Indymedia Nantes / mardi 12 février 2019
De nouvelles morales, une même autorité
« La moralité c’est des idées de sens commun sur lesquelles nous pouvons tous nous entendre. Nous devons étendre la moralité afin d’inclure les animaux non-humains » – Logique qu’on retrouve généralement dans le mouvement vegan.
La plupart des mouvements en faveur d’un changement social massif font de l’ « appel à la moralité », un moyen fondamental pour obtenir du soutien. Par exemple, « la viande est un meurtre » est un slogan courant au sein des mouvements pour la défense des droits des animaux. Ce slogan part du postulat que tout le monde est contre le meurtre puisque, selon la même logique, le meurtre est moralement répréhensible. Or cela suppose qu’il existe une moralité unique et universelle qui oriente les décisions de chacun alors qu’en réalité, certains en ont une interprétation différente, et qu’elle ne guide que ceux qui l’ont initialement adoptée. Par exemple, certains moralistes autoproclamés défendent les violentes manifestations du patriarcat ; d’autres prônent le suprémacisme blanc et de nombreux moralistes encouragent la violence envers les animaux non-humains. Le « sens commun » n’est commun que pour ceux qui font partie d’un groupe précis, qui ressentent le besoin d’universaliser ses principes. Mais le « sens commun » ne s’applique pas aux personnes extérieures au groupe, celles dont les intérêts propres divergent du « bien » commun supposé. Souvent, ce n’est pas le manque de moralité qui pose problème mais l’existence même de la moralité ; l’ensemble de principes et de valeurs indépendantes de la complexité de l’intérêt personnel, qui oriente et justifie les actions de chacun.
L’anthropocentrisme est la croyance selon laquelle les humains sont les êtres les plus importants de l’univers. L’anthropocentrisme interprète ou considère le monde en matière de valeurs et d’expériences humaines. Le terme peut être remplacé par humano-centrisme et certains se réfèrent au concept de suprématisme humain ou de différentialisme humain. – Wikipédia (en)
La morale anthropocentrée permet de justifier de nombreux désastres environnementaux et engendrés par la domestication. En représentant une vision du monde qui établit une dichotomie humain/animal, l’anthropocentrisme est renforcé par une société capitaliste-industrielle qui nécessite la mort et la destruction à grande échelle de la vie sauvage pour exister. La « droiture » de la domination humaine apporte la normalisation socio-politique nécessaire pour pacifier tout potentiel d’indignation émotionnelle contre cette violence systématisée. Donc entre la moralité vegan et la moralité anthropocentrée, laquelle est « bonne » ?
Le nihilisme moral est la vision meta-éthique selon laquelle rien n’est moralement bon ou mauvais. Il n’y a pas de caractéristiques morales en ce monde ; rien n’est bon ou mauvais. Par conséquent, aucun jugement moral n’est vrai ; néanmoins, nos jugements moraux sincères tentent, mais échouent toujours, de décrire les caractéristiques morales des choses. Ainsi, nous tombons dans l’erreur lorsque nous pensons en termes moraux. Nous essayons d’établir la vérité lorsque nous commettons des jugements moraux. Mais puisqu’il n’y a pas de vérité morale, toutes nos affirmations morales sont erronées. – Wikipedia (en)
La moralité est une construction sociale qui ne représente ni une vérité universelle, ni les intérêts de tout le monde. Alors qu’elle peine également à prendre en compte les circonstances complexes dans lesquelles les décisions basées sur la morale ne sont pas applicables, la moralité limite l’étendue des prises de décision et des actions individuelles. Ainsi, afin d’imposer la moralité à grande échelle, l’obéissance ferme est requise, ce qui nécessite un dispositif d’autant violent et rigide pour la faire respecter.
