laissé une forte empreinte sur les sociétés de ces pays.

En même temps, le Bélarus est resté le pays le plus « soviétique », tandis qu’en Ukraine il était plus facile de se cacher et de mener des activités illégales. Le capitalisme sauvage y régnait, la police acceptait volontiers des pots-de-vin, il était facile d’acheter des armes et pas un.e seul.e anarchiste n’y a été emprisonné.e pour des raisons politiques depuis le début des années 2000 et aucun.e n’y est emprisonné.e en ce moment. Pour être exact, il faut ajouter qu’en 2018 le célèbre anarchiste biélorusse Aleksandr Frantskevich a été expulsé d’Ukraine et il est en ce moment en train de purger une lourde peine au Bélarus. En 2021, les autorités ont tenté d’expulser d’Ukraine l’anarchiste Aleksei Bolenkov, mais il a gagné son procès, avec l’aide de groupes de défense des droits humains et du battage médiatique.

 

Quels sont les liens qui persistent entre ces trois pays, plus de trente ans après la fin de ce cauchemar qu’était l’URSS ? En fait, les chemins pris par ces trois pays semblent, depuis l’Europe occidentale, assez différents. Même avant 2022, la Russie était un très grand pays, mais avec une économie en rapide désindustrialisation, se réédifiant sur l’exploitation des ressources naturelles, avec un gouvernement de plus en plus autoritaire. L’Ukraine était une sorte de « nouveau » pays, avec une démocratie vacillante, qui semblait, après Maïdan, avoir choisi la voie de l’Occident. Le Bélarus semble être une dictature inébranlable, du type des républiques populaires, même si les protestations de 2020-2021 ont essayé de contester cela.

La plupart des familles ont des parents dans d’autres pays de la région BUR, la langue russe est bien connue dans les trois pays et il n’est pas difficile pour une personne dont la langue maternelle est le russe d’apprendre à comprendre le biélorusse et l’ukrainien. Jusqu’au début de la guerre, de nombreux.ses Ukrainien.nes et Biélorusses allaient en Russie pour travailler, les Biélorusses le font encore. Les capitaux (que ce soit ceux des États ou des oligarques) circulaient librement aussi. Et même maintenant, le commerce entre ces pays continue ! Nous écoutions les mêmes groupes de musique, nous regardions les mêmes films. Le Président de l’Ukraine, un comédien professionnel, a joué dans des films et des spectacles russes. En fait, il y a bien plus de connexions et de fils imperceptibles que ce que l’on pourrait croire à première vue. Les racines remontent à l’URSS ; après son effondrement, les gens se sont retrouvé.es de différents côtés des frontières. Par exemple, de nombreux politiciens et agents des forces de l’ordre du Bélarus et d’Ukraine ont obtenu leurs diplômes dans des universités russes et ont des liens avec Moscou. Comme c’est le cas pour Loukachenko, Poutine ou Ianoukovytch*, qui sont porteurs de valeurs soviétiques. C’est l’une des raisons des protestations dans ces pays : le désir de se libérer des chaînes de Moscou et de l’héritage soviétique. La nouvelle génération, bien qu’elle ait grandi dans un environnement différent, avait toujours des codes culturels similaires, dans toute la région BUR.

Oui, l’Ukraine a essayé de se détacher du « monde russe » et de se rapprocher de l’Europe, mais elle n’a pas tenu compte du fait que 1) il y avait beaucoup de partisans de la Fédération de Russie à l’intérieur du pays, ce qui a aidé la Russie à déclencher une guerre et à s’emparer d’une partie des territoires ukrainiens (même maintenant, il y a un segment pro-russe dans la société ukrainienne) et 2) la Russie est un empire et elle ne cédera jamais ce qu’elle considère comme lui appartenant.
Le Bélarus est, depuis trente ans, sur la voie de la russification et du rapprochement avec le Kremlin. Beaucoup de Biélorusses se sont longtemps vu.es, eux/elles-mêmes et leur pays, comme une partie de la Russie, avec laquelle, d’ailleurs, il n’y a toujours pas de frontières étatiques (comme au sein de l’UE) ; avant la guerre, il n’y en avait pas non plus avec l’Ukraine. Le récit post-soviétique d’une « triple nation », « Russie-Ukraine-Bélarus », qui est activement soutenu par les autorités et les historiens pro-gouvernementaux de la République du Bélarus et de la Fédération de Russie, ainsi que par certains partis ukrainiens, était aussi important pour les générations plus âgées. Les éventements de 2013-2014, de 2020 et de 202[2] ont accéléré les changements dans ce paradigme.

 

Après 2022 et l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, la situation semble encore plus polarisée – mais elle pourrait aussi être plus claire. Comment la guerre a-t-elle changé la situation des populations dans les trois pays ?

C’est une question assez complexe, à laquelle il est difficile de répondre brièvement. On peut dire que la date du 24 février2022 a complètement changé la vie dans la région.

