ladepeche / jeudi 4 septembre 2014
Point fort du programme de Jean-Luc Moudenc, le développement de la télésurveillance est en marche. Une réunion est programmée ce soir dans le quartier Arnaud-Bernard jugé prioritaire. La place Arnaud-Bernard, son marché convivial du samedi matin, ces puces désordonnées du dimanche, désormais interdites, mais aussi ces trafics de cigarettes ou autres volutes et ses tapages nocturnes… À deux pas du centre-ville et de la basilique Saint-Sernin, ce quartier coloré aux airs de kasbah, investi par la communauté maghrébine, est le premier site choisi par la nouvelle municipalité pour installer ses caméras de vidéosurveillance. Jean-Luc Moudenc l’a confirmé la semaine dernière. Six caméras ont été commandées et devraient être installées sur et autour de la place d’ici l’automne. Sur quels axes et à quels endroits précis ? Le maire attend beaucoup de la réunion publique convoquée ce soir à 18 h 30, salle Castelbou, pour éclairer son choix et les solutions les plus pertinentes. «En plus des statistiques de la délinquance, j’entends me fonder sur les témoignages des Toulousains, a-t-il déjà souligné. Cette concertation est un préambule au lancement d’une étude plus précise pour déterminer les lieux d’implantation». Julie Escudier, la maire de quartier, recevra donc les riverains, les commerçants et les associations du quartier aux côtés d’Olivier Arsac, adjoint à la prévention, la sécurité et la Police municipale, Jean-Jacques Bolzan, adjoint à la démocratie locale et au commerce, et Joël Azorin, chargé de mission Sécurité au cabinet du Maire. La place Arnaud-Bernard va devenir ainsi «le laboratoire» du développement de la videosurveillance dans la Ville rose (lire ci-contre) alors que le débat sur son efficacité réelle n’est toujours pas tranché. Les partisans des caméras, qui voient là l’assurance d’un quartier pacifié et les plus dubitatifs, soucieux des libertés publiques et de la stigmatisation d’un quartier singulier devront attendre quelques mois pour juger sur pièce. Jean-Luc Moudenc, lui, est imperturbable et prévient : «Nous allons appliquer la politique pour laquelle nous avons été élus».
«J’ai l’impression que je dérange»…
Ce n’est souvent rien de concret, si l’on en juge par les statistiques policières, mais seulement un sentiment tenace. Ce fameux «sentiment d’insécurité», qui, à la nuit tombée (et parfois avant), fait sourdre une pointe d’angoisse, quand il s’agit de franchir les quelques mètres qui séparent la rue des Trois Piliers ou la place des Tiercerettes des boulevards, bref de traverser la place Arnaud-Bernard. Avec ses boucheries hallal, ses bars à thé, ses fast-food ou restaurant orientaux et les estaminets pour étudiants, le quartier vit nuit et jour sur un rythme trépidant. Trop pour certains riverains qui dénoncent déjà depuis des années le bruit et la saleté des lieux, qui concentrent encore beaucoup de trafics. «La place a été maintes fois réaménagée et on a jamais trouvé la solution», peste un très ancien résident, d’un appartement chic (il y en a). Lui, voit d’un bon œil l’arrivée des caméras. «Les voyous vont y réfléchir à deux fois. Ce sera mieux pour tout le monde, y compris pour les noctambules qui n’ont rien à se reprocher et qui seront en sécurité», glisse-t-il. Un restaurateur du quartier est moins enthousiaste. «À moins de mettre des caméras partout, on ne pourra pas couvrir tous les recoins. La place sera peut-être plus nette, mais la pression de la vidéosurveillance risque aussi de disséminer les trafiquants dans les rues autour». Il n’empêche, ce vieux militant de gauche demande à voir. «Les caméras, c’est une chose, mais le quartier a surtout besoin de renouveau. Je suis favorable à la politique qui avait été initiée par l’ancienne municipalité et Pierre Cohen, qui consiste à préempter certains commerces ou immeubles en désuétude pour casser le communautarisme et réintroduire de la mixité de population». Une politique que Jean-Luc Moudenc a bien l’intention de poursuivre comme l’adjoint au commerce, Jean-Jacques Bolzan, qui croit du comme fer à une action volontariste des pouvoirs publics pour redonner tout son lustre à la place et lutter contre le communautarisme. À la terrasse d’un des cafés où se jouent des parties de dominos ou de cartes endiablées, une certaine amertume pointe aussi. «Moi, je ne suis pas un délinquant et je n’ai rien à me reprocher, explique un homme d’âge mûr. Je bois simplement mon café et j’ai l’impression que je dérange»…
