La déstabilisation de la Russie comme chemin vers la liberté au Bélarus

Pramen / jeudi 3 octobre 2024

Si vous demandez aujourd’hui à des anarchistes biélorusses ce qu’elles/ils pensent de la société russe, et du mouvement anarchiste russe en particulier, il est peu probable que vous entendiez des réponses positives. Bien que le fossé entre les mouvements de la région BUR (Bélarus, Ukraine, Russie) ait existé avant 2022 et même avant 2014, une fois que l’invasion à grande échelle a commencé les différences de priorités ont eu un impact très fort sur les relations au sein de cette région. Je ne veux offenser personne, mais le mouvement anarchiste dans l’Empire russe est aujourd’hui en plein échec.

Oui, la BOAK [Organisation de combat des anarcho-communistes ; NdAtt.] est toujours active dans le pays, mais ses nombres relativement faibles et le peu d’intérêt des autres parties du mouvement pour la lutte armée montrent la réticence de nombreux.ses radicaux.les à risquer leur liberté et leur sécurité pour résister au régime russe. On peut discuter longuement des risques de descendre dans les rues de Moscou ou de Tcheliabinsk contre la guerre ou la mobilisation, mais ces risques ont du sens quand il y a une quelque forme de lutte. Au lieu de cela, les vestiges du mouvement russe continuent d’exister dans une réalité sans dangers, possible seulement par un acquiescement tacite à la guerre en Ukraine, ou dans une vie relativement confortable dans l’immigration. Et si quelqu’un.e pense résister à la guerre ou à l’impérialisme russe en haïssant silencieusement le régime, deux ans et demi et des centaines de milliers de morts devraient, du moins en théorie, éveiller le besoin de résistance, ici et maintenant. Après tout, si les anarchistes et les antifascistes ne résistent pas au régime de Poutine en Russie, que dire des gens ordinaires, qui ont des prêts à rembourser, des enfants et des projets d’avenir sous forme de vacances dans la Crimée occupée, parce que « c’est pas cher » 🅪. Et si l’opposition libérale refuse ou est incapable de développer une politique radicale, dans le pays et dans la diaspora, celle-ci ne devrait pas être élaborée au moins par les anarchistes ? (On peut laisser au grenier les communistes édulcorés, impérialistes, car ils ne peuvent pas être pris au sérieux, dans la société, que par d’autres forces « gauchistes »).

Mais ce texte ne traite pas de la manière dont les choses vont mal au sein du mouvement russe. Nous pourrions en parler pendant longtemps (bien que les anarchistes russes eux/elles-mêmes soient rarement disposé.es à parler ouvertement des problèmes de la Russie ou de la diaspora). Ce texte traite plus de ce qui reste à faire, pour le mouvement biélorusse, dans cette situation. Nous pouvons continuer à mépriser la lâcheté de la société russe face à la violence incontrôlée de son État, sous la forme d’impérialisme dans d’autres pays. Nous pouvons plaisanter sur qui est le plus russophobe au sein des mouvements biélorusse et ukrainien, mais la réalité demeure qu’il n’y aura ni paix ni liberté au Bélarus sans l’effondrement de la Russie. Précisément l’effondrement, non le remplacement de Poutine par une nouvelle figure autoritaire issue de l’opposition, capable de développer des stratégies alternatives pour accroître l’influence de l’empire sur toute la planète. Peu importe le succès des anarchistes biélorusses ou d’autres représentant.es de l’opposition au Bélarus – sans la destruction de l’armée russe et de la Garde nationale, nous continuerons simplement à être tué.es, non pas par les flics biélorusses, mais par les troupes russes.

Pendant les premiers mois de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, la stratégie de participer à la guerre contre la Russie s’est développée au sein du mouvement anarchiste, dans l’espoir de détruire le potentiel militaire de l’empire russe, d’affaiblir le régime de Poutine et d’un effondrement de l’idée même de monde russe. La participation des anarchistes à la lutte contre l’invasion russe ne doit pas être sous-estimée. De la libération de Kherson à la défense de Bakhmout et d’Avdiïvka, des anarchistes de différentes régions de la BUR ont contribué à la destruction des occupants. Le mouvement lui-même a payé un lourd tribut à la résistance et ceux/celles qui crient que tout cela a été inutile devraient plutôt acheter une maison à la campagne et espérer qu’un jour la liberté vienne frapper par elle-même à leur porte et ouvre un monde d’opportunités. Il n’y a pas besoin d’être anarchiste pour comprendre que le chemin vers la liberté est impossible sans risques, sans douleur et sans pertes.