Ukraine. Des millions d’Ukrainien.nes ont été obligé.es de quitter le pays, des centaines de milliers ont été tué.es, mutilé.es, privé.es de leurs maisons, des milliers sont prisonnier.es de la Russie ou sous occupation. Celles/ceux qui restent vivent avec le sentiment constant que, à tout moment, il peut y avoir une alerte aérienne et ils/elles pourraient être tué.es par des missiles russes. Les hommes ne sont pas seulement enrôlés dans l’armée, les agents de recrutement de l’armée attrapent des gens dans les rues et les lieux de travail et les envoient à l’abattoir. L’économie est dans un état déplorable, les prix augmentent constamment, il y a des réformes antisociales, avec la corruption à un niveau sans précédent – l’armée en est saturée (et cela en temps de guerre !). Ce qui est intéressant, c’est qu’officiellement l’Ukraine n’est pas en état de guerre, mais seulement sous la loi martiale, même si de tous les côtés les politiciens et les médias crient à propos de la guerre. C’est une politique de deux poids deux mesures ou, plus simplement, de l’hypocrisie. Le pouvoir est pratiquement usurpé par Volodymyr Zelensky et son entourage, qui ne comptent sur personne d’autre. L’État ukrainien fait tout pour que le public le déteste encore plus. Et les gens en ont vraiment assez de la guerre et de la corruption incurable, surtout en regardant les enfants des oligarques et des détenteurs du pouvoir passer leurs vacances dans des hôtel suisses ou circuler à Kiev dans des Lexus. Et cela à un moment où le monde entier collecte de l’argent pour les forces armées ukrainiennes. De plus, la question du nationalisme est devenue tendue. La guerre alimente toujours des sentiments chauvins et l’Ukraine n’est pas une exception.

La haine de tout ce qui est russe/soviétique (souvent aussi de tout ce qui est biélorusse), non seulement au niveau quotidien, des personnes ordinaires (soulignons le fait que des nombreux.ses Ukrainien.nes sont brusquement passé.es à la langue ukrainienne), mais aussi au niveau de la politique d’État, y compris la politique historique, ne fait qu’ancrer le nationalisme. Au lieu de réaliser des réformes sociales, l’État détourne l’attention des Ukrainien.nes vers un patriotisme emphatique et d’autres choses secondaires. Dans cette époque, les garanties économiques et sociales sont bien plus importantes que l’usage forcé de la langue ukrainienne et la démolition des monuments en hommage à Pouchkine. Il vaut la peine de rappeler que de nombreux.ses combattant.es ukrainien.nes, au front, n’ont aucun problème avec la langue russe, contrairement à ceux/celles qui se trouvent à l’arrière, relativement au calme, et surtout à l’étranger. La montée des idées radicales de droite, des millions de destins mutilés, le traumatisme mental de la guerre, la dépendance économique croissante face à l’Occident, la catastrophe écologique du pays – cela prendra des décennies à l’Ukraine, après la guerre, pour se remettre de sa crise démographique, économique et politique. La guerre a effectivement élargi le fossé entre les peuples russe (et biélorusse) et ukrainien. Ce traumatisme ne sera pas facile à guérir pour les générations futures.

Russie. L’économie et la propagande sont orientées vers la guerre. « Tout pour le front ! Tout pour la victoire ! » (comme à l’époque soviétique). Mais, économiquement, la Russie est encore forte, malgré les sanctions. Des dizaines de milliers d’émigrant.es, des milliers d’affaires pénales pour des manifestations contre la guerre (qu’elles soient radicales ou pacifiques). Une société fracturée. Beaucoup de criminels, dans la guerre, qui commettent régulièrement des meurtres, des vols et des violences après leur retour. L’État les pardonne. Ceux qui ont été à la guerre sont autorisés à tout faire – leurs péchés sont expiés par le sang. Ce ne sont pas des cas isolés, mais un processus constant. La même croissance du chauvinisme et de la haine de tout ce qui est « occidental » et ukrainien, jusqu’aux couleurs jaune et bleu. La guerre a conduit à une renaissance de la violence d’extrême droite dans les rues. Les dénonciations d’autrui, comme à l’époque stalinienne, sont devenues une pratique courante. On instille chez les gens le sentiment qu’il y a une guerre constante entre le bon « monde russe » et l’Occident pourri. Malheureusement, une grande partie de la société professe l’impérialisme et croit dans la mission, propre à la la Russie, de garantir la stabilité dans le monde. Pour être clair.es : nous nous rendons compte du caractère pernicieux de l’impérialisme occidental et ne le nions pas, mais il faut comprendre que la région BUR a été dans les chaînes de l’impérialisme russe pendant des siècles. Ce n’est pas seulement à cause de Poutine, et même pas tellement à cause de Poutine. C’est un problème de toute la société, plus profond et enraciné non seulement dans la politique, mais aussi dans l’histoire, la culture et la religion.

Bélarus. Pays allié et vassal de la Russie. Les vagues de répression violente y ont commencé en 2020, pendant la révolution biélorusse avortée. Jusqu’à un million de personnes ont été obligées de quitter le pays. Depuis soixante ans, la diaspora biélorusse s’est engagée avec succès dans le développement culturel et le commerce. Dans un pays d’environ neuf millions d’habitant.es – dont environ 1 500 prisonnier.es politiques – on assiste à la plus grande crise démographique des soixante dernières années.

Il y a une absence totale de liberté d’expression et de réunion, aucun média indépendant, aucune ONG, pas de syndicats. Les vagues de répression continuent, tant pour des déclarations politiques que pour des déclarations ordinaires, en opposition à la guerre ou en soutien à l’Ukraine, pour des commentaires et des publications sur Internet. Alexandre Loukachenko, qui est au pouvoir depuis près de 31 ans, s’est fait une réputation, dans la région BUR, de dirigeant qui s’est attaqué à la corruption et au crime organisé et qui a fait du Bélarus un pays propre et prospère, avec des soins médicaux et une éducation gratuits. Beaucoup de personnes, dans l’espace post-soviétique, ont cru à cette image, qui ne correspond pas à la réalité. Jusqu’en février 2022, les Ukrainien.nes, qui, soit dit en passant, s’intéressaient peu à la situation politique intérieure du Bélarus, y croyaient aussi. Heureusement, la guerre leur a ouvert les yeux sur beaucoup de choses. Dans ce pays, le pouvoir des forces de l’ordre est pratiquement illimité. Il y a partout (même dans les écoles et les crèches) de la propagande sur le « Bélarus pacifique » et des critiques envers l’Ukraine et l’Occident, qui auraient déclenché la guerre. Les Biélorusses ne sont pas contre l’Ukraine et ne veulent pas participer à la guerre, mais la société est divisée aussi. La guerre a aggravé la situation économique, mais la Russie nourrit [le Bélarus] avec des prêts et des marchés pour ses produits. Le vieux dictateur essaye de remuer et de faire de l’humour, mais, très probablement, il comprend qu’après sa mort le pays subira peut-être de grands changements. Nous voyons deux scénarios : sous la pression du Kremlin, Minsk deviendra encore plus subordonné à la Russie, en perdant ce qui lui reste d’indépendance, ou alors il y aura des manifestations, un changement de pouvoir, un nettoyage et un rapprochement avec l’Occident. La seconde option est plus souhaitable, pour nous, car il y aura sans doute des opportunités pour les anarchistes : reprendre des territoires autonomes, promouvoir les idées d’auto-organisation, de démocratie directe et en général l’agenda libertaire.