Obéir à n’importe quelle sorte de moralité implique de renoncer à l’expérience individuelle et aux motivations personnelles. De plus, cela nécessite de ne pas tenir compte de l’examen pragmatique des conséquences qu’une décision basée sur la moralité peut avoir. Au sein de la société, la morale est socialement imposée pour conserver un système de croyance normalisé. Ce système dissuade la pensée individualiste et la remise en question non seulement de ce système, mais aussi des fondements de l’autorité en général. Le principal moyen d’arriver à cette dissuasion est de faire passer une croyance donnée pour du « sens commun » ou une normalité que « tout le monde » connaît ou adopte. Cela favorise immédiatement le « groupe » au détriment de l’ « individu ». Par intérêt personnel, on peut refuser d’obéir sans se poser de questions, c’est pourquoi la pensée collective est socialement favorisée pour dissuader la responsabilité individuelle, la créativité et la réflexion personnelle. Parmi les exemples d’hostilité socialement généralisée à l’égard de l’individualisme, citons le fait de considérer ceux qui affirment leur individualité comme étant « égoïstes » ou « égocentriques » et donc indésirables.
Un mouvement qui rend le véganisme moral établit un autre système social qui imposerait de nouvelles lois et normes basées sur la morale. Non seulement cela nécessiterait un dispositif (ironiquement) violent pour les faire respecter, mais cela ne garantirait pas un capitalisme plus « pacifique », plus « charitable ». Tant qu’il y aura des systèmes de gouvernement, (y compris l’antinomique « capitalisme charitable »), il y aura des rebelles. Tant qu’il y aura des lois, il y aura de la corruption au sein même du dispositif qui les fait respecter. En tant que projet social historique et contemporain visant à établir la paix et la compassion à grande échelle, le moralisme a échoué.
Au delà de la moralité : aucun gouvernement ne peut nous garantir la liberté
L’anarchie est l’absence de gouvernement et la liberté absolue de l’individualité. – Wikipédia (EN)
Les mêmes mécanismes de coercition qui renforcent la moralité (la religion, l’état, etc.) sont ennemis de la liberté. Bien qu’il soit possible d’affirmer que ces institutions puissent libérer les animaux non-humains en renforçant la moralité vegan, ces mêmes institutions exigent de se soumettre individuellement au « bien » commun. Mais ce qu’ils considèrent comme « bon » ne l’est pas forcément pour moi ; leur opinion primerait la mienne, dominée par sa prétendue « vérité universelle ». C’est la même logique de contrôle et de domination qui est utilisée par ceux qui dominent et consomment des animaux non-humains. Guidés par les valeurs du suprématisme humain, cela leur confère le sentiment d’une autorité irrécusable ; Le même dispositif qui impose la moralité tient cette position « incontestable ». Mais en tant qu’individu, je ne le remets pas seulement en question, je le rejette dans son ensemble.
Mon individualisme est motivé par l’intérêt personnel et par une prise de décision éclairée. Mon refus de céder mon esprit au « bien collectif » consistant à consommer de la chair et des secrétions d’animaux non-humains reflète ma propre rébellion. Inspiré par d’autres individus vegans, j’ai réalisé la force de penser de manière indépendante, égoïste et égotique – contre la société de masse dont les traditions et les valeurs normalisées s’opposent à mes intérêts.
En tant qu’individualiste, être vegan est utile pour étendre l’autonomie individuelle aux animaux non-humains. Mon refus de perpétuer socialement leur statut de marchandise leur donne le droit naturel d’exister comme leur propre Moi autonome, de la même manière que j’attends d’être respecté par les autres. Je refuse de participer individuellement à la normalisation massive de leur domination. L’anarchie, selon moi, signifie de refuser toute loi, tout ordre, et tout système. Cette anarchie ne s’oppose pas seulement à la moralité vegan et anthropocentrée mais à toute moralité : la moralité étant la forme abstraite d’autorité qui tente de soumettre mon individualité. Mon véganisme n’a pas besoin d’être imposé ou guidé par une autorité extérieure. C’est un choix individuel qui reflète la cohérence et la pratique de vivre ma vie contre l’autorité.
