Cette Semaine / 27 juin 2015
Comme d’habitude, ces articles de presse sont la voix du pouvoir, donc à lire avec les précautions d’usage. C’est l’image partielle que ce dernier veut donner de cet instrument (les fiches S), et non sa réalité toute entière…
Les fiches S sont une des 21 sous-catégories du FPR (Fichier des Personnes Recherchées), créé en 1969, qui comporte notamment les lettres : E (police générale des étrangers), IT (interdiction du territoire), R (opposition à résidence en France) , TE (opposition à l’entrée en France), AL (aliénés), M (mineurs fugueurs), V (évadés), S (Sûreté de l’État), PJ (recherches de police judiciaire) , T (débiteurs envers le Trésor).
Les fiches S officiellement renouvelées ou éliminées tous les deux ans (un an renouvelable une fois) par la DGSI et le SCRT (ex-RG), comportent 16 niveaux de surveillance en partant du bas : Mohamed Merah (histoire de Toulouse) avait une fiche S de 2006 à 2010 puis à nouveau S05 en 2011, Sid Ahmed Ghlam (histoire de Villejuif) avait une fiche S13 tout comme Yassin Salhi (histoire de l’Isère) de 2006 à 2008 – non renouvelée, et le niveau S04 semble être celui de base délivré contre tout individu (extrême-droite, extrême-gauche, écologistes, supporters de foot, anarchistes, etc.) « susceptible de se livrer à des actions violentes ».
Ce niveau de base S04 et les suivants sont réajustés (ou pas) après « sondages personnels » policiers réguliers (x par an : Merah avait par exemple fait l’objet de 52 procédures de surveillance (filatures et écoutes) en 2011), et en fonction de tout ce qui peut arriver de nouveau (interpellation, lien avec un tiers lui-même fiché, info d’autres services, etc.). Pour rappel, il s’agit là de surveillance quotidienne des services, celles renforcées par la nouvelle loi sur le Renseignement, en dehors de toute procédure judiciaire, comme les « enquête préliminaires » par exemple qui leur donnent plus de moyens et sont dirigés par un procureur sans que la personne concernée n’en soit informée. Et enfin, même sans fiche S ou après en être sorti, la surveillance ne cesse pas pour autant (Yassin Salhi n’en avait plus depuis 2008, et « a ensuite fait l’objet d’une surveillance de 2011 à 2014 pour ses liens avec la mouvance salafiste lyonnaise » selon le procureur). Les RG et leurs petites fiches Sureté de l’Etat sont une chose, les services anti-« terroristes » encore une autre…
En ce qui concerne les compagnons anarchistes, souvent classés dans la catégorie policière d’ »anarcho-autonomes », on trouvera dans la brochure « Analyse d’un dossier d’instruction antiterroriste » (2010), pages 13-14, un exemple de fiche S04 qui finit ainsi :
« Sûreté de l’Etat Mesure immédiate : ne pas attirer l’attention
Motif : Individu proche de la mouvance anarcho-autonome susceptible de se livrer à des actions violentes
Service demandeur : Préfecture de police Renseignements Généraux Paris – Tél : 0153733815
Conduite à tenir : SO4 – en cas de découverte aviser les RGPP »
De plus, cette fiche S04 est utilisée bien plus largement qu’en matière d’anti-terrorisme, comme nous le rappelle la mésaventure d’un compagnon parisien en avril 2015 suite à une histoire d’arnaque au préjudice d’un grand magasin (Cf. Les RG s’invitent à une perquiz’) : « Les OPJ veulent que je balance mon chef, que je dise où je dors, m’expliquent que c’est la seule façon de m’en sortir. Ca ne fonctionne pas avec moi, rien à déclarer et refus de signer. C’est autant de temps de gagné. Puis vient l’audition, où l’OPJ réalise que je suis fiché au Fichier des Personnes Recherchées, fiche S04 : Sûreté de l’État. Étant anarchiste, pas de surprise… Changement de ton, qui se fera surtout sentir le lendemain. »
Attentat en Isère : qu’est-ce qu’une fiche « S » ?
Le Figaro, 26/06/2015 à 19:59
Le principal suspect de l’attentat en Isère a fait l’objet d’une fiche de signalement pour cause de radicalisation. De quoi s’agit-il ? Éléments de réponse.
Bernard Cazeneuve a annoncé que Yassin Salhi, le principal suspect de l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier près de Lyon (Rhône) avait été fiché entre 2006 et 2008 par les services de renseignements. Il avait fait l’objet d’une fiche de signalement « S 13 » pour cause de radicalisation. Son fichage n’avait pas été renouvelée en 2008 et l’homme n’avait pas de casier judiciaire, a précisé le ministre de l’Intérieur.