 

Et à propos du (des) mouvement(s) anarchistes(s) ? Comment décririez-vous les mouvements anarchistes dans les trois pays, avant l’invasion à grande échelle ? Quels étaient les liens entre les compas des trois pays ? Si vous deviez trouver des aspects qui différencient le(s) mouvement(s) anarchiste(s) dans la région BUR de ceux de l’Occident, sur quoi mettriez-vous l’accent ?

Une autre question sur laquelle on pourrait écrire un livre. Dans aucun des États de la région BUR, au XXIe siècle, l’anarchisme n’a joué un rôle socio-politique important, comme il avait pu le faire à plusieurs reprises au XXe siècle. Le développement du mouvement anarchiste dans la BUR a été entravé, entre autres, par l’héritage soviétique. La gauche était associée aux partis communistes, perçus comme idéologiquement en faillite par les sociétés de ces pays. À ce jour, les anarchistes sont étiqueté.es (surtout par la droite) comme des « gauchistes », des « rouges » et des « communistes », c’est-à-dire les héritier.es du totalitarisme. En outre, nous soulignerons les points suivants :
1. L’absence de mouvements de masse, de contacts forts et permanents, non liés à une situation donnée, avec la société (mouvements de protestation, travailleur.euses, étudiant.es, etc.). S’il y a un conflit social quelque part, les anarchistes viennent soutenir les manifestant.es, mais ils/elles arrivent très rarement à être proactif.ves et à proposer leur agenda aux gens.
2. La rupture des traditions et l’absence de continuité entre les néophytes du mouvement et les vétéran.es plus expérimenté.es. Chaque nouvelle génération répète les erreurs du passé.
3. Bien qu’un système politique plus rigide engendre une résistance plus radicale, l’insurrection dans la BUR a, jusqu’à présent, été sociale (soutien aux mouvements de protestation plutôt que des actes individuels de terrorisme néo-nihiliste) et de nature relativement « humanitaire ». Il n’y a eu aucune atteinte, de la part d’anarchistes, à la vie de politiciens, d’oligarques, de radicaux de droite ou de membres des forces de sécurité. La vie est une valeur énorme pour nous. Cela ne signifie pas que ça va continuer comme ça – les choses peuvent changer radicalement, dans des situations critiques.
4. La région BUR n’a pas une tradition de mouvement syndical fort, comme en Occident ou même dans la Pologne voisine.
5. Le seuil de la contre-culture (sous-cultures, lifestyle anarchism, etc.) a été franchi relativement récemment (à la fin des années 2000), pas complètement et pas par tout le monde.
6. Toujours à la traîne de l’anarchisme occidental. Le fait d’emprunter des idées à la mode et « modernes », l’absence de bases théoriques, un accès restreint aux travaux des théoriciens occidentaux.
7. Des conflits internes (personnels et idéologiques), au sein du mouvement, dans chaque pays.

Les liens et les contacts entre les anarchistes de la BUR étaient insuffisants pour présenter un front uni contre l’impérialisme russe et l’agression militaire contre l’Ukraine. Une partie des anarchistes russes n’a pas compris les agendas biélorusse et ukrainien, en étant soit droguée par des idées impérialistes (l’OTAN est mauvaise, l’Ukraine veut rejoindre l’OTAN, par conséquent elle est mauvaise aussi) et rouges (l’Occident est mauvais, les républiques populaires de Lougansk et de Donetsk contre les oligarques ukrainiens et pour les travailleur.euses, l’antifascisme russe contre les partisans de Stepan Bandera [fasciste ukrainien ayant collaboré avec l’Allemagne nazie ; NdAtt.], etc.) soit par des « idées révolutionnaires pures » (Russie=Ukraine, dans les deux pays le capitalisme et les oligarques oppriment le prolétariat, donc nous ne soutenons personne). Le résultat est une scission dans le mouvement et sa marginalisation. Il faut souligner que la « révolution de la dignité » [plus connue en France comme révolution de Maïdan ; NdAtt.] en Ukraine a déjà marqué une scission dans le mouvement et exposé les contradictions liées à la vision et à la compréhension de la théorie, de la pratique et des tactiques de l’anarchisme. La guerre à grande échelle a continué cette tendance.

Si nous parlons des quinze dernières années, nous devons noter quelques points. Il y avait des contacts assez étroits parmi les personnes proches de l’anarchisme insurrectionnel dans la BUR. Un coup dur a été porté au mouvement avec l’affaire « Réseau »** et après les événements au Bélarus en 2020. Pour des raisons évidentes, nous ne pouvons pas donner plus de détails.