350 caméras ont déjà été commandées…
Jean-Luc Moudenc, le maire, a confirmé que la ville de Toulouse avait lancé un marché pour l’équipement de 350 appareils de vidéosurveillance. «C’est un maximum qui ne préjuge pas du nombre de caméras effectivement achetées et installées», précise le Capitole. Après le quartier Arnaud-Bernard, la mairie envisage d’installer, à terme, environ 300 caméras, au centre-ville, en priorité dans les secteurs de la rue Bayard et de la place Saint-Pierre, mais aussi en périphérie, notamment dans le quartier des Pradettes. Cet objectif chiffré devrait être atteint à la mi-mandat, soit à fin 2015, c’est en tout cas le souhait de la municipalité, qui table sur 80 caméras installées d’ici la fin de l’année. Aujourd’hui, la ville compte 21 caméras, loin du ratio des autres grandes villes françaises. Elles sont gérées par neuf opérateurs (également en charge des bornes limitant l’accès aux voies piétonnes), un policier municipal et un adjoint, installés au PC Capitole. L’augmentation du nombre de caméras implique évidemment plus d’effectifs. «Les premières caméras seront absorbables par le PC tel qu’il est conçu, a déjà souligné Olivier Arsac. Pour la suite, une réflexion est menée et le déménagement est envisagé». Pour visionner les images fournies par 300 caméras, il est en effet nécessaire d’avoir un opérateur pour vingt écrans. Un écran correspondant à une caméra. Il faudra donc porter les effectifs du PC à une quinzaine de personnes.
La police est «favorable»
Longtemps de nombreux policiers en poste à Toulouse accueillaient avec incompréhension, le mot est faible, la position anti-caméra de la précédente municipalité. Alors le projet de mise en place de nouveaux équipements de vidéo surveillance, ou vidéo protection comme les défenseurs du système les désignent, est accueilli favorablement au commissariat central.
«Les caméras ne règlent pas tout mais elles constituent un plus évident pour repérer une agression dans la rue et ;, ainsi, accélérer l’intervention de patrouilles ou, dans un deuxième temps, les enregistrements vidéo aident l’élucidation après une agression. Savoir qui a fait quoi, quand s’est filmé, forcément c’est plus simple», détaille Didier Martinez, secrétaire régional d’Unité SGP Police.
Le projet d’implanter des caméras sur le quartier Arnaud-Bernard est accueilli favorablement chez les enquêteurs, à la sûreté départementale par exemple. «Pas trop tôt», lâche même un enquêteur qui traque à longueur de semaines les agresseurs plus ou moins violents qui chaque nuit dépouillent les Toulousains. «Dans le cadre d’une enquête, c’est forcément un avantage de pouvoir s’appuyer sur des enregistrements vidéo. Cela fournit des indications qui peuvent être importantes même quand cela ne fixe par sur l’image l’agression en elle-même», dit ce policier d’expérience. «Un intérêt certain et pas seulement sur Arnaud-Bernard», insiste-t-il.
Bien sûr, les voyous ne sont pas idiots et savent s’écarter des lieux surveillés pour réaliser leurs mauvais coups. Et certains professionnels de l’investigation savent qu’il ne faut pas compter sur ce genre d’équipement pour marquer des points dans une enquête. «Les caméras de surveillance, ou de protection, sont très utiles dans le cadre de flagrant délit, observe un policier qui connaît bien le monde des stupéfiants. Mais à part les illuminés, personne ne viendra vendre une barrette de shit devant une caméra vidéo», sourit le policier. En même temps, ces dernières années, la présence policière visible et régulière n’a jamais mis fin à la vente de paquets de cigarettes de contrebande ou du haschich sur la place Arnaud-Bernard. «Les caméras ne remplacent ni les policiers, ni le travail d’enquête mais constituent un vrai plus pour notre travail», résume un policier. Quant aux questions inévitables sur les libertés individuelles, les policiers ne les éludent pas. «Certains se sentent oppressés par cette surveillance. Je le comprends mais face à certaines victimes, traumatisées, j’aimerais pouvoir utiliser plus d’enregistrements. Pas pour embêter Monsieur ou Madame tout le monde, juste pour identifier plus de coupables !»