Ce système de fichage est l’une des sous-catégories du fichier des personnes recherchées, le FPR. Ce fichier géant répertoriait plus 400.000 individus au 1er novembre 2010. Il sert à faciliter les recherches effectuées par les services de police et de gendarmerie à la demande des autorités judiciaires, militaires ou administratives selon la Cnil (la Commission nationale de l’informatique et des libertés). Créé à la fin des années 1960, le FRP regroupe des catégories de personnes très variées, comme les mineurs fugueurs (« M »), les évadés, (« V ») ou les personnes privées de sortie du territoire (« IT », pour interdiction de territoire).
La sous-catégorie « S » désigne les personnes potentiellement menaçantes pour la « sûreté de l’État ». En 2012, 5.000 noms y étaient répertoriés selon Sud-Ouest. « A l’origine, cette catégorie avait été créée pour contrôler les déplacements des diplomates. Puis, elle s’est étendue à la menace terroriste » précise au Figaro, Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la Direction de la surveillance du territoire (DST).
Pour contrôler les déplacements
Ce fichier S est subdivisé en plusieurs échelons qui correspondent à une échelle de vigilance graduée jusqu’à 16. Le niveau S 13, qui est celui du principal suspect de l’attentat du jour en Isère mais aussi celui de Sid Ahmed Ghlam, soupçonné d’avoir voulu perpétrer un attentat contre au moins une église de Villejuif (Val-de-Marne) en avril, signifie que les policiers avaient pour mission de « recueillir le maximum d’informations sans attirer l’attention » de ce personnage. Les individus répertoriées ne sont pas tous des terroristes en puissance. Y figure aussi des militants, des activistes politiques ou encore des hooligans.
« La fiche S est un outil de contrôle des renseignements à disposition des services de police et de gendarmerie, qui sert surtout à contrôler les déplacements » résume Louis Caprioli. Par exemple, lors d’un contrôle routier, si l’agent de police constate que l’individu est fiché S, il devra le signaler aux services de renseignement et essayer de recueillir le maximum d’informations, sur les personnes qui l’accompagnent. Lors d’un contrôle de police à la frontière, ou lors d’une infraction routière, si l’individu est fiché S et que le policier le constate, il peut voir s’il est sous le coup d’un mandat d’arrêt et dans ce cas procéder à une interpellation. Certaines personnes fichées S peuvent être mises sous surveillance physique ou sous écoutes. Mais cette surveillance n’est pas systématique, ni constante. Les fichiers sont également régulièrement « nettoyés » précise Louis Caprioli. Tous les deux ans, la fiche S est en effet mise à jour. La surveillance de ceux qui sont jugés moins dangereux est relâchée. C’est ainsi que Yassin Salhi est sorti du fichier en 2008.
« Fiche S », écoutes… La surveillance de Sid Ahmed Ghlam en 3 questions
TF1, 23 avril 2015 à 18h16
Quels outils ont été mis en place pour le surveiller ?
Après son signalement par un proche, Sid Ahmed Ghlam a été visé par « une fiche S », pour sûreté de l’Etat. Comme l’explique Sud-Ouest, ce fichier recense les personnes susceptibles de préparer des actions nuisibles contre la France, comme les terroristes donc mais aussi les hooligans. En 2012, il comportait 5000 noms mais doit en avoir plus bien plus aujourd’hui. Mohamed Merah mais aussi Amédy Coulibaly ont ainsi été fichés.
Chaque « fiche S » possède un numéro qui correspond aux mesures de surveillances à adopter. Celles-ci doivent être « discrètes « , sans attirer l’attention. La fiche de Sid Ahmed Ghlam est une « S13 », ce qui signifie que chacun de ses déplacements à l’étranger doit être signalé, rapporte Le Parisien. C’est sans doute comme cela que les renseignements ont eu vent de son séjour en Turquie et ont pu le mettre en garde à vue. Etre fiché « S » n’implique toutefois pas une surveillance physique à plein temps ni forcément une interpellation : cela sert surtout faire à faire remonter des informations aux renseignements lors de contrôles policiers ou douaniers. « Une fiche S, c’est une géolocalisation artisanale et ponctuelle« , résume le juge antiterroriste Gilbert Thiel sur Europe 1.
En revanche, à son retour de Turquie, des moyens de surveillance plus lourds ont été mis en place étant donné qu’il représentait une menace à ce moment-là. Le Parisien raconte que ses communications, ses consultations de site et ses fréquentations ont été passées au crible. Mais ce, seulement l’espace de « quelques semaines », étant donné qu’il n’y avait pas de cadre judiciaire.