Bélarus. Dans la Fédération de Russie, il y avait des projets anarchistes conjoints menés par des compas, auxquels des personnes du Bélarus participaient, par exemple la coopérative éditoriale Radical Theory and Practice. Il y avait de nombreux liens et contacts personnels. Par exemple, les partisans anarchistes biélorusses Igor Olinevich et Dzmitry Dubouski, qui sont en train de purger des peines de vingt ans au Bélarus, se sont cachés en Russie en 2010, pour échapper aux persécutions des autorités biélorusses. Revolutionary Action (appelé jusqu’en avril 2010 Autonomous Action – Belarus) avait ses structures autonomes en Ukraine. Des camps d’entraînement organisés par le RKAS*** ont attiré des anarchistes de toute la région BUR. Des anarchistes de toute la BUR ont participé à l’Euromaïdan. Des anarchistes russes ont participé aux manifestations contre le décret sur les « parasites sociaux » [les personnes travaillant moins de six mois par an, soumises à une taxe spéciale ; NdAtt.], en 2017, et à l’insurrection biélorusse de 2020. Une curiosité : on peut noter qu’en Ukraine, il existait un parti politique (!) appelé Union des anarchistes d’Ukraine. Mais soulignons que cette organisation très particulière s’est toujours tenue à l’écart du mouvement anarchiste ukrainien. Des amitiés et des agendas politiques similaires influençaient des actions de solidarité régulières dans chacun de ces pays. Il vaut aussi la peine de mentionner les liens étroits entre les antifascistes et les sous-cultures proches de l’anarchisme. Tout cela est dit rapidement.

 

À mon avis, les deux épisodes spéciaux qui pourraient marquer cette génération de compas anarchistes sont le soulèvement biélorusse de 2020-2021 et, bien sûr, la résistance contre l’invasion de l’Ukraine par Poutine. Êtes-vous d’accord ? Comment décririez-vous l’implication anarchiste dans le soulèvement biélorusse de 2020-2021 ?

Déjà, il nous semble que le premier événement marquant a été l’Euromaïdan (sans compter les révoltes en Grèce en 2008 ou les actions à Khimki en 2010). C’est à cette occasion que les anarchistes de la région BUR ont eu la possibilité de participer directement à la révolution. Et les libertaires ont fait cette tentative. Même s’il n’a pas été possible de créer une centurie noire anarchiste militante, à Kiev, le fait que les anarchistes aient participé à la révolution aux côtés de la société ukrainienne reste un fait. Cela a été une expérience grandiose, qui a non seulement influencé le développement de l’insurrection dans la BUR, mais a aussi soulevé de sérieuses questions théoriques et tactiques pour le mouvement.

En ce qui concerne le soulèvement au Bélarus en 2020, celui-ci a certainement été un événement important, avant tout pour le mouvement anarchiste biélorusse. Une sorte de répétition en a été la participation remarquable des anarchistes biélorusses aux manifestations de masse des « non-parasites », en 2017. Il s’agissait de manifestations contre l’introduction de taxes pour les chômeur.euses (la loi dite « contre les parasites sociaux »). Surtout à Brest et à Minsk.

À la veille des élections, les anarchistes n’avaient aucune illusion sur le fait que Loukachenko ne renoncerait jamais au pouvoir et réprimerait durement les manifestations. Par conséquent, ils/elles n’ont pas non plus fait confiance à l’opposition politique, avec son programme de changement pacifique du pouvoir et de manifestations non violentes. Si tout avait été si simple, il n’y aurait pas eu besoin d’un soulèvement, que les gens ont décidé de faire par eux/elles-mêmes, sans aucune influence de la part des anarchistes. Des barricades ont été dressées et des affrontements violents avec la police anti-émeute ont été menés spontanément dans plusieurs villes. Et c’est bien. Même s’il faut noter que c’est grâce aux suggestions des anarchistes que les gens ont commencé à pratiquer activement la technique de former des chaînes en manifestation. Notons aussi que les anarchistes ont écrit à propos de la décentralisation et de la diffusion des manifestations dans la période précédant les élections, en critiquant le concept de « Ploshchy » (un rassemblement massif de manifestant.es dans le centre de Minsk, dirigé par les dirigeants de l’opposition).

Cela va sans dire que les libertaires ont participé ouvertement aux manifestations et aux défilés ; il serait insensé de rester à l’écart quand la société descend dans la rue et affirme sa subjectivité. Les anarchistes ont essayé de rejoindre le mouvement étudiant, un petit nombre d’anarcha-féministes ont exprimé un agenda libertaire et les anarchistes ont été particulièrement visibles dans leur participation au « mouvement des cours d’immeuble » [voir ici ; NdAtt.]. Cette initiative venant d’en bas, sous le slogan « Tout le pouvoir aux cours d’immeubles ! », était un exemple d’auto-organisation unique de la société biélorusse, basée sur la démocratie directe. Il y a eu des tentatives d’imprimer des tracts adressés aux travailleur.euses, pour organiser des initiatives. En un mot, les anarchistes sont devenu.es une force notable lors des protestations, mais n’ont pas pu influencer le cours des événements. Leur petit nombre en était la raison, ainsi que le déclin progressif de l’enthousiasme protestataire dans la société et la répression croissante.

Insurrection. Avant 2020, des actions directes avaient déjà eu lieu au Bélarus ; des cocktails Molotov avaient été lancés contre l’ambassade de Russie, des banques, des casinos et des institutions étatiques, comme une maison d’arrêt ou un bureau des impôts. Mais l’épisode le plus frappant a été l’incursion des partisans anarchistes (Dzmitry Dubovski, Dzmitry Rezanovich, Igor Olinevich et Sergey Romanov), qui, après avoir vécu pendant environ un mois dans les forêts de Polésie, ont mené plusieurs attaques contre des bâtiments et des voitures appartenant aux forces de sécurité [voir ici ; NdAtt.].