Pour que le véganisme soit cohérent avec la libération animale, il doit être anti-autoritaire. Dès lors, la totalité de la civilisation capitaliste et industrielle doit être remise en cause. Être vegan et pro-capitaliste est paradoxal puisque le bon fonctionnement du capitalisme nécessite une exploitation à grande échelle des ressources naturelles, détruisant et réduisant à néant par conséquent des écosystèmes entiers. Le capitalisme nécessite l’expansion de l’industrialisation technologique pour répondre aux exigences de la société de masse. La société de masse exige un déplacement sans cesse croissant de la faune et de la flore pour abriter une population humaine en augmentation constante. La civilisation trouve ses racines dans l’agriculture qui se base sur le principe basique de prendre à la terre plus que ce qu’on lui donne. Cela entraîne des dommages irréversibles à tous les écosystèmes et nuit directement aux animaux non-humains.
Être vegan et pro-étatique est contradictoire, puisque le véganisme aspire à la libération des animaux, alors que l’État est l’antithèse de la libération – s’appuyant sur des lois qui utilisent la force physique pour forcer tous les êtres à se conformer. Le dénominateur commun entre l’État et la moralité vegan est qu’ils tiennent tous les deux la position de « vérités universelles » supérieures à l’individu. Les deux contraignent ; l’un mentalement et l’autre physiquement. Les deux complètent les intentions de l’autre de conditionner « les masses », et les deux incitent à mépriser l’égoïsme, la créativité et la responsabilité individuelle.
Si la libération des animaux repose sur la liberté, il est contradictoire de donner à un organisme gouvernemental le pouvoir de faire appliquer des lois basées sur la morale à des individus. Cela renforce le spécisme par la séparation des êtres humains et des animaux ; puisque les humains sont en fait des animaux, et que le véganisme aspire à la libération de ceux-ci, pourquoi les animaux « humains » ne se libéreraient-ils pas eux aussi des mêmes chaînes du spécisme et de l’autorité ? Le spécisme est renforcé par le suprémacisme humain, et puisque le suprématisme humain doit être détruit socialement, la libération animale s’applique à tout le monde. De ce point de vue, il n’y a pas besoin d’un gouvernement pour accorder des droits : le droit à l’autonomie physique et à l’égalité vient avec la destruction de l’autorité – celle de la moralité et de l’étatisme.
Ce n’est pas une moralité qui détermine mes actes, mais plutôt un désir individuel de faire la guerre à tous les systèmes, moraux ou non, qui tentent de me soumettre et de détruire la terre dont j’ai besoin pour survivre. Ma décision de devenir vegan n’a ni émané d’une moralité vegan ni d’une nouvelle loi m’interdisant de consommer de la chair et des sécrétions. Elle a émané d’une libre pensée incontrôlée qui m’a permis de voir la société de manière critique, en découvrant des façons pragmatiques de concrétiser mon propre projet de libération. Ma praxis anarchiste vegan est une affinité partagée avec les non-humains qui luttent contre les contraintes et les instruments de torture générés de la technologie moderne, des abattoirs et de l’enfer causé par l’humain de la société industrielle. Il n’y a ni Dieu, ni gouvernement, ni moralité pour nous sauver. Seulement nos individualités, les décisions que nous prenons et les actions que nous faisons.