Comment le contre-espionnage a égaré la fiche de Mohamed Merah
Nouvel Observateur, 20-04-2012 à 05h21
Dans l’entretien accordé au journal « le Monde » après les tueries de Toulouse et de Montauban, le patron du contre-espionnage français a expliqué qu’ »après un simple contrôle routier à Kandahar, en Afghanistan en novembre 2010 (…) la direction de la sécurité et de la protection de la défense nous a signalé l’incident« . Squarcini précise même qu’il n’y a aucun lien entre Merah et le démantèlement, fin 2006, à Artigat, à une soixantaine de kilomètres de Toulouse, d’une filière de combattants djihadistes en Irak. Pour lui, l’amitié entre Mohamed Merah et Sabri Essid, un Toulousain arrêté les armes à la main à la frontière syro-irakienne, tout comme le concubinage entre sa mère et le père d’Essid, n’en font pas un « activiste chevronné » qui aurait mérité d’être étroitement surveillé. Le chef de la DCRI affirme donc qu’il n’y a « pas de lien, en dehors de mandats que (Merah) a envoyés à l’un des condamnés en prison, ce qui peut être une simple solidarité de cité« .
Or Mohamed Merah a bien été fiché comme susceptible d’attenter à la sûreté de l’Etat dès 2006. Suite à l’opération conduite à Artigat, les Renseignements généraux (ancêtres de la DCRI) avaient émis une fiche « S », comme sûreté de l’Etat, à son nom, le désignant comme « membre de la mouvance islamiste radicale, susceptible de voyager et de fournir une assistance logistique à des militants intégristes« . La procédure implique que les policiers contrôlant un individu fiché « S » signalent sa présence aux RG et recueillent un maximum de renseignements sur lui (provenance, destination, moyens de transport, etc.). Bref, qu’ils le surveillent étroitement, « sans attirer l’attention ».
Imbroglio administratif
C’est du reste ce qui s’est passé le 18 novembre 2007, à 1h30 du matin, lors d’un contrôle au col du Perthus, à la frontière espagnole, comme l’a révélé M6. Merah se trouvait dans une BMW immatriculée à Toulouse, en compagnie de deux petits voyous de cité. Bernard Squarcini paraît l’ignorer. Voici pourquoi.
Selon notre enquête, la fiche Merah de 2006 s’est volatilisée deux ans plus tard, soit en 2008, à la faveur d’un incroyable imbroglio administratif sur fond de guerre des polices, à l’occasion de la fusion entre les RG et la DST (Direction de la Surveillance du Territoire), devenus la DCRI. Un projet cher à Nicolas Sarkozy. « Les fiches S ont une validité de deux ans et doivent être renouvelées après ce délai par les services« , explique un agent de renseignement qui s’est penché sur cette bévue. « Dans la nouvelle organisation, le pôle ’Islamisme radical’ des RG, à l’origine de la fiche, a été presque entièrement démantelé pour faire la part belle aux spécialistes antiterroristes venus de la DST« , explique ce même agent. « La mémoire des RG est partie en fumée, et la fiche S de Merah est passée à l’as. »
Il franchit les frontières sans attirer l’attention
A l’époque, le jeune homme, incarcéré à Toulouse pour un délit mineur, ne se fait donc pas remarquer dans les milieux islamistes. A sa libération en septembre 2009, Merah, sorti des radars des services antiterroristes, peut franchir les frontières sans attirer l’attention. Et sillonner le Moyen-Orient, de l’Egypte à l’Afghanistan en passant par la Syrie, la Jordanie et Israël.
Ce n’est qu’en novembre 2011 que la DCRI rédigera une nouvelle fiche S sur Merah, après son retour du Pakistan et un léger débriefing à l’antenne toulousaine du service. Cette fiche, figurant au fichier des personnes recherchées (FPR) et dont « le Nouvel Observateur » a pu prendre connaissance, est étonnamment minimaliste. Elle présente Merah comme « un militant proche du milieu djihadiste international » mais n’est classée que « S 5 » : une procédure qui demande de signaler ses passages aux frontières, mais n’implique ni de fouiller ses bagages, ni de le surveiller sur le territoire français. « Une surveillance très légère », reconnaît un agent de renseignement.
Le raté administratif durant lequel s’est perdue la première fiche Merah – celle de 2006 – a-t-il été évoqué devant la délégation parlementaire pour le renseignement qui a auditionné le chef de la DCRI, le 4 avril dernier, soit cinq jours après que M6 en eut fait état ? Les huit parlementaires concernés ont-ils posé la question ? « Secret-défense », répliquent-ils en choeur. Seul le président de la délégation, le député Guy Tessier, affirme qu’il n’y a eu « aucune faille ou aucune ombre au tableau » (dans le traitement de l’affaire Merah, ndlr). Contre toute évidence.