Nous voudrions mettre en avant les activités anti-répression (comme Black Book, Punishers of Belarus, la chaîne Telegram Karatelibelarusi), une répression qui, après 2020, est devenue monnaie courante pour le segment démocratique biélorusse. Déjà en 2017, le groupe Revolutionary Action a créé le site web Luka’s Gang, où ils/elles collectaient des informations et des données personnelles sur les membres des forces de l’ordre, les juges et les propagandistes d’État. Cette pratique a été développée dans son blog par le journaliste Nikolai Dedok. D’ailleurs, sur la vague des protestations, le nombre de ses abonné.es a augmenté à environ 15 000, ce qui est un nombre assez significatif pour le Bélarus. Nikolai est un anarchiste biélorusse bien connu, un ancien prisonnier politique (de 2010 à 2015) et auteur de mémoires de prison. En particulier, il a durement critiqué le système oppressif et les forces de l’ordre, la vidéosurveillance… Ironiquement, c’est à cause des caméras et de la reconnaissance faciale qu’il a été attrapé. Nikolai a commis un erreur dans sa clandestinité, en rencontrant une connaissance. Il a été brutalement arrêté et torturé. Maintenant, il est en prison à Hrodna.

L’assistance aux prisonnier.es politiques. Avant tout, l’Anarchist Black Cross, qui est en activité depuis plus de dix ans. Suite aux arrestations de compas, commencées en 2020 et jusqu’à aujourd’hui, ils/elles ont beaucoup de travail à faire. Avec la vague de protestations et de répression, l’organisation anonyme, créée à l’époque de l’Union soviétique, a étendu ses activités. L’initiative Dissident.by, créée en 2019 par des anarchistes, et qui, contrairement à l’ABC, s’occupe de tou.tes les prisonnier.es politiques, a étendu ses activités.
On peut penser ce qu’on veut des organisations légales de défense des droits humains, mais certaines d’entre elles, en particulier dans le régime autoritaire du Bélarus, font un travail remarquable et nécessaire. Leur expérience et leur aide sont inestimables. Certains anarchistes, maintenant en prison (Marfa Rabkova, Andrei Chepyuk), ont collaboré avec le principal centre biélorusse de défense des droits humains, Viasna. Le leader de Viasna, Alès Bialiatski, lauréat du prix Nobel de la paix, est emprisonné lui aussi.

Les anarchistes n’avaient aucun lien avec les travailleur.euses, dont la plupart manquaient de conscience révolutionnaire ou, du moins, politique et avaient un état d’esprit passif.

Pour la première fois dans l’histoire moderne du Bélarus, les anarchistes ont présenté deux programmes politiques pour la période de la révolution (l’un du groupe Pramen et l’autre d’Ihar Olinevich et de ses compagnons). Bien sûr, ce n’étaient que des propositions pour le moment du soulèvement, qui auraient dû être finalisées dans les détails, mais, quand même, nous pensons que cela a été une étape importante pour le mouvement.

À cause de l’absence de ressources humaines et matérielles suffisantes, les anarchistes n’ont pas réussi à créer un mouvement révolutionnaire de masse dans le pays.

 

Pourriez-vous nous donner un aperçu détaillé de la présence anarchiste actuelle, dans les trois pays ? Après la dure répression qui a suivi le soulèvement de 2020-2021, le mouvement anarchiste biélorusse est-il toujours vivant à l’intérieur du pays ? Il y a quelques semaines [le 26 janvier 2025 ; NdAtt.], Loukachenko a été réélu une fois de plus… apparemment sans protestations. La résistance, à l’intérieur du Bélarus, est-elle encore possible ? En Russie : l’opposition à cette guerre et à la dictature de Poutine mène beaucoup de gens en prison. Mais on peut aussi lire d’actes de résistance. Pourriez-vous en parler ?

Avant d’attaquer l’Ukraine, le régime de Poutine a essayé de s’occuper de l’opposition et des anarchistes à l’intérieur du pays. À cette époque-là, beaucoup d’anarchistes avaient pris le chemin de l’illégalité et se préparaient à une confrontation armée. La dite « affaire Réseau » et, plus tard, l’affaire de Tioumen**** ont été des coups durs pour le mouvement anarchiste. Dans les deux cas, plusieurs compas ont été arrêté.es, torturé.es et ils/elles ont fait des aveux sous la torture. Il y a beaucoup d’aspects sombres dans l’affaire « Réseau » et de nombreuses questions sont encore sans réponse, mais une des rares bonnes nouvelles à propos du mouvement est que l’un des accusés dans cette affaire, Viktor Filinkov, a été libéré récemment. Il a été immédiatement déporté au Kazakhstan (parce qu’il n’a pas la nationalité russe).

Un moment tragique pour le mouvement a été la mort du jeune Mikhail Zhlobitsky, qui a tenté de faire sauter l’entrée du FSB, à Arkhangelsk, en 2018.

On peut dire qu’il n’y a pas de mouvement anarchiste fort, ni même organisé, dans la Fédération de Russie. Il y a des individus et des collectifs anarchistes, mais leur travail est principalement légal ou semi-légal. Par exemple, on publie des livres, il y a des médias d’informations, il y a du soutien pour les compas emprisonné.es, quelques fois des soirées de solidarité et des concerts sont organisés. Certain.es des anarchistes qui sont resté.es dans le pays sont impliqué.es dans des activités environnementalistes. Mais beaucoup ont dû quitter le pays. Certain.es sont en prison.

Le mathématicien anarchiste Azat Miftakhov est en prison depuis de nombreuses années. Cependant, une jeune génération d’antifascistes est en train de grandir, mais ils/elles tombent régulièrement sous le coups de la répression. Au début de la guerre à grande échelle, il y a eu des actions radicales de sabotage des chemins de fer, menées par le groupe BOAK (Organisation de combat des anarcho-communistes), mais maintenant, apparemment, ils/elles manquent elles/eux aussi de ressources humaines. La répression ne s’arrête pas, de nouvelles affaires pénales sont ouvertes. L’une des affaires les plus retentissantes est celle de Ruslan Sidiki, un partisan anarchiste qui risque la prison à vie pour un sabotage de chemin de fer [fin mai, il a été condamné à dix-neuf ans de prison ; NdAtt.].