Armer la volonté de survivre par l’attaque
Sauvage : (se dit d’un animal ou d’une force de la nature) féroce, violent, et incontrôlable. – Wikipedia
L’un des principes moraux fréquents est l’attachement à la non-violence. En tant qu’individualiste, j’estime que la violence est utile dans certaines circonstances, et inutile dans d’autres. Mais c’est cette libre utilisation de la violence que la non-violence morale réprime. Lorsqu’il s’agit de libération animale (ou du point de vue étatiste, des droits des animaux), le véganisme est souvent présenté comme un mouvement « sans cruauté », « sans souffrance » ou « non-violent ». Cela n’occulte pas seulement les exemples historiques de libérations animales qui aboutirent grâce à la violence, cela limite également les possibilités d’actions stratégiques. Le renforcement d’une morale non-violente décourage le recours à la violence à l’encontre des institutions et des acteurs de la domination spéciste. Le suprémacisme humain utilise la violence à chaque occasion pour conserver son contrôle. Limiter l’arsenal de résistance à une simple défense plutôt que d’avoir recours à l’attaque revient à limiter stratégiquement l’étendue des possibilités et le potentiel de faire avancer la libération animale. Lorsque la libération animale est confinée à l’arène légale de l’étatisme, le potentiel d’insurrection individuelle a été abandonné.
Dans la société de masse, le spécisme ne se réduit pas seulement aux supermarchés, il est aussi ancré dans les traditions sociales et culturelles renforcées par la participation individuelle. Les individus perpétuent donc socialement la normalisation de l’abus, du contrôle et de la domination envers les animaux non-humains. Et bien que certaines de ces personnes puissent s’émanciper de la mentalité spéciste de l’anthropocentrisme, d’autres peuvent y adhérer et la défendre. La violence devient ainsi une tâche nécessaire effectuée par ces individus qui refusent de soutenir et de permettre la reproduction sociale de la moralité et de la pratique anthropocentrée.
J’ai de l’affinité avec ceux d’entre les sauvages qui luttent contre les rouages de la société industrielle et ceux qui se battent pour défendre les écosystèmes dans lesquels ils survivent. Pour combattre violemment le spécisme il est nécessaire d’inclure une lutte anti-autoritaire contre l’idéologie et les institutions du capitalisme, de l’État, et de la moralité anthropocentrée. Au delà des simples réformes législatives, la libération des animaux implique, de ce point de vue, de détruire toutes les cages et dispositifs qui retiennent prisonniers les animaux non-humains. Parallèlement à cela, une guerre menée à l’encontre des forces de captivité et d’asservissement des animaux « humains » ouvre des possibilités d’exploration au-delà du complexe de supériorité – le rôle et l’identité « humaine » considérés comme distincts de l’animal et du monde sauvage.
Par des ruptures spontanées de l’ordre civilisé, la sauvagerie vegan affirme sa résistance en attaquant les fondements qui produisent l’asservissement. Du refus de participer à l’insurrection, l’anarchie est la personnification de tout individu ayant le courage de se déchaîner contre la subordination de la domestication.
Mais la sauvagerie vegan signifie bien plus qu’un véganisme violent : elle est la célébration de la vie contre les lois de la moralité, de la civilisation, du contrôle et de la domination. Elle est le refus de faire sienne la vision capitaliste-industrielle des autres comme de simples objets à exploiter, à consommer ou à asservir. Cela permet aux individus de se définir par eux-mêmes en tant qu’êtres autonomes, armés du potentiel d’attaquer ceux qui tentent de les soumettre.
En tant qu’anarchiste vegan, mon combat pour la liberté est parallèle aux luttes menées par la nature depuis l’avènement de la société industrielle et de la domestication civilisée. Ce que les sauvages doivent être – lutter pour la liberté à chaque souffle, nous réapproprier nos vies grâce à chaque acte de violence contre les rouages du contrôle social et de la domination ! Pendant que les mouvements se basant sur la moralité continuent d’ignorer la réalité vitale de la nécessité de la violence amorale, certains d’entre nous continuent de mener une guerre contre le spécisme avec rien d’autre qu’un feu de liberté brûlant dans nos cœurs. En solidarité avec la nature, et en défense du terrain écologique où je vis, ma lutte est féroce et ingouvernable. Pour un véganisme amoral, pour l’effondrement industriel et la libération totale !
Flower Bomb
[Texte publié en janvier 2019 sur theanarchistlibrary.org et traduit de l’anglais en février 2019]