Mais la guerre en Ukraine continue, la probabilité d’un effondrement du régime de Poutine est moindre qu’en 2022 et 140 millions de personnes continuent à vivre dans une hutte à la lisière du village. Dans une telle situation, nous revenons à des questions de stratégie, pour la destruction de l’empire russe. En Ukraine, les gens ont réussi seulement à contenir et peut-être arrêter temporairement la Russie, mais il n’est possible de détruire ce monstre que de l’intérieur.

Dans une telle situation, les anarchistes du Bélarus se retrouvent dans un piège, où, d’une manière ou d’une autre, nous sommes obligé.es de lutter contre l’État russe. Et non seulement les anarchistes biélorusses, mais toute la diaspora. Nous pouvons continuer à organiser nos initiatives, à nous développer politiquement et même, dans certains cas, militairement, mais nous ne serons jamais en mesure de nous libérer de l’empire russe, à moins d’aller au delà de notre lutte régionale, pour devenir quelque chose de plus grand. Aujourd’hui, il est dans notre propre intérêt d’avoir un mouvement anti-impérialiste fort en Russie et au sein de la diaspora russe.

Dans cette optique, nous devons adapter nos propres stratégies et aller au-delà des jeux politiques de la diaspora. Par notre expérience d’organisation en exil, aujourd’hui nous devons aider les anarchistes et les antifascistes russes à surmonter l’ignorance politique typique des milieux de Moscou ou de Saint-Pétersbourg, en faveur d’un mouvement véritablement internationaliste. Nous devons intégrer les Russes dans nos propres structures, pour les aider à se développer et à surmonter les erreurs des natif.ves de l’empire, qui sont si évidentes pour nous et si douloureuses pour elles/eux. Un soutien en tant qu’allié.es et un développement politique et révolutionnaire commun peuvent non seulement nous libérer de l’oppression du Kremlin, mais aussi apporter une transformation véritablement révolutionnaire aux régions de l’ancien empire soviétique.

Il convient de dire ici que les forces réactionnaires engagées dans l’impérialisme « soft » ne méritent guère de soutien. Ceux/celles pour qui tout n’est pas si clair et net et pour qui la guerre en Ukraine n’est pas assez évidente pour qu’il soit nécessaire de se révolter contre leurs propres maîtres. Nous parlons avant tout d’organisations comme la KRAS-MAT [Confédération des anarcho-syndicalistes révolutionnaires ; NdAtt.], un exemple d’anarchistes qui sont largement responsables de la faiblesse et du caractère contre-révolutionnaire du mouvement moderne. À la place de la réalité, ils/elles offrent un agréable conte de fées, qui pose peu de risques pour le statu quo (la simple existence de la KRAS-MAT, dont le FSB [le service de renseignement intérieur de la Fédération de Russie, héritier du KGB soviétique ; NdAtt.] connaît les quelques membres, en dit plus que n’importe quelle déclaration de cette organisation à propos du militarisme et de la lutte contre l’État).

Plutôt que de telles forces, nous devons renforcer le soutien à la BOAK et aux autres organisations révolutionnaires à l’intérieur de la Russie. Sur le plan financier et organisationnel. Nous devons développer et accroître l’interaction dans des structures d’information et de coopération, pour une croissance politique dans l’exil, dans toutes les régions où se trouvent des diasporas originaires des différents pays de la BUR, de la Géorgie à la Pologne, en passant par l’Allemagne, la France et la Lituanie – aujourd’hui, la coopération avec des militant.es progressistes russes est essentielle à notre propre existence. Oui, cela peut être extrêmement difficile pour de nombreux militant.es biélorusses, compte tenu de certaines « particularités » propres à de nombreux.ses militant.es russes, liées à leur socialisation, mais nous devrions mettre nos émotions de côté et aider nos compas à réfléchir à leurs origines. C’est ainsi que nous pouvons trouver le chemin de la libération.

Cependant, nous ne devons pas considérer la nécessité de coopérer avec des militant.es russes comme une raison pour rompre avec nos compas ukrainien.nes. La résistance des peuples d’Ukraine contre le « monde russe » continue d’être l’un des points les plus importants de la lutte contre l’État dans cette région. Toute victoire majeure de la Russie en Ukraine rendra la libération de l’empire encore plus difficile. Par conséquent, la coopération avec le mouvement russe est impossible sans une étroite collaboration et un soutien aux anarchistes en Ukraine.

Ce contenu a été publié dans Antimilitarisme, International, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.