Le mouvement biélorusse est brisé et paralysé. Environ trente compas sont en prison – tou.tes reconnu.es comme des prisonnier.es politiques. Non seulement ils/elles ont été arrêté.es brutalement (par exemple, Aliaksandr Frantskevich et Akihiro Gajewski-Hanada ont été arrêtés par environ vingt policiers) et torturé.es, mais il y a aussi eu des procès-spectacles, complétés par des reportages de propagande dans la presse et à la télévision. Il y a une pression constante sur les parents et les ami.es des prisonnier.es politiques. Le procès contre la mère d’Aliaksandr Frantskevich a commencé récemment. Malheureusement, ces dernières années, au Bélarus, plusieurs personnes qui étaient liées à des degrés différents au mouvement sont décédées. L’immense majorité des anarchistes biélorusses est en exil forcé, où elles/ils continuent à être actif.ves. Principalement en Pologne et dans d’autres pays de l’UE. Bien sûr, il y a encore dans le pays des personnes qui sympathisent avec le mouvement. Des personnes qui n’ont jamais été arrêtées et qui sont inconnues des forces de l’ordre. Nous pensons qu’ils/elles sont prêt.es à passer à l’action, non pas immédiatement, mais pendant un possible renouveau.

Que la mort d’un dictateur ou quelque chose d’autre puisse être le déclencheur de tels bouleversements, il est difficile pour nous de faire des spéculations. Pour l’instant, elles/ils essaient de rester dans l’ombre. Ce qu’ils/elles peuvent faire aujourd’hui, c’est aider les prisonnier.es politiques, matériellement et en faisant circuler des informations, se développer physiquement et spirituellement, en se préparant progressivement à la prochaine étape de la lutte, qui arrivera sans doute. Il y a aussi un peu d’espoir sur la nouvelle génération, plus jeune. Par exemple, le dernier épisode d’activisme anarchiste a été l’affaire des jeunes (16 à 19 ans) anarchistes, inconnu.es auparavant, du groupe Rossignols Noirs [voir ici ; NdAtt.]. Ils/elles ont été arrêté.es en mars 2024 et accusé.es de « collaboration avec les services secrets ukrainiens », de « préparation d’actes terroristes » et de « fabrication d’explosifs ». À en juger par le film de propagande [réalisé par la télévision d’État ; NdAtt.], au moins deux membres du groupe semblent être des anarchistes convaincu.es. Depuis deux ou trois ans, il y a aussi eu des actes de sabotage radicaux, au Bélarus (l’anarchiste Nikita Emelyanov est encore en train de purger une longue peine suite à l’incendie de la Maison d’arrêt n°1, à Minsk), mais en ce moment toute résistance est très dangereuse et porte à de longues peines d’emprisonnement, car la répression et les procès ne s’arrêtent jamais et pour mener une action on doit s’y préparer longuement et en secret. Les trois années de guerre à grande échelle ont été marquées par de nombreuses actions de guérilla contre la guerre, effectuées par des personnes qui ne sont pas anarchistes. La plupart d’entre eux/elles ont été arrêté.es et condamné.es à de très longues peines. En ce qui concerne les manifestations de masse, c’est une perspective future.

 

Et à propos de l’Ukraine ? Le débat international sur ce que les compas ukrainien.nes devraient faire – si elles/ils doivent défendre le pays contre l’invasion ou pas – secoue les gauchistes occidentaux.ales (et les anarchistes aussi)… Qu’en est-il des opinions des compas d’Ukraine (et de Russie, et du Bélarus) ? Bon, blagues à part, je (V.) suis complètement d’accord avec les compas qui ont choisi de résister à l’invasion, que ce soit en combattant dans l’armée de l’État ou avec des activités civiles de volontariat. Pourriez-vous en parler ? Et à propos du « mouvement contre la guerre » en Ukraine ? On parle beaucoup, parmi les gauchistes occidentaux.ales, de la désertion de l’armée ukrainienne. Que pouvez-vous dire à ce propos ? Les « Z-anarchistes » occidentaux.les parlent aussi beaucoup de deux groupes anarcho-syndicalistes, Assembly de Kharkiv et le KRAS de Vadim Damier, quelque part en Russie. Bien entendu, parce que ces deux groupes prônent une position « classique » du type « pas de guerre mais guerre de classe » – que pensez-vous d’eux/elles ?

