Un bug informatique chez les flics, une brèche de liberté

Le Figaro / mardi 30 septembre 2014

L’affaire Cheops, un scandale d’État? Ce logiciel qui constitue le portail d’accès de la police à l’essentiel de ses fichiers de travail a défrayé la chronique au détour de l’affaire des trois djihadistes présumés que la police a ratés à l’aéroport de Marseille, le 23 septembre dernier. Ces individus recherchés, qui se sont rendus le lendemain, étaient pourtant tous fichés. Et ils arrivaient de Turquie, l’une des destinations les plus risquées du moment, voisine de la Syrie. Or, quand le trio a présenté ses papiers au contrôle de l’aéroport, aucun agent de la Police aux frontières (PAF) n’a réagi. Cheops était en «maintenance» pour l’après-midi et aucun fichier permettant de les identifier n’était donc consultable. Un problème «récurrent» dont personne pourtant ne parle, hormis quelques syndicats de police dans leurs tracts internes.

Le gouvernement, surpris par l’ampleur de la polémique sur ce ratage, a aussitôt déployé le parapluie. Une enquête de l’Inspection générale de l’administration (IGA) et de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), a été lancée par le ministre de l’Intérieur et des déclarations, plus ou moins rassurantes, se sont multipliées jusqu’à l’Élysée. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a, lui, reconnu: «Il y a eu une panne à Marseille, je le sais.»

Et quel bug! Selon nos informations, la passerelle Cheops est sujette à d’innombrables «interruptions de services». Leur fréquence? «Régulièrement, des fois une heure, des fois une journée entière. Le système peut être inopérant jusqu’à trois heures tous les deux jours. Cela fut le cas, il y a quelques mois», reconnaît un officier de police chevronné de la PAF.

Dans ce cas, il le dit lui-même, «la police est aveugle puisqu’elle ne peut accéder à aucun de ses fichiers courant reliés au portail, que ce soit ceux des antécédents judiciaires, du terrorisme ou des étrangers.» Le problème se pose dans les aéroports comme dans les commissariats. «La maintenance est nationale sur Cheops», affirme le policier.

À la PAF, un commissaire précise: «Il y a deux cas de figure. D’abord, les ressortissants étrangers qui entrent dans la zone Schengen, par Marseille, par exemple, en provenance d’une zone internationale, et ceux-là sont quasi systématiquement passés au fichier. Mais pour les Européens qui prennent le même chemin, des Français, Allemands, des Espagnols, qui peuvent être des djihadistes, si le contrôle du passeport est systématique, le passage au fichier par l’agent de la PAF n’est qu’aléatoire. C’est une obligation des accords de Schengen.»

«Même quand les fichiers sont accessibles, ils ne sont pas toujours consultés. Alors imaginez quand tout le système est en maintenance pour des heures!», se désole un grand préfet très au fait des questions de sécurité. «Il n’a pas été imaginé officiellement un système où basculer quand l’arrêt survient. Il faut attendre», ajoute un gardien de la paix habilité pour Cheops.

«Ces pannes sont un problème vis-à-vis des mineurs inscrits au Fichier des personnes recherchées (FPR) parce qu’ils risquent d’être kidnappés par un parent s’ils partent à l’étranger. Or, sans Cheops, pas de FPR et l’ado monte dans l’avion», rage un agent de la PAF.

Pour Jean-Claude Delage, le patron du syndicat Alliance, «ces dysfonctionnements informatiques nuisent à la volonté de travailler des policiers et il faut les régler sans délai, sans quoi il y aura un jour des incidents graves pour la sécurité du territoire».

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