« Il faut avoir confiance dans la science du point de vue de l’éthique et de la connaissance, puisque son but n’est pas seulement la découverte du monde qui nous entoure, mais aussi celui de regarder vers le futur qui nous menace »
Rita Levi Montalcini [prix Nobel de médecine 1986]
Les partisans des O.G.M. maintiennent que leurs « inventions » sont nécessaires pour nourrir le monde, pour donner une chance à tous, même à ceux qui vivent dans les pays du « Tiers monde ». Malheureusement, ces scientifiques « bienfaiteurs » oublient que le monde n’est pas ce système mécanique auquel leur esprits l’ont réduit. Il n’est pas un laboratoire aseptisé dans lequel on joue à combiner ceci et cela, dans un contexte reconstruit à dessein de la façon la plus simple, un contexte appauvri, uniformisé et prévisible. Dans le monde extérieur, le vrai, les jeux de la science réussissent de moins en moins, ses vérités sont de plus secouées – et à coups de morts. On cherche donc à uniformiser et à contrôler le monde entier et où cela n’est pas possible on fait table rase. Plus d’extinctions, moins de biodiversité. Les dégâts irréversibles ne sont que pour les hommes et pour la nature : pour l’économie, cela signifie l’opportunité d’ouvrir de nouveaux marchés qui permettront, avec de nouvelles activités, de continuer sa croissance et d’avancer toujours vers de nouveaux objectifs.
L’apparition inévitable de contradictions, tout problème non pris en compte par l’évolution industrielle d’une technique, crée le besoin d’un nouveau palliatif, d’une nouvelle « solution technique ». Aucune contradiction peut pousser la domination à réfléchir sur elle-même : quand des invasions de parasites, des infections continuelles, la stérilité du sol ou le pourcentage des cancers lui montrent une erreur de méthode évidente, à la place de tenir compte de ces événements et de modifier les méthodes, elle essaye de détruire l’avertissement qui la contredise ; on invente de nouveaux insecticides pour contenir des parasites toujours plus tenaces, sélectionnés sur la base de leur résistance aux insecticides, de nouveaux antibiotiques, la culture hors-sol et des thérapies fabuleuses pour ralentir l’avancée des métastases.
C’est justement cette course perpétuelle qui fait sombrer les populations dans une dépendance toujours plus forte envers la domination et sa recherche scientifique.
A quoi servent les biotechnologies ? Pas seulement au marché et au contrôle, mais aussi à un obscur désir des gens : celui d’une race artificielle, programmée et adaptée pour un environnement artificiel ; la sécurité de se sentir intégrés dans cette société. Enfants programmés, transplantation d’organes, élimination génétique de maladies et « problèmes psychiques », screening des gènes pour y deviner son futur… ce ne sont que quelques résultats. Il est difficile de s’opposer à cela, surtout si on n’a rien d’autre à proposer, si on se limite à signaler des dangers et demander des contrôles. Mais l’intégrité de l’être vivant a-t-elle encore du sens ? La nature et son évolution, un processus qui a fait fonctionner l’écosystème terrestre pendant des millénaires, a-t-elle du sens ?
La domination ne devra plus craindre la nature. Il n’y aura plus de nature, ni de vie en dehors de cette société. « Celui-ci est le monde. Il n’y a pas d’alternatives », voilà la proposition de la domination. La vie toute entière sera soumise au vouloir de l’homme. De quelques hommes.
Plus rien à craindre du hasard : on saura si on est prédisposé pour une certaine maladie, si et quand on mourra, on saura si la science peut remplacer les morceaux de nous qui ne marchent plus, que la nature hostile en dehors de la ville a été apaisée et transformée en lieux de vacances, que n’importe où on décidera d’aller il y a aura des panneaux pour nous indiquer la route et on sera localisables. L’imprévisible deviendra quelque chose qui fait beaucoup de bruit et la vie un scénario écrit à l’avance : le canevas est identifié dans les gènes, la domination dicte l’interprétation de cette trace.
On deviendra les acteurs de nos vies.
Ce n’est pas seulement à cause des progrès de la médecine scientifique que les hommes ne se résignent plus à mourir ; c’est surtout parce qu’ils ont la certitude d’être oubliés tout de suite après, de ne rien laisser derrière eux, de ne rien avoir transmis, de ne voir aucun descendant autour d’eux, de n’avoir été dans leur vie rien d’autre que des parties détachées, absolument interchangeables, de la machine sociale, qui ne conservera aucun souvenir de leur « passage ».
Si vivre signifie désormais n’être rien, mourir signifie n’avoir jamais existé : cette triste banalité, à laquelle il est difficile de s’y faire, est une des principales déterminantes de la subjectivité moderne et de sa tendance dépressive ; quelque chose d’évident qui fait accepter le fait de rester toute la vie aux dépendances d’une société organisée où nous sommes enfermés, mais avec la promesse de quelques années supplémentaires « en pleine forme ».
Il reste donc, comme distinction, comme séparation claire entre ceux qui désirent et acceptent le renouveau biotechnologique et ceux qu’y opposent avec fermeté, la détermination à faire sienne sa vie. La même distinction, donc, entre ceux qui veulent accepter le jeu du pouvoir ou pas. C’est la raison pour laquelle une critique de la biotechnologie ne peut pas se passer d’une critique du pouvoir, faute de quoi ce ne serait qu’un alarmisme partiel.
Une critique, donc, qui ne sépare pas ces technologies, qui ne fait pas de distinctions entre les « bonnes » et les « mauvaises », qui ne redoute pas de toucher à des points difficiles et affronter les critiques qui nous attendent. Pourquoi devrait-on nous occuper seulement de plantes et de champs lointains et non pas de nous-mêmes, de ce qui adviendra de nos corps ?
Faire sauter, donc, le verrou des théories et des situations qui peuvent rendre aliénantes de telles propositions.
Il y a le risque d’être taxé de cyniques et d’inhumains, mais est-ce qu’on veut regarder autour de nous et remarquer celles et ceux qui sont en train de rendre les gens inhumains, de les soumettre, de les schématiser, de les rendre dépendantes du bien-être et de la tranquillité, de les rendre débiles et incapables de voir plus loin que le bout de leur nez ?
C’est cette société qui est le cancer et le remède ne peut être que sa destruction. Un remède qui ne peut venir de personne d’autre que de nous.
[extrait de la brochure « Biotecnologie. La scomparsa della diversità della vita e le nuove tecniche del dominio per il controllo della natura » (Biotechnologies. La disparition de la diversité de la vie et les novelles techniques de la domination pour le contrôle de la nature), Il Silvestre, Pisa, sans date]