Vadim Damier est un historien universitaire, auteur d’excellents livres sur l’histoire de l’anarchisme ; le KRAS est un groupe de plusieurs intellectuel.les réuni.es autour de lui, comme Dmitry Rublev, lui aussi bon historien de l’anarchisme, mais ils/elles n’ont aucun lien avec les syndicats, le mouvement des travailleur.euses ou tout autre mouvement, elles/ils vivent mentalement dans une époque révolue. Notez qu’ils/elles ont un vaste réseau de liens avec des syndicats et des activistes en Europe, qu’elles/ils parlent des langues étrangères et sont habiles à diffuser leur agenda parmi des groupes sympathisants au sein de l’UE. Anatoliy Dubovik, un vétéran du mouvement anarchiste en Ukraine et historien anarchiste, a appelé cette position « anarcho-poutinisme ». Peut-être qu’il y a quelque chose que nous ne savons pas, mais il est peu probable que les membres du KRAS se tiennent jour après jour devant les casernes des soldats russes à faire de l’agitation en distribuant des tracts. Nous ne pensons pas non plus que les membres du KRAS aillent quotidiennement à l’entrée des usines pour échanger avec le prolétariat dont ils/elles font les louanges dans leurs déclarations. Ce n’est qu’un jeu de bureau et de l’imposture sur Internet. Nous serions très heureux.ses d’avoir tort et de découvrir qu’ils/elles aident clandestinement des dizaines ou des centaines de soldats russes à déserter. Mais nous n’avons jamais entendu parler de quelque chose de ce genre. Pendant qu’ils/elles se trouvent à l’intérieur de la Fédération de Russie, avec leurs emplois légaux de fonctionnaires de l’État, en écrivant des textes scientifiques et en luttant pour la « pureté du vrai anarchisme », la guerre continue. Non seulement ils/elles nous traitent d’« anarchistes des tranchées », d’« anciens [anarchistes] », de « traîtres », d’« anarcho-militaristes », etc., mais, malheureusement, elles/ils font aussi du chantage à celles/ceux qui sont en faveur de la résistance armée contre l’agression de Poutine et de l’assistance à nos compas ukrainien.nes. Pour être justes, on peut noter que, de l’autre côté, il y a aussi des cas fréquents de comportement indigne et d’agression envers les adversaires.

Et il n’est pas surprenant que parfois les émotions des compas ukrainien.nes prennent le dessus – ils/elles sont pris.es dans des tirs croisés : l’agression militaire de part de la Fédération de Russie et la mobilisation forcée imposée par les autorités ukrainiennes sont complétées par l’étroitesse d’esprit et l’incompréhension des compas du mouvement.

En tant qu’anarchistes, nous ne pouvons pas accepter que l’État décide pour toi, te privant de ta liberté et de ta vie. Par conséquent, nous soutenons pleinement le droit des gens à déserter. D’un autre côté, il est souhaitable que la désertion se développe parmi l’armée russe. Nous savons que, depuis février 2022, le nombre de déserteurs en Ukraine augmente de manière constante, que plus de 100 000 affaires pénales pour désertion ont été ouvertes et que plus d’un demi-million d’Ukrainiens sont sur la liste des personnes recherchées par la police pour avoir échappé à la mobilisation. Mais si cette tendance continue seulement en Ukraine, l’occupation totale du pays ne sera qu’une question de temps.

Aucun.e théoricien.ne n’a le droit d’imposer une quelconque pureté idéologique mythique aux anarchistes. Un.e anarchiste a tous les droits à l’auto-défense et à la résistance. Par conséquent, nous soutenons pleinement, en paroles et en actes, les anarchistes qui ont décidé de rejoindre les Forces armées de l’Ukraine. Nous considérons inacceptable de se tenir à l’écart, sous prétexte d’« antimilitarisme ». Pour peser en tant que force socio-politique, les anarchistes doivent être avec le peuple.

Assembly, de Kharkhiv, est un groupe actif dans la réalité, même si à notre connaissance il n’est constitué que de quelques personnes ; elles participent au mouvement de volontariat, aident les civils en Ukraine, participent aux conflits sociaux. Contrairement au KRAS, elles ont un plus grand droit de parler de la guerre. Nous ne partageons pas leur point de vue sur la guerre, mais nous les traitons avec respect.

 

Beaucoup de compas de la région BUR vivent à l’étranger. Comment c’est, de vivre en exil ? Comment sont les liens avec les anarchistes locaux.ales ? […]

Les anarchistes de la région BUR sont éparpillé.es dans le monde entier. La plupart des anarchistes de la BUR vivent en Pologne et en Allemagne. À notre connaissance, c’est en Pologne que les anarchistes biélorusses coopèrent le plus étroitement avec le mouvement local. Comme tou.tes les émigrant.es, elles/ils ont des problèmes de papiers, pour apprendre la langue locale et pour trouver un travail. Et certain.es compas ont des troubles de stress post-traumatique. […]

 

Comment voyez-vous l’avenir? Pensez-vous que la nouvelle administration états-unienne, dirigée par Trump, pourrait mener à une paix viable ? Des partis d’extrême droite, pro-Poutine (comme le FpÖ en Autriche, l’AfD en Allemagne, la Lega en Italie et le RN ici en France, pour ne pas parler du régime d’Orban en Hongrie et de celui de Fico en Slovaquie) gagnent de plus en plus de pouvoir dans les pays de l’UE. Alors, quelle sorte de cessez-le-feu pourrait être possible ? Une vraie paix ou une situation comme auparavant, ce genre de « guerre tiède » qui rampe dans le Donbass depuis 2014, mais dans une plus grande partie de l’Ukraine ?

Nous aimerions vraiment que cette guerre se termine rapidement. Il est tout à fait possible que Trump arrive à obtenir un accord de paix ou qu’un cessez-le-feu soit signé et nous croyons à cette dernière option plus qu’à la première. Une vraie paix nécessite une révolution, en Russie et au Bélarus, qui détruise l’empire. Une révolution, non pas dans les termes d’un coup d’État armé et d’un changement de pouvoir, mais un processus de masse de changement profond du système des valeurs humaines et des relations socio-économiques. Un cessez-le-feu temporaire et une trêve imposée n’arrêteront pas la Russie dans ses plans de reprendre au moins les territoires qu’elle a possédé pendant 300 ans et au mieux d’en saisir de nouveaux. Quant aux États-Unis, Trump est l’archétype du capitaliste et de l’homme d’affaires ; le genre d’oligarque occidental qui fera tout pour l’Amérique (en tant que machine d’État et empire, non en tant que peuple). Il est dans son intérêt de soumettre l’Ukraine économiquement, autant que possible (tout comme les pays de l’UE, de l’Amérique latine ou du Moyen-Orient), il est dans l’intérêt de la Russie de faire des Ukrainien.nes des esclaves, non seulement économiquement, mais aussi spirituellement et mentalement. C’est là l’une des différences entre les deux empires, dans cette guerre. Nous aimerions voir la victoire de l’Ukraine et la défaite finale du Kremlin, mais en regardant les faits de manière réaliste, nous craignons que les prévisions pour les prochaines années ne soient pas très réjouissantes. Même si les Ukrainien.nes le souhaitent, nous doutons que le retour des territoires occupés après 2022, de Lougansk et de Donetsk et encore plus de la Crimée, soit réalisable dans les prochaines années. Pour le dire gentiment, l’Occident a eu un temps de retard dans la compréhension de ce que préparait le Kremlin et dans la fourniture d’aide militaire, qui aurait dû être livrée tout de suite. Maintenant, après trois ans, alors que la situation est dans une impasse, il est peu probable que quelque chose change. Bon, peut-être que Poutine va crever en s’étouffant avec un sandwich au caviar, et ensuite… :)))

 

Que pourraient faire les anarchistes d’Europe occidentale pour aider les anarchistes de la région BUR ? Auriez-vous quelque chose à leur dire ?

Les anarchistes en Europe occidentale traversent une période difficile, les gouvernements utilisent la guerre pour attaquer les droits et les libertés et tout manque de loyauté est présenté comme une activité dans l’intérêt de la Russie. Les opportunités d’activités illégales sont réduites et les mesures de sécurité sont renforcées. Dans ces conditions, il est très difficile pour les anarchistes qui sont obligé.es de fuir la Russie et le Bélarus d’obtenir un statut légal, on leur refuse souvent l’asile. Malheureusement, dans la plupart des cas nous ne pouvons pas nous passer des contacts avec l’État et l’administration, notamment pour les régularisations, c’est un processus long et compliqué, le soutien des compas est très important. Aidez vos compas non seulement à s’installer dans un nouvel endroit, mais à trouver leur place dans les luttes que vous menez. Ce serait génial que les compas occidentaux.les ne regardent pas la propagande du Kremlin, comme RT, mais saisissent et attaquent les yachts, les manoirs et les bureaux appartenant à des oligarques russes, en Europe. Nous savons que de tels cas se sont produits, mais ce n’est pas encore suffisant.

De plus, il y a besoin d’aide pour les anarchistes ukrainien.nes au front, ainsi que pour les volontaires à l’arrière ; ils/elles écrivent à propos de leur travail de combat et de l’aide qui est nécessaire sur plusieurs chaînes Telegram, comme Solidarity Collectives (@SolidarityCollectives) et GNIP (t.me/gnimperialpride). Malheureusement, nous devons encore expliquer à beaucoup de compas occidentaux.les, qui ne connaissent pas le contexte politique ou historique de la région BUR, à quel point l’héritage impérial de la Russie est fort ici. Il y a toujours la possibilité de le découvrir, de demander aux compas originaires de la BUR pourquoi elles/ils font cela et comment ils/elles le font. C’est seulement dans le dialogue et le respect mutuel que la compréhension fraternelle peut être atteinte. À cet égard, il est important de traiter la notion d’« impérialisme » de manière plus approfondie et plus polyvalente, sans se fixer sur le scintillement occidental. Nous avons aussi besoin d’un soutien matériel constant pour les anarchistes biélorusses en prison et leurs familles. Vous pouvez aider en faisant un don à l’ABC biélorusse.

 

 

Notes d’Attaque :
* Viktor Ianoukovytch, président de l’Ukraine de 2010 à 2014, quand il s’est enfuit en Russie suite à la révolution de Maïdan.
** Entre l’automne 2017 et le début de l’année 2018, une douzaine de personnes ont été arrêtées à Penza et Saint-Petersbourg) , tandis que d’autres ont réussi s’enfuir. Les flics les accusaient d’avoir constitué une organisation terroriste. Tous les interpellés ont été durement torturés, pour leur faire signer des aveux (seulement deux ont tenu bon et refusé de coopérer). Des journalistes et activistes des droits de l’homme qui documentaient ou dénonçaient ces abus ont également été pris pour cible. Les personnes arrêtées à Penza ont été condamnées à des peines allant de six à dix-huit ans de prison, celles de Saint-Petersbourg à des peines légèrement plus courtes. Des compas russes ont par la suite dénoncé le fait que la plupart des inculpés de Penza étaient impliqués dans un important trafic de drogue, ce qui a fait que l’un d’entre eux a assassiné deux personnes qui voulaient s’en éloigner.
*** La Confédération révolutionnaire des anarcho-syndicalistes [Революційна Конфедерація Анархістів-Синдикалістів, RKAS] fondée à Donetsk en 1994 et par la suite active dans toute l’Ukraine. Elle s’est auto-dissoute en 2014, suite à la prise du pouvoir, dans le Donbass, par les séparatistes pro-russes. On pourra trouver ici (en italien) un entretien avec deux anciens membres, qui parlent de cette organisation (et de leur actuel engagement dans la résistance ukrainienne).
**** En août 2022, la police a interpellé deux anarchistes, dans la ville sibérienne de Tioumen. Lors des perquisitions, les flics auraient trouvé des explosifs. Quatre autre compagnons ont été interpellés et, sous la torture, certains des six ont fait des aveux (comme leur volonté d’effectuer des sabotages de lignes ferroviaires et des attaques contre des bureaux de recrutement de l’armée et des postes de police), qu’ils ont retirés par la suite. Un seul a maintenu ses déclarations, en passant un marché avec les flics. Les cinq autres, accusés de « création et participation à une organisation terrorisme », de « préparation d’un acte de terrorisme », de « fabrication et de possession d’explosif », se trouvent actuellement en prison, dans l’attente de leur procès.

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